• Aucun résultat trouvé

Retour aux communautés d’usagers

2.5 Travailler et documenter “en LSF”

2.5.3 Retour aux communautés d’usagers

Lors des rencontres Sign Language Translation and Avatar Technology 2015, les participants qui s’apprêtaient à présenter un outil de traduction ou d’aide à la traduction devait répondre à la question : “Motivations for the system : what need is addressed ? What help does it bring ? ” et l’un des intervenants, Alain Bacci, interprète impliqué à différents titres dans la réflexion autour de la conception de ces outils, a rappelé le caractère essentiel de cette consultation des usagers signeurs à toutes les étapes de l’élaboration et de la diffusion des systèmes. Faute de quoi, les concepteurs prennent le risque d’élaborer des outils de haute technicité, mais peu ou pas utilisés.

Dans le cadre de l’élaboration des outils d’évaluation de la LSF, nous avons donc essayé à chaque étape de favoriser cet échange avec les usagers en pré-sentant les projets, en consultant les équipes pédagogiques, en rendant compte des premiers résultats, que nous confrontons aux expertises des enseignants des élèves sollicités pour passer les tests pilotes par exemple. Nous faisons de même avec les projets autour du troisième âge signeur, auxquels sont associées nos collaboratrices et relais auprès des milieux associatifs.

L’implication de cette démarche systématique est de rendre accessible et de documenter en LSF les résultats et applications de la recherche linguistique, tout comme il est logique de rendre accessible en LSF, ou en forme hybride et vidéographique, l’ensemble de l’information de quelque nature qu’elle soit, en recourant aux nouvelles technologies, et au numérique en particulier (Lefebvre-Albaret & Segouat 2016). Il ne s’agit pas, la plupart du temps d’une traduction en LSF, ni systématique ni intégrale, de nos travaux, mais bien plus d’un pro-cessus au long cours, d’une aspiration à adapter au contexte de surdité et à documenter de plus en plus systématiquement en LSF les recherches en linguis-tique, qu’elles concernent le langage en contexte de surdité ou d’autres thèmes du domaine. Dès lors que la direction de recherches peut consister à orienter, à accompagner des étudiants et suivre des collaborateurs sourds, on ne pourra que constater une nécessité croissante pour ce va-et-vient entre les langues.

Concrètement, dans nos réseaux et autour de nos travaux, cela correspond à intégrer des messages vidéo dans la communication professionnelle médiée par téléphone ou ordinateur, à diffuser des informations dans les deux langues sur Internet (synthèse de travaux51, traduction52et interprétation53de conférences, à adapter en LSF des formulaires de consentements, à constituer des glossaires thématiques dans les deux langues (MarqSpat, Laboratoire poétique...).

2.6 En conclusion de ce chapitre

Les méthodes employées pour décrire et analyser les usages en langue(s) des signes sont intimement liées avec la façon dont on considère le système linguis-tique étudié, la place des usagers et de la situation de recueil, les enjeux

sociolin-51http://www.umr7023.cnrs.fr/marion-blondel

52http://www.lairedu.fr/media/video/conference/existe-t-il-des-sms-pi-sourd

guistiques et applicatifs des études déployées. Notre positionnement théorique, qui a évolué entre formalisme et fonctionnalisme, se reflète dans des collectes de données de nature variée, plus ou moins contraintes, où nous recherchons l’équi-libre entre le respect de situations de communication naturelle et des contraintes techniques ciblées sur les questions de recherche, comme la prise en compte des marqueurs prosodiques du discours en LSF par exemple.

Le passage progressif de l’exploitation de données vidéos à l’exploitation de données augmentées, notamment grâce à la capture de mouvement, nous per-met d’envisager des mesures et des analyses (articulatoires) de grain plus fin et relativement plus objectives. Nous restons néanmoins consciente des limites de cette objectivité, en ayant constaté, tout au long de ce parcours de recherche, que les observations du ou de la chercheur.e sont orientées par ses hypothèses de recherche et, par conséquent, par les filtres et seuils choisis pour sélection-ner les informations pertinentes dans la masse de données que nous livrent les enregistrements. Nous avons ainsi souligné la dimension non-manuelle des mar-queurs prosodiques sans pouvoir encore étudier de manière adaptée les micro-mouvements du visage. Bien que nous restions attentive à la portée sémantique de ces mouvements faciaux, nous devons garder à l’esprit qu’ils restent encore dans l’angle mort de notre étude via la capture de mouvements.

