Chapitre 2. Défauts de vascularisation utéro-placentaire chez la femme
2.2 Retard de croissance intra-utérin d’origine vasculaire placentaire
Le retard de croissance intra-utérin (RCIU) est une entité polymorphe dont les causes
sont multiples. Les termes de petit poids de naissance et petit poids pour l’âge
gestationnel ne sont pas équivalents.
Les enfants avec un petit poids de naissance sont ceux pesant moins de 2 500g
quel que soit l’âge gestationnel. Un RCIU survient lorsque, à l’échelon individuel, le
fœtus ne peut réaliser son potentiel génétique de croissance, soit parce que des
anomalies de la grossesse l’empêchent de réaliser ce potentiel (il y a alors une
restriction de la croissance), soit parce que des phénomènes extérieurs modifient ce
potentiel.
Selon les recommandations du collège national des gynécologues et
obstétriciens français (CNGOF) en 2015 [85], le petit poids pour l’âge gestationnel
(PAG, anglais : small for gestational age, SGA) est défini par un poids isolé
(estimation pondérale in utero ou poids de naissance) inférieur au 10
epercentile. Le
PAG sévère correspond à un PAG inférieur au 3
epercentile. Le RCIU correspond le
plus souvent à un PAG associé à des arguments en faveur d’un défaut de croissance
pathologique : arrêt ou infléchissement de la croissance de manière longitudinale (au
moins 2 mesures à trois semaines d’intervalle) (accord professionnel). Plus rarement,
un RCIU peut correspondre à un défaut de croissance, avec un poids proche du 10
epercentile sans être PAG. Le terme de RCIU est plus approprié quand il est prouvé
que la croissance du fœtus ou du placenta est limitée, cependant, si le diagnostic est
basé sur le poids de naissance, la restriction de croissance fœtale (ou fetal growth
restriction, FGR) est plus approprié.
Ici interviennent les notions de potentiel génétique et de normes ajustées aux
facteurs physiologiques influençant le poids fœtal. Les causes vasculaires placentaires
représentent classiquement un tiers à 50% des RCIU. Les causes de RCIU non
vasculaires sont très variables (toxiques, environnement maternel, pathologies
métaboliques, anomalies chromosomiques, maladies génétiques, malformations
congénitales, fœtopathies infectieuses, grossesses multiples, RCIU idiopathiques) et il
en est de même de la physiopathologie sous-jacente.
Ces maladies se caractérisent toutes par une réduction de l’apport sanguin
maternel au placenta, par une diminution du débit utéro-placentaire et une
perturbation des échanges materno-fœtaux.
2.2.1. Epidémiologie
L’incidence de survenue des RCIU dépend du seuil fixé, en termes de percentiles le
plus souvent. Selon Miller [86], les RCIU non diagnostiqués seraient responsables de
50% des MFIU inexpliquées à terme. De plus, il est établi que les enfants ayant un
poids de naissance inférieur au 10
epercentile attendu ont des taux de morbi-mortalité
significativement plus élevés que les enfants eutrophes et ce, indépendamment du
terme de l’accouchement. Ces fœtus doivent être repérés pour mettre en place une
surveillance adéquate et permettre une extraction anticipée si nécessaire, sans induire
de prématurité inutile chez les fœtus de petit poids constitutionnel, chez qui une
naissance anticipée n’améliore en aucun cas le pronostic.
Par ailleurs, il est maintenant démontré que les enfants qui ont souffert d’une
restriction de la croissance en période anténatale ont un risque plus important de
développer à l’âge adulte des pathologies cardio-vasculaires (pathologie coronaire,
HTA…), des dyslipidémies, du diabète, une obésité…. Il semblerait que les
mécanismes métaboliques de compensation mis en place pendant la vie intra-utérine
pour pallier aux manques d’apports aient un effet néfaste ex utero surtout en cas de
surcharge glucidique et lipidique.
2.2.2. Physiopathologie du RCIU vasculaire placentaire
Le retard de croissance intra-utérin ou la restriction de croissance fœtale sont
aujourd’hui définis comme l’échec du fœtus à réaliser son potentiel de croissance.
