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Chapitre 2. Logiques d’adhésion et densité d’une representation locale

1. Le maquis des organisations locales

1.2. Le nombre d’adhérents

Le sujet est au moins aussi sensible que dans le syndicalisme salarié. Au moins dans celui-ci trouve- t-on, pour les principales centrales, quelques chiffres ou estimations à peu près vérifiables. On y rencontre également une difficulté méthodologique pour les raisons évoquées plus haut. La question de l’appartenance multiple n’est probablement pas marginale.

L’effort de syndicalisation est reconnu par tous nos interlocuteurs comme une question importante. Les plus impliqués y voient un gage d’indépendance, à l’inverse de la CGPME qui serait « spécia-

liste de la subvention ». Pour ce représentant du Medef régional de Midi-Pyrénées, le nombre

d’adhérents est le cœur de l’autonomie financière, ce qui l’autorise à tenir tête au préfet quand la CCI ne le peut pas. Aux remarques de l’enquêteur sur la diversité des sources de financement ne

passant pas par la cotisation, il est répondu que l’interprofessionnel ne tire guère de ressources du paritarisme, réponse qu’il convient sans doute de relativiser !

Nombre d’interlocuteurs insistaient sur la nécessité d’un nombre significatif d’adhérents, condition de la capacité à représenter. Dans le département de la Moselle, la syndicalisation fait l’objet d’une prospection que l’on s’attache à professionnaliser : « Ça peut être assuré par un commercial, ça peut être un secrétaire général qui passe une partie de son temps à la prospection. C'est une démarche commerciale, on choisit en priorité évidemment ceux qui ont le chiffre d'affaires le plus important et puis on fait de proche en proche. On n’est pas passif du tout sur la syndicalisation, on a des gens actifs à ça. On a vécu pendant des décennies sur une relative facilité financière, c'est de moins en moins vrai, c’est devenu plus fragile, il faut donc être attentif à la fidélisation ».

Quand on en vient aux chiffres, l’imprécision devient reine : « Dans la Moselle, si je regarde bien, je dois avoir 1 800 entreprises adhérentes directes ou indirectes, sur près de 15 000 entreprises de plus de dix salariés, qui emploient 76 000 salariés sur les 180 000 salariés dans le privé », déclare le délégué général du Medef départemental de l’époque. La CCI de Moselle évoque les 28 000 entre- prises du département et, selon l’Insee, la Moselle comprend 3 800 établissements de plus de dix salariés du secteur privé (fin 2008) auquel il convient sans doute d’ajouter des entreprises consti- tuées de plusieurs établissements de moins de dix salariés (on en a rencontrées). Loin cependant des 15 000 évoquées, ce qui laisse planer un doute sur les 1 800 adhérents revendiqués. D’ailleurs, le président d’un des cinq arrondissements que compte le Medef 57 nous a parlé à plusieurs reprises des cinquante à soixante adhérents de son aire de responsabilité. Sans doute ne les connaissait-il pas tous, en particulier les adhérents indirects, les entreprises adhérentes, par exemple via l’UIMM ou la chambre syndicale du bâtiment que le Medef territorial ne connaît pas en tant que telle. Peut-être ne s’agissait-il que des adhérents « directs » mais, même si on tient compte de l’effet des multi- adhésions, adhésions directes redoublées par l’adhésion des syndicats professionnels, il reste une part d’exagération manifeste dans la référence aux 1 800 affiliés.

Les 12 000 PME-PMI revendiquées par la CGPME 57 suscitent le même scepticisme quand le dé- partement compte 43 000 établissements dans les secteurs industrie, BTP, commerces et services, dont 23 000 ne comprennent aucun salarié21. Si certains responsables font une claire distinction

entre les adhérents et ceux qu’ils prétendent représenter, il est difficile de faire le départ entre le nombre d’adhérents réels payant une cotisation et le groupe des entrepreneurs dont le Medef ou la CGPME se veulent les représentants. La multiplicité des formes organisationnelles qui se retrouvent mêlées de manière plus ou moins explicite au sein de l’enveloppe Medef, rend extrêmement diffi- cile l’appréciation sincère de l’adhésion effective des entrepreneurs ni même de considérer équiva- lent en tous points de l’espace le sens de la lexie « adhésion à l’organisation patronale ».