Dans le même souci de contrôler l’impact des choix théoriques sur l’ana-lyse des données, nous nous sommes continuellement interrogée sur les systèmes d’annotation à adopter, en continuant d’utiliser des systèmes de transcription passant par la langue écrite environnante, tout en restant vigilante sur les biais ainsi introduits. C’est ainsi que nous nous sommes interrogée sur la pertinence de la dichotomie nom/verbe dans l’étiquetage des signes lexicaux.

Les biais introduits par les choix d’annotation nous sont apparus de plus en plus clairement à mesure que nous passions d’une recherche avecinformatrices et informateurs sourds, à une recherche avec des collaboratrices et collabora-teurs sourds. Quand la LSF devient la langue de travail, l’explicitation des termes et catégories utilisés devient obligatoire et souligne l’unité et la diversité des langues. Ainsi, au cours des séances du Laboratoire poétique, nous avons collectivement constaté le besoin d’établir un glossaire bilingue, autour de no-tions telles quelittérature, rythme, silence, pour envisager ces notions dans toute ’l’épaisseur’ de leur sémantique, selon le lexique que nous utilisions en LSF ou en français.

L’ensemble des remarques de cette section liée à la méthodologie nous conforte dans la valorisation de cette dimension fondamentale des langues des signes en tant que langues incarnées. Le caractère incarné de la LSF a orienté i) notre choix de données en usage, avec des moyens techniques augmentés, ii) notre choix d’annotation conciliant l’économie, la lisibilité du français écrit et la lo-gique des gloses d’identification qui sont distinctes de traductions, iii) notre choix decollaborer de plus en plus, en LSF, avec des personnes sourdes.

Publications*, directions de volumes et communications en

lien avec ce chapitre

Khomsi, A., Tuller, L., Blondel, M. & Delage. H. 2007. Bilan de langage audio-visuel (BILAV). Version expérimentale, 2007.

Tuller, L., Blondel, M., Khomsi, A. & Delage, H. 2007. Un bilan de langage audiovisuel adapté aux collégiens sourds. Rapport de recherche, 2007.

Blondel, M., Boutora, L. & Parisot, AM. 2009. “Inventaire et mesures du marquage spatial dans la grammaire des langues des signes” Communication orale, CILS, Namur (Belgique).

Blondel, M. 2011. “Mouvements de tête et tronc (bis) : étude exploratoire des relations entre structure informationnelle et prosodie”. conférence invitée, Université Grenoble Stendhal les 20 et 21 octobre.

Blondel M. & Boutet D. 2011. “Annotation des langues des signes... et plus généralement de la gestualité humaine”, communication orale, Ecole thématique du CNRS sur l’annotation de données langagières 10 au 16 septembre à Biarritz. *Boutet D., Blondel M., Caët, S., Beaupoil P. & Morgenstern, A. 2011. Tu pointes ou tu tires ? ! Annotation des pointages d’un ‘entendant vocalo-gestualisant’.Actes de la conférence DEfi GEste Langue des Signes, Montpellier le 1er juillet, lors de la conférence TALN. [disponible en ligne]

*Boutet, D., Martel, K. & Blondel, M. 2012. Par où couper pour aller à la plage ? In A. Braffort, L. Boutora & G. Sérasset (eds),Actes de la conférence conjointe JEP-TALN-RECITAL Défi GEste Langue des Signes (23-39).

Blondel, M., L’Huillier M.-T., Yim, T. & Châteauvert, J. 2013. “Variations poétiques pour un tango à quatre mains. Dyades chercheurs-artistes pour une recherche en langues des signes”, communication orale 2e Colloque international de réadaptation sur la surdité, la surdicécité et les troubles du langage et de l’audition, Institut Raymond-Dewar, 2-3 mai.

Blondel, M., D. Boutet, Hould, C. & Parisot A.-M. 2013. “Les langues dans l’espace. Dyades sourds-entendants pour un tango franco-québécois”, communi-cation orale 2e Colloque international de réadaptation sur la surdité, la surdi-cécité et les troubles du langage et de l’audition, Institut Raymond-Dewar, 2-3 mai.

*Boutet, D. & Blondel, M. 2016. Les corpus de Langue des Signes Française. In A. Braffort (ed.) La Langue des Signes Française (LSF) : modélisations, ressources et applications (47-85). Collection Sciences cognitives, ISTE éditions.

Boutet, D., Blondel, M. Vincent, C. Guez, J. Jégo, J.-F. 2016. “CIGALE : dispositif artistique d’interaction gestuelle avec un avatar”, communication orale, journées d’étude “Making sense together”, Laboratoire SFL CNRS, 23 Sept.

