• Aucun résultat trouvé

Le retour du Medef dans la gouvernance du paritarisme

Chapitre 2. Logiques d’adhésion et densité d’une representation locale

2. Une redéfinition des rôles patronaux dans la régulation paritaire

2.2. Le retour du Medef dans la gouvernance du paritarisme

La particularité du système d’acteurs propre à la protection sociale complémentaire est d’intégrer de puissants groupes de protection sociale (voir encadré), groupes par ailleurs pris dans un vaste mou- vement de concentration lié à l’évolution du marché de la protection sociale complémentaire, lui- même fortement dépendant des paramètres du régime général, mais aussi des nouvelles exigences de solvabilité françaises et européennes. Récemment, les fusions au sein d’un même groupe d’institutions de prévoyance et de mutuelles introduisent un nouvel élément de complexité. Les GPS (groupes de protection sociale) regroupent désormais une activité très réglementée et maîtri- sée – la retraite – et une activité très concurrentielle et libéralisée – la santé – et, dans une moindre mesure, la prévoyance. La complexité est renforcée par la fusion d’entités ayant des traditions et des modes de fonctionnement différents, ce qui interroge, voire fragilise, le paritarisme. La tendance au regroupement est un des éléments de contexte qui occupe une place importante dans les réflexions syndicales51, bien sûr, mais également patronales. D’une certaine manière, le Medef n’a pas plus de

prise que les organisations syndicales sur la question. On peut cependant repérer deux logiques, concurrentes et/ou concomitantes, dans la stratégie patronale. Une partie du patronat accompagne, voire initie, le développement de groupes financiers de plus en plus proches de l’assurance privée.

51

« Les GPS sont extérieurs aux branches. C’est un monde à part où les directeurs font la stratégie du groupe » (responsable confédéral CFDT).

Une autre partie souhaite garder la gestion de sa politique sociale et, à cette fin, maintenir la gestion paritaire52. Pour les deux, le contrôle des coûts et la qualité de la protection proposée sont détermi-

nants dans le choix d’un organisme assureur. De ce point de vue, la gestion paritaire peut être un meilleur choix, le privé marchand n’étant pas en soi une garantie de moindre coût, ni d’efficacité du service rendu.

CTIP et GPS

Le CTIP (Centre technique des institutions de prévoyance) compte actuellement cinquante-quatre institutions de pré- voyance adhérentes, dont vingt-huit institutions interprofessionnelles, dix-huit institutions professionnelles, six institu- tions d’entreprise et deux unions d’institutions. La plupart de ces institutions de prévoyance font partie d’un groupe de protection sociale. Le CTIP a pour mission de défendre et de représenter les intérêts des institutions paritaires membres dans le domaine de la protection sociale complémentaire : soutien à la négociation collective, soutien tech- nique et juridique, lobbying… À côté de cette action de représentation des intérêts, il définit des orientations et élabore des recommandations destinées à mieux organiser la gouvernance de ses membres.

À l’origine, les institutions de prévoyance paritaires se développent grâce à la convention collective de 1947 qui, à côté de la retraite complémentaire des cadres, instaure une prévoyance obligatoire pour cette catégorie de salariés. La prévoyance s’étend ensuite aux autres catégories de personnel. Les institutions de prévoyance vont se spécialiser avec la loi d’août 1994 qui les oblige à se séparer des institutions de retraites complémentaires. Le CTIP se développe à partir de cette date.

Trois types d’organismes se partagent le marché de la protection sociale complémentaire : les sociétés d’assurance, les mutuelles et les institutions de prévoyance (IP) devenues GPS. Les intérêts de chaque « famille » sont défendus par une association nationale : la FFSA (Fédération française des sociétés d’assurance, adhérente au Medef) pour les assu- rances ; la FNMF (Fédération nationale de la mutualité française) pour les mutuelles ; le CTIP pour les IP. Les IP représentent plus de 75 % des régimes mis en place par des accords de branche

On assiste depuis une décennie à des regroupements des institutions de prévoyance et des mutuelles au sein de GPS. Un des problèmes soulevés par ces rapprochements est que leur instance sommitale n’est plus nécessairement pari- taire : « Si l’on prend le nouveau GPS qui regroupe les institutions de prévoyance d’AG2R et de la mutuelle La Mon- diale, c’est 50 % La mondiale et 50 % AG2R. En termes clairs, le collège salarié, c’est 25 %, point barre. » (respon- sable confédéral CGT) Les principaux groupes ont environ 6 000 à 7 000 salariés, couvrent les trois champs de la PSC : retraite, prévoyance, frais de santé et regroupent des institutions de prévoyance et des mutuelles. Quelques-uns ont même créé des filiales communes sous forme de sociétés d’assurance, ce qui pose des problèmes juridiques impor- tants.