L’ensemble des concepts concernant le RCIU reste très débattu, tant en termes de
définitions, de classifications, de diagnostic ou de prise en charge.
Le RCIU d’origine vasculaire placentaire concerne des fœtus indemnes de
toute pathologie constitutive, mais n’ayant pu réaliser leur potentiel génétique de
croissance en raison d’un défaut d’apports par le placenta. Les études portant sur le
RCIU sont très hétérogènes, les étiologies de RCIU étant multiples et la définition
précise n’étant souvent qu’imparfaitement étayée par les différents auteurs. Il n’est
par ailleurs pas toujours fait clairement la différence entre les RCIU vrais et les PAG,
groupe incluant des RCIU d’origine vasculaire placentaire mais également des fœtus
eutrophes de petit gabarit constitutionnel.
Plusieurs mécanismes physiopathologiques semblent jouer un rôle dans la
survenue d’un RCIU.
Anomalies du remodelage vasculaire myométrial
Un défaut de remodelage myométrial ne permet pas l’augmentation adéquate
du débit sanguin maternel requise pour le bon développement fœtal. Il peut donc en
résulter un RCIU par défaut d’apports nutritionnels et en oxygène. Dans un modèle
expérimental chez le rat, un défaut de remodelage des artères spiralées induit
expérimentalement entraînait un RCIU et un syndrome prééclamptique [87]. En
clinique, ce mécanisme peut être évoqué en cas de RCIU avec anomalies Doppler des
artères utérines (résistances élevées qui reflèteraient l’insuffisance du réseau
vasculaire myométrial et « notchs » qui reflèteraient le défaut de remodelage de la
paroi des artères utéro-placentaires). A l’examen anatomopathologique du placenta on
retrouve habituellement des lésions vasculaires (dépôts de fibrine dans la chambre
intervilleuse, thrombose de la chambre intervilleuse). Par ailleurs, en cas de RCIU
avec anomalies Doppler des artères ombilicales (IP >95
epercentile ou notch
bilatéral), il a été plus fréquemment observé une persistance de la média des artères
spiralées myométriales et la présence d’un plus grand nombre de CTEV interstitiels
au niveau des vaisseaux myométriaux [88]. En outre, l’augmentation du nombre de
CTEV interstitiels myométriaux était corrélée avec un plus petit poids de naissance
(<5
epercentile) [88].
Anomalies du développement vasculaire placentaire
Trois grands types de réseaux vasculaires placentaires, normaux ou
pathologiques, ont été décrits en cas de RCIU par Kaufmann et al.
Le premier type serait secondaire à une anomalie de l’angiogenèse branchée et
non branchée. Il en résulterait une hypotrophie villositaire visible à l’examen
anatomopathologique du placenta. Cette anomalie de développement du réseau
vasculaire placentaire serait responsable d’une augmentation des résistances
placentaires qui se traduiraient cliniquement par des anomalies Doppler des artères
ombilicales (augmentation des résistances, diastole nulle, « reverse-flow »). En
clinique, le Doppler de l’artère ombilicale semble significativement corrélé avec les
issues périnatales. Des issues périnatales défavorables de type prématurité,
hospitalisation en soins intensifs néonataux, survenue d’hémorragies
intra-ventriculaire, ont été observées dans 90% des cas de RCIU avec Doppler anormal, et
dans seulement dans 33,3% des cas de RCIU avec Doppler normal [89,90].
Dans le deuxième type de RCIU, le développement placentaire semble normal
et la cause du RCIU serait alors pré-placentaire, c’est à dire utérine. Enfin il existerait
un troisième type de RCIU, associé à une angiogenèse branchée excessive. Ce type de
RCIU serait lié à une hypoxie maternelle précoce et se verrait habituellement chez les
femmes vivant en altitude ou en cas d’anémie chronique profonde (Figure 12).
Figure 12. Schéma simplifié des anomalies vasculaires de l’arbre villositaire rapportés à un RCIU placentaire. D’après Kaufmann 2004 [31].
Dans le document
Quantification de la vascularisation de l'unité utéro-placentaire par Doppler 3D : évaluation clinique et expérimentale
(Page 57-61)