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Chapitre 6. Discussion générale

6.1 Un retour sur les objectifs spécifiques

L’objectif spécifique 1 de la thèse a été atteint (synthétiser l’état des connaissances quant aux objets d’interventions soutenant l’intégration communautaire dans un champ spécifique, soit celui de l’ergothérapie auprès de clientèles adultes aux prises avec des troubles neurologiques). Des 47 écrits retenus, environ 45 % portaient sur la population vivant avec un TCC, 23 % pour la population aux prises avec une BM, 19 % pour la population ayant subi un AVC et 9 % pour la population composant avec une SEP. Cette distribution reflète qu’il y a très peu d’écrits incluant des personnes vivant avec une SEP ou les séquelles d’un AVC abordant ces thématiques en ergothérapie. Le fait que l’IC de ces populations soient moins investiguées soulève d’importants besoins en matière de recherche.

Les interventions ergothérapiques les plus porteuses en matière d’intégration communautaire sont centrées sur l’occupation, visent l’atteinte de buts autodéterminés et sont réalisées dans la communauté. Ainsi, les recherches futures en matière d’IC chez les clientèles adultes présentant un trouble neurologique devraient contribuer au développement, à l’implantation ou à l’évaluation de telles pratiques. Au-delà de cette recommandation, l’examen de la portée amène à suggérer que les ergothérapeutes voulant soutenir l’IC de leurs clientèles adultes présentant un trouble neurologique : (1) soutiennent la réalisation d’ambitions et de projets personnels ; (2) consolident le réseau naturel de soutien et le réseau social en engageant ces derniers à même les

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processus de réadaptation ; (3) soutiennent l’utilisation, le développement et l’accès aux ressources communautaires ; et à (4) rendent possible l’affiliation (encourager les individus à développer des relations sociales réciproques, un sentiment d’appartenance envers un groupe). Ces conclusions rappellent les piliers des interventions s’inscrivant dans une PCF décrits dans le cadre conceptuel, au chapitre 2. En effet, les interventions qui adoptent une PCF visent — le plus souvent — à soutenir l’IC via la réalisation de projets personnels à partir des ressources environnementales 30, 31.

À notre connaissance, aucune recension n’avait été publiée sur les pratiques ergothérapiques soutenant l’IC auprès des clientèles adultes aux prises avec des troubles neurologiques avant la parution de l’article soumis au chapitre 3. Un seul article se rapproche de ce qui a été fait au chapitre 3. Il s’agit d’un examen de la portée visant à documenter les pratiques ergothérapiques porteuses en matière de participation sociale chez les aînés 144. Or, il importe de garder en

tête que la participation sociale et l’IC sont deux concepts distincts. Le fait de soulever la présence de cet article ne doit pas être perçu comme une utilisation interchangeable des construits que sont la participation sociale et l’IC. L’article en question souligne que les pratiques ergothérapiques actuelles incorporent rarement des interventions directement axées sur la participation sociale 144. Les

auteurs de cette étude suggèrent que si les ergothérapeutes souhaitent soutenir la participation sociale des aînés, leurs interventions doivent cibler directement cette question, plutôt que de s’attarder à la gestion de risque ou l’amélioration de l’autonomie fonctionnelle : une évolution positive de ces variables ne se traduit pas par une plus grande participation sociale 144. L’examen de la portée

présenté au chapitre 3 arrive à des recommandations similaires, malgré que la clientèle et le concept diffèrent : l’IC doit être le but ultime de la réadaptation; son principal objet d’intervention et pas seulement une retombée secondaire des interventions visant à combler les déficits. Des effets significatifs sur l’IC ne peuvent être attendus, si cette finalité n’est pas au centre des interventions; et c’est ce qui suggèrent les résultats de l’examen de la portée.

