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Chapitre 4. Paritarisme dans la formation professionnellle continue et dynamique

2. Formation professionnelle et dynamique nationale : retour sur la négociation de l’accord

2.1. Les transformations des équilibres patronaux

La négociation de l’accord de 2009 sera l’occasion d’une modification des modes préalablement construits d’élaboration du consensus au sein de la partie patronale, tels que nous les avons cernés dans la partie précédente. À partir du milieu des années 2000, de nouveaux équilibres émergent mais ils seront accélérés par l’irruption de la crise de l’UIMM.

2.1.1. Une onde de choc amorcée dès 2005

Dès 2005, l’arrivée à la présidence du Medef d’une personnalité plus portée par les territoires et par les fédérations relevant des services que de l’industrie avait commencé à interroger le poids de l’UIMM dans le Medef. Dans cette dynamique, en décembre 2005, le président d’un Medef territo- rial est nommé par la nouvelle présidente à la tête de la commission « formation ». Celui-ci aura rapidement pour objectif de reconquérir, non sans difficultés, une certaine autonomie de décision face aux représentants de l’UIMM qui détenaient les postes-clés et étaient détenteurs d’un fort ni- veau d’expertise et d’influence dans ce domaine tant en interne qu’auprès des pouvoirs publics. Cet affaiblissement du poids de l’UIMM au sein de la commission « formation » du Medef et, par là, de sa part dans l’élaboration de la stratégie du Medef ainsi que le repli amorcé de cette fédération sur des négociations propres à la métallurgie ne pouvaient manquer de libérer des paroles qui jusque là n’avaient pas trouvé la possibilité de s’exprimer tant au sein du Medef que dans les autres organi- sations patronales. Certaines fédérations patronales font entendre leur voix à l’image de l’Union des industries textiles qui estime qu’il faut effectivement réformer le système pour recentrer les disposi- tifs de formation sur les salariés peu qualifiés100

. La fédération de la formation professionnelle de- mande de son côté plus de transparence et de lisibilité dans les mécanismes de financement de la formation professionnelle et une amélioration du fonctionnement des Opca.

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Du côté de la CGPME où l’UIMM était aussi un acteur majeur, les énergies se libèrent également. Dès la fin de l’année 2006, un nouveau président est nommé pour conduire les travaux d’une com- mission formation-éducation plus restreinte (une quinzaine de personnes), placée sous la responsa- bilité de la commission sociale. Celle-ci comporte pour moitié les représentants des grandes régions (Bourgogne, Rhône-Alpes, Normandie…) et de quelques fédérations (habillement, hôtellerie, trans- ports, travaux publics…), ces personnalités ayant été choisies selon le président de cette commis- sion plus selon leur motivation que selon le poids de leurs structures et dans un souci d’équilibre branches/territoires. Cette instance commence à élaborer des propositions en vue d’une future négo- ciation dès le second semestre 2007, après que l’intervention du président de la République en juil- let 2007 ait, selon le président de cette commission, rendu celle-ci inéluctable.

2.1.2. Le Medef : construire une position hégémonique légitime

En 2007-2008, la crise de l’UIMM, qui se traduira rapidement par le retrait des mandats Medef de ses responsables, aboutit donc à la mise à l’écart définitive des animateurs historiques de ce do- maine d’activité. La commission « formation » se trouve donc en partie privée de ses personnalités dominantes et des capacités d’expertise qu’elles représentaient, alors que parallèlement la négocia- tion sur la modernisation du marché du travail doit être bouclée dans l’urgence. L’anticipation de la négociation sur la formation professionnelle n’est donc pas à l’ordre du jour.

Il n’en est pas de même à la CGPME où le président de la commission « formation-éducation » réunit dès le mois de septembre 2007, un groupe de travail restreint de cinq personnes dont la mission sera d’établir une feuille de route définissant les propositions que la CGPME envisage de mettre en avant le moment venu. Un document de travail pour une future négociation, validée par les instances de la CGPME est prêt dès la fin de l’année 2007 et un chef de file de la négociation est désigné.

Tout au long du processus de préparation de la négociation – groupe du Conseil d’orientation de l’emploi (COE), groupe quadripartite –, le Medef éprouvera des difficultés à construire une ligne politique unifiée face à la difficile articulation entre logique de branche et logique territoriale et aux intérêts divergents de ses fédérations. Au delà des différences traditionnelles entre industrie et ser- vices reflétant souvent le clivage entre PME et groupes, certaines fédérations comme celles regrou- pant les organismes de formation ne verraient pas d’un mauvais œil l’éclatement du paritarisme qui ferait disparaître ces concurrents encombrants que sont les Opca. Aussi, pour masquer ces diver- gences, dans les groupes de travail, les représentants du Medef ont-ils tendance à limiter leurs inter- ventions à un rappel des principes et à une défense du système, exprimant aussi par là leur hostilité à l’interventionnisme des pouvoirs publics dans cette sphère de régulation.