Quoi qu’il en soit, la liste commune présentée par la CGPME et le Medef lors des élections à la Chambre de commerce et d’industrie de Moselle en décembre 2010 a recueilli moins de 3 000 suf- frages. Soit leurs nombres d’adhérents sont très exagérés, soit les deux organisations ont le plus grand mal à les mobiliser, y compris dans un moment électoral jugé important et malgré une cam- pagne de sensibilisation publique dont nous avons pu voir les signes sur les murs de la ville22.

La question du nombre d’adhérents est aussi celle de la dynamique du système productif. L’analyse statistique montre le caractère déterminant du critère sectoriel. L’ancien délégué général confirme que le comportement d’adhésion, sans être naturel, est moins difficile à susciter dans l’industrie que dans les services. Ayant représenté également la Chambre des imprimeurs, dont beaucoup étaient d’anciens salariés, il témoigne d’une revendication d’appartenance forte à un métier qui favorise l’adhésion : l’idée d’un rôle stimulant des identités professionnelles ne le rebute pas, il y reconnaît un moteur de reconnaissance propre à conforter l’organisation corporative. Sur ce plan, la forte

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Données Insee au 31 décembre 2008. 22

L’abstention s’est élevée à 82 %, la liste Medef-CGPME recueillant 62 % des suffrages exprimés, soit 11 % des inscrits. C’est peu pour des organisations « représentatives ».

identité professionnelle du bâtiment liée à un intérêt économique majeur contribue à expliquer une adhésion significative, à la FFB (Fédération française du bâtiment) comme à la Capeb (Confédéra- tion de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment). Il n’en va pas de même dans les activités de service (mis à part le secteur banque-assurance, très concentré, ou celui de l’immobilier, lié à l’agrément professionnel).

Le chapitre précédant a montré une baisse relative de la participation patronale entre les deux pé- riodes (1998 et 2005) de l’enquête Reponse. Ce mouvement est d’abord expliqué par la déformation du tissu productif qui voit une décrue relative des effectifs des secteurs de plus forte participation (au premier rang desquels l’industrie métallurgique) et une montée des emplois dans les services peu générateurs d’affiliations. Ce glissement est évoqué dans les mêmes termes par notre ancien délégué départemental de Moselle. Au Havre, il est fait état du surgeon des nouvelles technologies, jugé très volatile et composé d’entreprises fortement liées à des réseaux qui ne doivent rien aux or- ganisations patronales « traditionnelles ».

À la question de savoir si l’intitulé Medef territorial en lieu et place de l’Union interprofessionnelle de Moselle a changé quelque chose, la réponse est sans ambiguïté : « Non, ça n’a pas changé, ça a plutôt compliqué les choses à de nombreux endroits. Les gens aiment bien avoir leurs structures locales. Nos structures apparaissent comme essentiellement locales. L’appellation Medef a accroché nos structures à une image, celle du Medef. De ce point de vue, je ne suis pas sûr qu’on ait gagné au change. On était la structure des entreprises locales, on n’était pas vu comme une structure de ré- seau avec une tête dans le CNPF. Je ne pense pas que le fait que le Medef ait demandé à toutes les structures interprofessionnelles de rejoindre le sigle Medef ait été une bonne chose. »

La référence à une image nationale, celle d’une organisation à laquelle peu de facteurs d’identification positifs soient accrochés, n’a pas été un facilitateur d’adhésion, les évolutions enre- gistrées dans l’enquête statistique en donnant d’ailleurs un éclairage quantitatif au fil des différentes vagues de Reponse.