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L’objectif spécifique 2 de la thèse a été atteint (vérifier si le Community Integration Questionnaire (CIQ) mesure bien un des effets attendus d’interventions reflétant une PCF, plus précisément l’intégration communautaire). Dix études ont été incluses dans la revue systématique. Ces études ont fait appel à près de 3000 personnes, aux diagnostics divers : 1) des adultes vivant avec une SEP, 2) des adultes ayant subi une BM ; 3) des adultes aux prises avec de l’aphasie 4) des grands brûlés et 5) des clientèles mixtes. Les résultats touchant la cohérence interne de la CIQ sont encourageants concernant les adultes atteints de sclérose en plaques, de brûlures ou de BM et dans les échantillons mixtes (α = 0,71 à 0,84), et les études sont de qualité. La validité de construit est bien documentée pour les adultes atteints de SEP, d’aphasie et dans les échantillons mixtes. En effet, certaines études 140, 141ont documenté les

qualités métrologiques du CIQ auprès d’échantillons fortement hétérogènes au regard du diagnostic. Par exemple, certains échantillons comprenaient des personnes avec une SEP, une dystrophie musculaire ou une amputation d’un membre. Par ailleurs, la fidélité intrajuge est acceptable pour les adultes atteints de sclérose en plaques (CCI = 0,91 à 0,97). Les autres qualités métrologiques n’ont pu être démontrées de manière robuste. Le niveau de preuve actuel ne permet pas de recommander pour l’instant l’utilisation de cet outil auprès d’autres populations que celle vivant avec les séquelles d’un TCC. En effet, comme la quantité de données scientifiques concernant l’utilisation du CIQ avec d’autres populations est embryonnaires (et connaît des lacunes sur le plan de la qualité), cela pourrait mener à des mesures erronées d’IC. Cela pourrait donc laisser croire que des interventions sont efficaces en matière d’IC (ou ne le sont pas); les retombées des pratiques de réadaptation seraient donc mal évaluées. Par exemple, une équipe de réadaptation pourrait donc mettre fin à un suivi auprès d’un client, croyant que l’objectif d’IC serait atteint.

Par ailleurs, les résultats concernant la validité de construit font écho à deux recensions réalisées en 1997 79 et en 2008 64, s’intéressant spécifiquement à

l’utilisation de la CIQ auprès de personnes vivant avec les séquelles d’un TCC. En effet, des corrélations positives significatives entre le CIQ et le genre (être

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une femme), l’âge (être jeune), le niveau d’incapacité (avoir moins d’incapacité) et l’employabilité (avoir un historique positif quant au rôle de travailleur) sont présentes de manière constante. Des conclusions du même ordre se dégagent concernant l’effet plafond, la constance interne au regard des sous-échelles de l’outil, la sensibilité au changement et la fidélité intrajuge, ce qui suggère que les forces et les limites du CIQ transcendent la nature du diagnostic. Cette idée est cohérente considérant que l’IC se définit au-delà de la maladie 5. En effet, la

nature de la maladie peut rendre plus difficile l’accès à une IC satisfaisante, mais n’influence pas ce qui constituera une IC satisfaisante ou réussie aux yeux de l’individu.

Par ailleurs, une recommandation énoncée au chapitre 4 parle de la nécessité que l’évaluation de l’IC aille au-delà de l’utilisation d’un outil quantitatif. Cette recommandation est en adéquation avec d’autres écrits suggérant la même idée 79, 147. L’utilisation d’un seul outil quantitatif ne permettra pas d’accéder à

la réelle situation perçue et vécue d’une personne au regard de son IC. En effet, la nature idiosyncrasique du construit suggère qu’une IC satisfaisante pour un individu ne se présente pas de la même façon pour un autre. À titre d’exemple, une personne peut avoir besoin de moins d’amis ou avoir besoin de contribuer plus à son réseau de manière à percevoir une intégration sociale satisfaisante. La même gymnastique peut être faite avec les dimensions physique et psychologique de l’IC.