2.1.3. Une négociation à contre emploi ?

La crise de l’UIMM s’est aussi traduite par des changements profonds dans la gouvernance de cette fédération. Même si le nouveau délégué général de cette organisation a conduit la délégation patro- nale lors de la négociation, de l’avis de la plupart des négociateurs, ce dernier a fait montre d’une attitude particulièrement consensuelle et d’une ouverture d’esprit inédite, assumant davantage un rôle de chef d’orchestre que celui du seul représentant des intérêts de la métallurgie.

Compte tenu de la fragilité du Medef et de sa relative impréparation, la CGPME va tirer parti de la situation prenant l’initiative dès la première séance de travail de la délégation patronale de la pré- sentation d’un document de travail soumis à l’ensemble des participants. Là encore, on assiste à une inflexion dans les jeux d’acteurs puisque, par le passé, le Medef était force de proposition.

Les relations entre la CGPME et le Medef seront difficiles tout au long de la négociation pour ne pas dire conflictuelles101. Au delà des stratégies de positionnement de chacun, il y a de vrais sujets

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Un des autres négociateurs patronaux expriment ainsi le climat régnant entre les différentes organisations : « la négociation était plus compliquée avec le Medef qu’avec les autres organisations et de loin [….] Nos rapports étaient très mauvais, je ne connais le Medef qu’impérialiste…. ».

de divergence quant aux propositions patronales émises. Contre l’avis du Medef, faisant une entorse publique à l’unité de la parole patronale, la CGPME propose la fusion entre le DIF et le CIF. Sur le fond, ce différend patronal traduit une conception différente de la façon dont doit s’articuler l’existence d’un droit individuel avec le contrat de travail. Si le camp patronal est relativement ho- mogène pour estimer que les dispositifs de formation professionnelle doivent s’ouvrir davantage aux demandeurs d’emploi, la nature de ces droits, leur lien à l’entreprise ne fait pas consensus. Pour la CGPME, le DIF comme le CIF doivent relever d’une démarche individuelle sans connexion au contrat de travail. Seules relèvent de celui-ci les formations adoptées dans le cadre du plan de for- mation et celles visant la réinsertion des demandeurs d’emploi (préparation opérationnelle à l’emploi (POE), contrat de professionnalisation, etc.). Le Medef semble lui plus attaché à l’encadrement collectif des droits individuels et souhaite maintenir ce dispositif dans le cadre de l’entreprise. En outre, plusieurs branches professionnelles ont déjà fortement intégré le DIF dans les pratiques de gestion des ressources humaines des grandes entreprises et le Medef estime, comme les organisations syndicales, ne pas disposer d’un temps suffisamment long pour travailler le sujet avec des fédérations vis-à vis desquelles il ne souhaite pas entrer en conflit dans une période par ailleurs difficile sur le plan interne.

Un autre point de conflit à l’intérieur du camp patronal est celui de la suppression de l’obligation légale pour lui substituer des obligations de nature conventionnelle. Au delà du refus catégorique de la CGPME, lié au souhait de préserver l’existence de l’Agefos-PME, et des réserves de l’UPA atta- chée à la mutualisation, la position de repli du Medef, qui en accord avec les organisations syndi- cales préfère ne pas aborder le sujet, s’explique par la pluralité des intérêts en cause en son sein et la difficulté de les concilier sur un laps de temps jugé trop court. Il est clair que la question de la re- mise en question de l’obligation légale ne fait pas consensus au sein des différentes fédérations pa- tronales. Si l’UIMM a clairement affiché son hostilité à cette suppression, tel n’est pas le cas de la fédération française de la formation professionnelle qui y est favorable. Peu attachée aux institu- tions paritaires dans lesquelles elle voit une entrave au principe de libre concurrence devant s’appliquer au champ de la formation professionnelle, la FFP a toujours plaidé la cause de la sup- pression de l’obligation légale qui vient alimenter l’activité et les fonds des Opca, un intermédiaire dont cette fédération conteste la légitimité.

Les modifications de la gouvernance au sein de l’UIMM et du Medef depuis le début de l’année 2008 ont conduit à la mise en avant de conceptions plus solidaires au sein du monde patronal et ont donc permis à l’UPA de faire mieux valoir son point de vue lors de la négociation de l’accord de 2009. Par ailleurs, l’UPA tente de maintenir sa capacité d’initiative et son autonomie en incluant la formation parmi les objets de délibération des nouvelles Commissions paritaires régionales inter- professionnelles de l’artisanat (CPRIA) afin de, selon le négociateur de l’UPA, « conforter le parita- risme au niveau territorial et régional » en coordonnant l’action de ces instances avec celle du futur Opca de l’artisanat conçu avec une implantation territoriale et régionale qui lui soit propre. Toute- fois ; cette situation pourrait évoluer dans la mesure où, dans les recompositions en cours suite à la loi de 2009 et à ses obligations en termes de seuils de collecte pour les Opca, la Capeb a finalement décidé, alors que les discussions sur l’édification d’un Opca de l’artisanat étaient assez avancées, que son Opca rejoindrait un Opca de la construction en cours d’élaboration en y maintenant une section spécifique. Conjointement à l’indépendance des services de l’automobile, cette décision pourrait affaiblir la stratégie d’autonomie de l’UPA en matière de formation et vient confirmer la difficulté de faire prévaloir la logique interprofessionnelle sur la logique professionnelle.