Blondel, M., Boutet, D. & Vincent, C. 2017. “LSF interactions in elderly signers : Insights from motion capture ?” communication affichée Corpora for Language and Aging Research (CLARe3), Mar 2017, Berlin, Germany.

Blondel, M. & Catteau F. 2018. “La poésie en langue des signes : saisir le geste à l’aide d’outils de capture de mouvement”, conférence invitée lors de la journée d’étude “Filmer le geste artistique : aspects méthodologiques et archives

numériques” mercredi 19 décembre à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord.

*Tramus M-H, Chen, C-Y., Guez, J., Jégo, J-F., Batras, D., Boutet, D., Blondel, M., Catteau, F. & Vincent, C. 2018. Interaction gestuelle improvisée avec un acteur virtuel dans un théâtre d’ombres bidimensionnelles ou au sein d’un univers virtuel en relief : l’illusion d’un dialogue ? In M. Almiron, E. Jacopin & G. Pisano (eds).Stéréoscopie et illusion (281-299). Presses universitaires du Septentrion.

Caët, S. & Blondel, M. 2018. “Comment évaluer la structure des récits d’en-fants signeurs ? Questions de méthode et premiers résultats pour la langue des signes française” communication orale lors des IIIè Rencontres Interdisciplinaires franco-brésiliennes Université Paris 8, du 29 octobre au 2 novembre.

Blondel, M. & Caët, S. 2018. “How to assess the content and grammaticality of narratives ? Methodological issues and first results on French Sign Language” communication orale, Sign Language Acquisition and Assessment Conference, Haïfa, Israël, November 19-21.

Blondel, M., Boutet, D., Catteau, F. & Vincent, C. 2019. “Signing ampli-tude in older signers of the SignAge Corpus : Insights from motion capture”. communication affichée CLARe4, Helsinki.

Vincent, C., Blondel, M., Boutet, D. & Catteau, F. 2019. “The SignAge Corpus : Recording older signers with low cost motion capture devices”. com-munication affichée CLARe4, Helsinki.

3 Le registre poétique comme révélateur de la

structure linguistique

Les langues des signes constituent un domaine privilégié pour mettre à l’épreuve les théories linguistiques, ainsi que nous espérons l’avoir montré en section 1. C’est ce que nous avons envisagé en entreprenant nos premiers travaux de re-cherche sur le registre poétique dans les langues des signes. Pourquoi aborder ces questionnements fondamentaux via la poésie (Blondel 2016), et en particulier par le registre folklorique enfantin (Blondel 2000) ? Nous répondrons en trois temps : i) en considérant (section 3.1) la dimension incarnée de ce patrimoine littéraire, relevant de la littérature de performance ; ii) en soulignant (section 3.2) le pouvoir révélateur du registre poétique pour un certains nombre d’as-pects structurels et en soulignant les régularités observées à travers la variété des registres poétiques ; iii) en nous attardant enfin (section 3.3) sur un autre filtre d’analyse pertinent, celui de la traduction poétique intermodale.

Dans le cadre de notre thèse nous avons recueilli une cinquantaine de comp-tines dans sept langues des signes. Ce corpus a été complété par la suite par une série de collaborations avec des autrices de formes pédagogiques (pour un échantillon publié, cf. le projet du Centre Laplane auquel nous avons participé

54). En ce qui concerne la poésie adulte, un certain nombre d’oeuvres ont pré-sentées dans le cadre du Laboratoire poétique, lors du Festival Voix Vives ou d’autres lectures publiques, ainsi que diffusées dans l’Anthologie des mains fer-tiles (comme évoqué en section 2.4.2). Il nous est difficile de faire la somme exacte des oeuvres consultées ou des auteurs et autrices concernées, mais il est raisonnable de considérer que ces nombres dépassent une trentaine d’auteurs et une cinquantaine de poèmes, comptines et chansignes.

3.1 Les enjeux culturels de la poésie en langue(s) des

signes

Nous ne reviendrons pas sur le siècle d’interdiction des langues des signes comme langues d’enseignement en Europe, ni sur le “réveil sourd” qui a été observé en France au début des années 80, parce que ce sont des sujets qui sont bien décrits et documentés dans plusieurs monographies et articles dans le cadre des études sourdes, ou deaf studies (Bertin 2010 ; Kerbouc’h 2012, entre autres). En revanche, nous souhaitons souligner ici l’impact de ces événements socio-historiques sur la littérature en langue des signes et décrire les liens ainsi noués entre recherche linguistique et création poétique.

3.1.1 Questions d’identité, de création et de transmission en contexte