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L’approche fonctionnelle d’une langue en usage conduit assez naturellement à se préoccuper de la dimension applicative de la recherche qui lui est associée. C’est donc en lien étroit avec les besoins et préoccupations des usagers que nous menons nos recherches, que nous choisissons les méthodes d’analyse et que nous concevons les outils issus de ces recherches. Les applications de nos recherches ont principalement concerné la question des outils d’évaluation des compétences en LSF ainsi que la mise en valeur de cette langue dans sa dimension créative, notamment dans le registre littéraire, et poétique en particulier.

2.4.1 Outils d’évaluation des compétences en LSF

Dès nos premiers travaux en acquisition d’une langue des signes, et alors que nous nous concentrions sur un cas d’acquisition bilingue précoce d’une enfant entendante (Blondel & Tuller 2002-04), nous avons été sollicitées sur les autres dimensions de l’acquisition en contexte de surdité : acquisition d’une langue des signe pour l’enfant sourd, lorsque qu’elle n’est pas la langue première de la famille, et acquisition du français par l’enfant sourd, dans toute l’hétérogénéité des contextes familiaux et des parcours linguistiques.

BILAV* et EVASOUR* En collaborant avec des psychologues, des ortho-phonistes et des linguistes, nous avons contribué à l’adaptation d’un bilan de

langage informatisé aux adolescents sourds (BIL-AV pour Audio-Visuel) (Tuller et al. 2007 ; Trackoen 2007 ; Khomsi 2007 ; Delage 2008). Nous avons ensuite en-trepris de combiner des évaluations des compétences langagières incluant la LSF, le français dans sa modalité orale incluant le volet gestuel, dans un projet qui a constitué les premières étapes dans la constitution d’un réseau de chercheur.e.s (EVASOUR 39

). L’intérêt de cette association entre recherche fondamentale, applications cliniques et pédagogiques est de maintenir un équilibre des points de vue qui place l’enfant, le jeune usager, au coeur du processus de réflexion et d’intervention.

SignMET* Le projet européen Sign Languages : Methodologies and Evalua-tion Tools40

a pour objectif de développer des outils et des méthodologies d’éva-luation des compétences en langue des signes chez des enfants de 4 à 11 ans. Le projet (2013-2015) nous a permis de développer un test pilote comprenant des tâches évaluant des compétences générales en LSF : un test de répétition de phrase (SRT-LSF ), un test de production de récit, un test de compréhension de récit. Les deux premières épreuves ont été soumises à une quarantaine d’enfants entre 4 et 11 ans ainsi qu’à une quinzaine d’adultes pour constituer un groupe de référence de la langue cible. Les premiers résultats se concentrent sur des scores de production d’unités événementielles structurant la narration, complé-tés par des scores de conformité lexicale ou grammaticale des unicomplé-tés produites. Les données restent en cours d’analyse et ont été associées à une réflexion plus large sur i) les grilles de cotation les plus appropriées (selon un objectif orienté ’recherche’ pour la tâche de répétition, et un objectif orienté ’recherche et di-dactique’ pour la tâche de narration), ii) les guides de cotation, et iii) pour la tache de production, l’élaboration d’une interface informatisée (Figure 18). EvaSigne* En partie adossé à SignMET, le réseau de projets autour des ou-tils d’évaluation et de diagnostic s’est étoffé dans le cadre d’un programme de recherche soutenu par l’Université Paris Lumière, EvaSigne (2014-17) qui asso-cie les deux universités Paris8 et Paris10, mais également les Centre Laplane, INSHEA, INJS et à travers ces institutions, des linguistes, orthophonistes, for-mateurs et formatrices dans un réseau clinique, pédagogique et linguistique. Là encore, nous recherchons le juste équilibre entre les limites et contraintes liées à la réalisation et la faisabilité des tests et le lien avec les corpus plus ’écologiques’ qui viennent compléter les données expérimentales. Ainsi, Blondel (2012) étu-die qualitativement une activité de classe autour du récit en LSF, appuyé sur

39Projet soutenu par la DGLFLF en 2006-07 avec “Validation d’un test d’évaluation des compétences linguistiques de l’enfant sourd en langue des signes permettant d’évaluer des enfants de 3 à 13 ans” (Cyril Courtin, CNRS, Laboratoire GIN, Paris 5) ; “Evaluation du français des adolescents sourds” (Laurie Tuller, Laboratoire Langage et handicap, Université François-Rabelais, Tours) ; “Pratiques communicatives d’un groupe de jeunes sourds adultes” (Agnès Millet, Université Stendhal, Laboratoire Lidilem, Grenoble).

40Ce programme est financé dans le cadre des Life Long Learning Projects de l’Union européenne et plus précisément par l’Agence Exécutive d’Education, Audiovisuel et Culture (EACEA). La partie française est sous la responsabilité de Aliyah Morgenstern (Sorbonne Nouvelle).

