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Les langues ’vocales’ sont en réalité des systèmes multimodaux130

Dans le document Les langues des signes, des langues incarnées (Page 132-135)

4.3 Apport de la capture de mouvement dans l’appréhension du flux signé119

4.4.3 Les langues ’vocales’ sont en réalité des systèmes multimodaux130

non pas pour assimiler les langues des signes aux langues vocales mais bien plus pour réinterroger les a priori en vigueur sur les langues ’vocales telles qu’elles sont parlées’. Ainsi, Adamo-Villani et Wilbur (2015 : 308) considèrent que, pour une langue parlée, la plupart des articulateurs impliqués sont cachés et que, mise à part la lecture labiale, ce qui est visible est non pertinent. Pourtant, les études consultées en multimodalité et en perception visuelle de la prosodie vo-cale nous montrent que c’est assez réducteur. De même, quand Wilbur et Malaia (2018 : 19) suggèrent que le recours aux traits cinématiques devrait être un train commun à toutes les langues des signes via le processus de grammaticalisation de la physique et de la géométrie à des fins linguistiques, nous suggérons de compléter cela avec la grammaticalisation observable dans la gestualité cover-bale.

Par ailleurs, il serait intéressant d’explorer plus avant la distinction entre articulateurs faciaux du haut du visage et articulateurs faciaux du bas du visage. Pour les langues des signes, Adamo-Villani et Wilbur (2015) suggèrent que les marqueurs du haut du visage correspondent à des portées sur des domaines plus larges (syntagmes, propositions) alors que les marqueurs du bas du visage correspondent à des portées plus réduites (’noms, verbes’) avec une fonction ’adjectivale/adverbiale’. Or pour les langues parlées également, une distinction peut être effectuée : Swerts et Krahmer (2008) montrent que la partie supérieure du visage a une valeur de repère plus forte pour la détection de proéminence que la partie inférieure.

Il est donc risqué scientifiquement de réduire le niveau intonatif aux mar-queurs non manuels en occultant la dimension manuelle de l’intonation des langues des signes comme il est également dommage d’occulter les liens ténus entre intonation vocale et gestualité dans les langues parlées (Cecchetto et al. 2009 : 31269).

69“Spoken languages do not display this kind of multidimensionality, since distinct intona-tional patterns cannot overlap. This difference explains why the role of prosody is much more pervasive in sign languages, as shown by the fact that NMMs are massively used to grammat-ically mark diverse phenomena like agreement, tense, focus, topic, subordination, questions, negation, and so forth. Since sign languages are intrinsically multidimensional, the fact that manual information about WH-movement may ‘redundantly’ coexist with the WH-NMM is expected, and it would be strange if things were otherwise.”

4.4.4 En conclusion de ce chapitre

Nous avons essayé de montrer que la prise en compte de l’interaction entre arti-culateurs manuels et non manuels contribue à l’analyse fine de la prosodie dans les langues des signes, et, d’autre part, qu’une analyse similaire peut être utilisée pour aborder cette question dans la production multimodale des entendants.

Le statut prosodique des repères manuels, non manuels, et non discrets dans les langues des signes est parallèle au statut prosodique des repères non verbaux et des repères vocaux non discrets dans les langues parlées. Dans les deux cas, il semble pertinent de considérer l’impact des repères phonétiques en termes de contraste versus continuité (dans l’espace, la hauteur ou la structure rythmique) plutôt que d’attribuer une fonction prosodique à chaque événement gestuel pro-prement dit (vocal ou non). Il nous semble que la question de l’interaction entre les paramètres manuels et non manuels dans les langues des signes va au-delà de l’attribution d’une étiquette émotionnelle ou linguistique et contribue égale-ment à l’analyse fine du rôle de la prosodie dans la transmission du sens dans les langues des signes aussi.

En introduction de ce mémoire, nous nous sommes située dans une approche descriptive plutôt que dans une approche visant l’élaboration d’un modèle, mais nous pourrions reformuler cela à la lumière des études présentées de manière synthétique dans la section 4 en faisant le constat d’une démarche conciliant étude de la substance et abstraction, description des régularités observées dans le flux gestuel et confrontation des catégories ainsi observées à celles définies par les hypothèses théoriques (Avanzi & Delais-Roussarie 2011 : 4).