Dans les dernières années, l’organisation patronale faîtière a repris pied dans la gouvernance des institutions complémentaires paritaires. Le tournant peut être constaté dès 2004 où le Medef prend la décision, avec l’accord des organisations syndicales, d’entrer en tant que tel dans les instances dirigeantes du CTIP (voir encadré). Il s’agit d’ailleurs d’un nouveau positionnement qui concerne le patronat plus largement, puisque l’UNAPL fait de même. La première initiative des organisations patronales est de proposer le lancement d’une étude sur la bonne gouvernance des groupes de pro- tection sociale, actant ainsi de sa préoccupation de contrôle des risques liés au recul de la gestion paritaire. La nécessité de redéfinir les règles de gouvernance et de transparence financière de la pro- tection sociale complémentaire résulte également des nouvelles règles prudentielles européennes qui s’appliqueront en 2013 et des pressions des autorités françaises de contrôle comptable. Les ac- teurs ne peuvent plus se contenter de l’existence de fait de ces groupes qui présentent des risques juridiques et économiques importants. L’étude est finalisée en 2006 et, en 2008, une délibération est ouverte entre représentants patronaux et syndicaux sur le fonctionnement du paritarisme de gestion et des GPS.

52

« Je pense qu’il y a une partie du patronat qui est attachée à contrôler, à gérer, à négocier, et qu’il y a une partie du patronat qui est plus sur des logiques financières » (responsable confédéral CGT).

Un accord sur la gouvernance des groupes de protection sociale est signé le 8 juillet 2009. Cet ac- cord substitue à des pratiques plus ou moins encadrées un dispositif conventionnel couvrant à la fois l’organisation interne et le fonctionnement des groupes de protection sociale. Le fonctionnement interne des associations sommitales des groupes est détaillé et le paritarisme y est réintroduit. L’accord prévoit également une démarche de clarification des responsabilités des administrateurs des institutions de prévoyance, afin de leur donner des outils, notamment en matière de contrôle interne. Enfin, une instance de coordination commune entre le CTIP, l’Agirc et l’Arrco est créée dans le but de contrôler les projets de fusion et de rapprochement des GPS. L’accord de juillet 2009 donne de nouvelles attributions au CTIP. Il est désormais chargé de s’assurer de la mise en œuvre de ses recommandations de bonne gouvernance des institutions de prévoyance et de donner un avis consultatif sur les projets de rapprochement soumis à l’instance de coordination.

Depuis 2009, le paysage des groupes de protection sociale semble se clarifier avec l’émergence de quatre grands pôles de taille comparable et une meilleure coordination des rapprochements. Sous l’impulsion du CTIP, des outils de contrôle ont été proposés aux 1 350 administrateurs syndicaux et patronaux siégeant dans les GPS : une grille de lecture des rapprochements (2009), un guide de con- trôle des risques (2010). Dans un contexte de forte concurrence, sur un marché en développement du fait des retraits du régime général, que ce soit en matière de santé ou de retraite, le mouvement de concentration des GPS leur permet aussi de faire face aux assurances privées. Ces dernières pei- nent à s’implanter sur le segment du marché dépendant des conventions collectives, souvent du fait de codésignation entre mutuelles et institutions de prévoyance. Les évolutions ne sont donc certai- nement pas figées par l’accord de 2009. Les stratégies patronales, et notamment les relations entre branche et grandes entreprises (voir partie 3), ne le sont pas non plus. La stratégie des instances centrales du Medef est pour l’heure de s’assurer un rôle hégémonique dans le paritarisme « pur », celui de la protection sociale complémentaire.