Figure 18 – CotaSigne, interface informatisée pour la tâche de production de récit

des albums illustrés auquel peuvent faire écho les extraits autour des histoires ’pour aller dormir’ dans le corpus Signes en Famille,41

qui par ailleurs pourra encore être exploité pour confronter un certain nombre d’observations faites dans les données élicitées par les tests (structures prédicatives en interaction, cf. Puissant-Schontz, thèse en cours) ; pointage, référence personnelle et expres-sion de la négation, cf. section 5). Notre contribution à la réflexion autour de la constitution d’un corpus de comptines en LSF (Vourc’h et al. 2018) remplit aussi ce double objectif : participer la recherche appliquée dans la constitution de ressources linguistiques, culturelles et pédagogiques tout en confrontant ainsi à de nouvelles données les observations de la recherche fondamentales (Blondel 2000 ; 2010 pour le folklore enfantin).

SignAge* Cette même dualité entre recherche fondamentale et appliquée, ou entre données expérimentales et constitution de corpus d’interactions, s’illustre dans un volet ’tout au long de la vie’ (lifespan), qui nous éloigne d’une population de très jeunes signeurs pour nous conduire à nous interroger sur les éventuelles spécificités et variations de la LSF avec le vieillissement, en incluant le troisième âge (section 2.2). Ce projet prend place dans un réseau international,Corpora for Language and Aging Research, qui s’efforce de mettre en commun des études interdisciplinaires, linguistiques et cliniques, pour là aussi, faire en sorte que la recherche fondamentale contribue à une amélioration de la prise en charge linguistique des aînés, et contribue à rendre plus efficients les outils d’évaluation et de diagnostic.

2.4.2 Pratiques artistiques

Nous avons exposé en section 2.2 les expérimentations servant la conception d’outils pour l’analyse du mouvement (comparables à la capture du son et à sa transcription), mais les projets “arts et sciences” se sont également déclinés en des installations et dispositifs ouverts au public comme Interacte42

lié au projet CIGALE. Cette installation propose au public d’improviser par le geste avec un acteur virtuel. Le dialogue gestuel peut se nouer par l’intermédiaire des ombres projetées du ’spect-acteur’ et de l’avatar sur l’écran, ou encore au moyen d’un casque de réalité virtuelle plongeant ’l’interacteur’ dans un face à face avec l’avatar au sein son univers virtuel imaginaire. Dans Tramus et al. (2018), nous étudions notamment les ajustements réciproques entre acteur réel et acteur virtuel, en nous appuyant sur le modèle en schémas d’action de Boutet (2008 ; 2010) et les liens que l’on peut ainsi observer avec la gestuelle du langage adressé à et produit par l’enfant.

Le volet poétique de CIGALE est prolongé et étendu par un volet de tra-duction vocale dans les travaux de Master et de thèse de Fanny Catteau, cette étude permet de confronter de nouvelles données recueillies en contexte de per-formance aux propositions théoriques qui ont découlé de nos travaux antérieurs, comme l’analyse du rythme d’une littérature de performance en LSF (section 3.2.2) ou le repérage de procédés d’emphase (section 4).

La réflexion plus ample autour des enjeux de la traductionde et vers la LSF a été menée en lien avec la constitution de corpus d’entretiens, de recueils écolo-giques de performances, tant pour les besoins de recherche que pour leur archi-vage et transmission. Associant des poètes entendants et sourds, des interprètes et traducteurs, des linguistes et des artistes, le “laboratoire poétique” initié par l’association Arts Résonances nous a confrontée à l’expérience des ateliers de création et de traduction de et vers la poésie en langues des signes et donné l’occasion de mettre à l’épreuve une série d’observations et d’expérimentations sur le registre poétique. Ces travaux ont donné lieu à des publications adressées à des publics scientifiques ou de spécialité professionnelle (cf. 3) ainsi qu’à des applications sous la forme d’organisation d’ateliers pédagogiques43

, d’animation de scènes de lecture et débat44

, et d’une valorisation systématique de la LSF comme l’une des langues de France, au patrimoine littéraire peu connu encore45

. La particularité et la richesse de ces dimensions applicatives auprès de publics

42Installation de réalité virtuelle, conçue en 2015, par nos partenaires de l’INREV, Judith Guez, Jean-François Jégo, Dimitrios Batras, Marie-Hélène Tramus.

43“La poésie vous fait signe”, ateliers d’écriture, de traduction et de création poétique en français et en langue des signes française. Projet amorcé dans le cadre du prin-temps des poètes en mars 2014, il a été reconduit en février 2015. Ces ateliers ont été proposés aux élèves sourds et entendants du lycée Sembat à Sotteville-lès-Rouen, ont été animés par l’association Arts Résonances et ont été filmés par le service audio-visuel de l’Université de Rouen. Une présentation ainsi qu’un lien vers le film sont dis-ponibles à ces adresses https://webtv.univ-rouen.fr/permalink/v1253a8f2e2705wwe969 et https://webtv.univ-rouen.fr/permalink/v1253a8f2f4f10h6p15h.

44Animation de la scène “Lecture et signes” du Festival de poésie Voix Vives de Sète, juillet 2015, 2016 et 2018 : Un poète et son traducteur en langue des signes.

mixtes résultent de ce que nous effectuons la recherche sur la langue et dans cette langue.