Par ailleurs, soulignons que nous rejoignons le souci des chercheurs en pro-sodie des langues vocales quant à la représentation et à la notation des phéno-mènes prosodiques en langue(s) des signes. A fortiori parce que, comme nous l’indiquions en section 2.3, cette question a un lien étroit avec la démarche adop-tée et les analyses proposées, y compris lorsque l’on souhaite rester dans une démarche relativement indépendante des a priori théoriques (Delais-Roussarie & Yoo 2011).

Publications*, directions de volumes et communications en

lien avec ce chapitre

*Blondel, M. 2003. Saillance linguistique dans une langue à modalité gestuelle. Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, Tome XIII, 187-203.

*Blondel, M. & Le Gac, D. 2007. Entre parenthèses...y a-t-il une intonation en LSF ? Silexicales 5, 1-16.

Blondel, M. 2009. “Prosody and iconicity in Sign Languages”, communication orale, PROSICO, colloque international Rouen, 9-10 avril.

Blondel, M. 2011. “Pourquoi les linguistes s’intéressent-ils aux langues des signes ? Introduction à la prosodie des LS”, communication orale invitée pour la Journée “Accessibilité et langue des signes française”, colloque organisé par Surdipole, en partenariat avec le Conseil Général de l’Oise.

Blondel, M., Boutet, D. & Delacroix, S. 2014. “Looking for prosodic patterns in LSF and coverbal gestures. What about (de)synchronization?” communica-tion orale lors du colloque From Sound to Gesture: Communicacommunica-tion as speech, prosody, gestures and signs. Université Padoue Italie 21-23 mai.

5 Acquisition de la LSF : Interface geste / signe

et grammaticalisation

Nous nous sommes penchée sur la question de l’acquisition des langues des signes après avoir exploré les ressources linguistiques à l’oeuvre dans le registre poétique enfantin. Il y a une certaine contiguïté ou continuité entre les formes poétiques que l’on adresse à l’enfant, le langage (plus généralement) adressé à l’enfant en langue des signes (Blondel 2001), les interactions parent-enfant dans ce contexte bimodal et enfin l’acquisition d’une langue des signes. Ayant engagé, dès le début de notre parcours scientifique, une recherche des universaux, fondée sur la description des usages, tout en soulignant la dimension incarnée partagée par langues des signes et langues parlées, nous avons tout naturellement pri-vilégié les domaines de l’acquisition où ces différents aspects étaient saillants. L’essentiel de notre recherche en acquisition s’appuie donc sur un corpus longi-tudinal bilingue bimodal, d’une enfant entendante, de père sourd signeur et de mère entendante bilingue, dans un contexte de recueil d’interactions naturelles. Nous avons considéré un certain nombre de sous-thèmes dans l’exploration de ce corpus bilingue bimodal : le babil, et l’émergence de patrons prosodiques, l’émergence du lexique et ses caractéristiques phonologiques, le pointage manuel et sa grammaticalisation, l’expression de la négation (section 5.1 à 5.4.3). Nous avons mené ces recherches en collaboration avec d’autres chercheuses qui s’ins-crivaient dans des perspectives théoriques variées, pour peu à peu nous concen-trer sur une approche interactionniste et fonctionnelle. Nous souhaitons en effet combiner les démarches empiriste et cognitiviste, en recherchant la continuité anatomique et fonctionnelle qui permet au tout-petit d’organiser son système en tenant compte, d’une part de ses contraintes motrices et perceptives, et d’autre part de l’interaction avec son environnement.

5.1 Acquisition et prosodie des LS

Etudier la prosodie chez de très jeunes enfants représente un défi, celui du re-pérage, de la sélection et du classement de formes en émergence, autrement dit dans un continuum entre des formes relativement instables aux contours indé-terminés et des formes relativement discontinues et stabilisées. Ce défi mérite d’être relevé parce que ce terrain des tout-petits permet d’étudier l’émergence et l’évolution de formes sur un laps de temps très court : c’est un effet loupe pour repérer et décrire plus facilement des paramètres pertinents. En outre, on découvre chez l’enfant des constructions qui lui sont propres et qui soulignent, pour ce qui nous intéresse ici, la pertinence des paramètres prosodiques dans l’acquisition d’une LS.

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