L’objectif spécifique 3 de la thèse a été partiellement atteint (dépeindre les perceptions des interventions s’inscrivant dans une PCF, plus particulièrement celles qui touchent les variables individuelles, que tirent des adultes aux prises des troubles neurologiques de leurs expériences au sein des services externes de réadaptation (adultes vivant avec une SEP ou un BM). Les variables individuelles explorées étaient la mobilisation des forces personnelles et une relation thérapeutique soutenant l’espoir et l’autodétermination.

Considérant que l’ACF avait été démontrée efficace pour soutenir l’IC d’autres populations (ex. troubles graves de santé mentale), il a été jugé pertinent de

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s’intéresser aux perceptions s’inscrivant dans une PCF, dans la réadaptation d’adultes présentant un trouble neurologique ; un travail qui — à long terme — permettra de justifier, de co-construire, de circonscrire, d’implanter puis d’évaluer empiriquement une PCF porteuse pour les populations adultes suivies en réadaptation et présentant une condition neurologique.

Au total, quatre types de résultats ont permis d’illustrer les perceptions d’une perspective de réadaptation axée sur les forces : 1) la mobilisation des forces personnelles (p. ex., bâtir sur la résilience ; 2) la relation thérapeutique basée sur l’espoir (p. ex., l’espoir est renforcé par l’atteinte des objectifs personnels) et l’autodétermination (p. ex., comment naviguer dans le système) ; 3) l’exercice de l’autodétermination (p. ex., influencer la durée ou l’intensité des services); et 4) les relations favorisant la récupération ou le rétablissement (ex. le degré d’accord de l’usager sur 24 énoncés 148, 149). La perspective des participants

présentant une BM et une SEP en matière de PCF a été étayée à partir des entrevues en profondeurs (2 entrevues avec chacun des vingt participants) et d’un questionnaire (le Recovery Promoting Relationship Scale).

D’abord, ces données révèlent une relation thérapeutique surtout axée au niveau des forces liées aux aspects physiques (modèle biomédical) (ex. équilibre) au détriment d’autres forces liées à l’investissement des rôles sociaux (perspective centrée sur les forces, modèle biopsychosocial) (ex. compétences professionnelles). Ensuite, la prise de décision (ex. au niveau de l’intensité des services, de priorités d’interventions, des sorties temporaires, des modalités thérapeutique) incluse de façon inconstante (et parfois lacunaire) les clients. Ce résultat va à l’encontre des données issues du RPRS où le score moyen de l’échantillon en matière d’autodétermination frôlait le 80/100. Par ailleurs, si plusieurs éléments soutenaient l’espoir en réadaptation (ex. reconnaître les succès), beaucoup d’autres éteignaient l’espoir (ex. ne pas travailler à l’atteinte d’objectifs autodéterminés durant la réadaptation). Au niveau de l’espoir, le score moyen pour l’échantillon au RPRS est à 74/100 ; un score plutôt faible en adéquation avec les propos rapportés par les participants lors des entrevues.

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Toutefois, même si les attitudes des thérapeutes ne supportaient pas toujours l’espoir et l’autodétermination, il importe de mentionner que les relations thérapeutiques étaient presque exclusivement perçues de façon positive par les participants ; le score de « relation thérapeutique » étant à 94/100.

Les scores entre les participants vivant avec une BM versus ceux vivant avec la SEP apparaissent très similaires. Ceci, malgré des différences importantes dans la mise en œuvre des services de réadaptation pour les deux populations d’intérêt (ex. intensité des services, nature de la condition, organisation des services). Essentiellement, la combinaison des données d’entrevues et du questionnaire révèle que si les participants estimaient que les thérapeutes manifestaient des attitudes porteuses d’espoir et faisaient preuve de sensibilité à leur égard, les processus et contextes de réadaptation au sein desquels ils évoluaient ne reflétaient guère une perspective de services axés sur les forces : les possibilités d’exercer son autodétermination ou de mobiliser les forces personnelles des participants (autres que celles physiques) restaient limitées ou négligées.