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Responsabilité et vision imparfaite du Régulateur et/ou Tri- Tri-bunal

2 Applicabilité de la responsabilité civile : des difficul- difficul-tés liées aux imperfections et imprécisions de

2.2 Responsabilité et vision imparfaite du Régulateur et/ou Tri- Tri-bunal

Lors de la présentation des principales règles de responsabilité civile que nous avons faite précédemment nous avons remarqué que, selon la règle en vigueur, la définition et l’établissement de la responsabilité ne requièrent pas la même exigence en termes de collecte d’informations. Dès lors, des coûts additionnels doivent être intégrés à l’analyse, et ceux-ci peuvent influer sur la qualité des incitations ante accident. Certaines contri-butions à l’analyse économique de la responsabilité se sont penchées sur la prise en compte des asymétries informationnelles que l’on peut rencontrer lors de l’établissement de la responsabilité, spécialement en présence d’une règle de négligence (ou responsa-bilité pour faute). Nous distinguerons en premier lieu des contributions se focalisant sur l’application unique de la règle de négligence en information imparfaite (2.2.1), puis d’autres contributions proposant de coupler l’application de la responsabilité à un outil de régulation directe, ex ante, pour palier les asymétries informationnelles entre firme, Régulateur et Tribunal (2.2.2).

2.2.1 Négligence et preuves de qualité imparfaite

Fluet (1999) a développé un modèle dédié à l’étude de la règle de négligence en présence d’un aléa moral entre Tribunaux et firmes concernant les mesures de prévention adoptées.

Les hypothèses admises sont les suivantes. D représente le dommage potentiel, qui est connaissance commune. L’objectif de la firme est de minimiser la somme du coût de prévention, c(x) (c0(x) > 0), et du coût espéré de réparation ; x étant le niveau de prévention. La probabilité d’accident est p(x) (p0(x)<0,p00(x)>0). En cas d’accident, le Tribunal dispose d’une information imparfaite sur la prévention adoptée par la firme, ce qui peut mettre à mal l’application de la règle de négligence (la responsabilité étant conditionnée au niveau de prévention adopté). L’information transmise est représentée

par un vecteur Θ de signaux (dont les réalisations sont notées θ) normalisé dans [0,1], invariant enx. Sa fonction de répartition (de densité) est dénotéeG(θ, x)(g(θ, x)). Deux conditions sont admises :

1/ la monotonicité du rapport de vraisemblance gx(θ,x)

g(θ,x), strictement croissant enθ, ce qui signifie que la vraisemblance d’un effort de prévention élevé est d’autant plus grande que la valeur réalisée de Θ est grande ;

2/ la convexité de la fonction de répartition, i.e. Gxx(θ, x)≥ 0, ∀θ,x, ce qui signifie que la probabilité d’observer une valeur de Θ inférieure à un niveau donné ne diminue pas à taux croissant avec une augmentation dex (l’efficacité marginale dex en matière de transmission d’un “bon” signal est décroissante).

Dans ce contexte d’information imparfaite, la règle de négligence est :

L(x,x¯) =    0 si θ ≥θ¯ min[D, W] si θ <θ¯ ¯

θreprésente le critère de faute (et non le standard de prévention) en ce sens que, nous le verrons juste après, en présence d’information imparfaite ce standard est partiellement déconnecté (ou lié d’une façon moins parfaite) du niveau de prévention adopté par la firme. Ainsi, la firme est responsable si la qualité du signal parvenu au Tribunal est inférieure à θ¯, dans le cas contraire elle est exonérée de toute responsabilité.

La firme bénéficie du régime de responsabilité limitée : sa responsabilité maximale se limite à la valeurW de ses actifs. Lorsque θ <¯ 1,23 la firme est responsable uniquement si le signalθ parvenu au Tribunal est inférieur àθ¯, ce qui se produit avec une probabilité G(¯θ, x). Avec un tel mécanisme de sanction, la firme choisit x de façon à minimiser :

C(x) +p(x)G(θ, x) min[D, W] (12)

D’une part, notons xS le niveau de prévention qui serait adopté en présence d’une règle de responsabilité sans faute, c’est-à-direxS vérifie : arg min

x C(x) +p(x) min[D, W]. D’autre part, notonsxF le niveau de prévention d’équilibre avec le critère de fauteθ≤θ¯. L’auteur parvient au résultat suivant.

23. Lorsque θ¯= 1, la firme est toujours reconnue responsable : on retrouve une responsabilité sans faute.

Proposition 7 (Fluet, 1999)

(i) Quel que soit le niveau de richesse de la firme (que la firme soit insolvable ou non en cas d’accident), le niveau de prévention adopté en présence d’une règle de négligence,

xF, est supérieur à celui qui serait adopté en présence d’une règle de responsabilité sans faute, xS, si et seulement si :

−Gx(θ, xS) 1−F(θ, xS) >

−p0(xS)

p(xS) (13)

(ii) Lorsque le niveau de richesse de la firme n’est pas trop faible, le niveau de préven-tion adopté en présence d’une règle de négligence (xF) peut être (socialement) optimal.

Preuve: voir en Appendice A, preuve 1.

Avant toute chose, rappelons qu’en présence d’un régime de responsabilité limitée, lorsque la firme est potentiellement insolvable en cas d’accident la règle de responsabilité sans faute fournit des incitations sous optimales à la prévention (voir Shavell (1986)). Dans ce cas, la règle de négligence est préférable dès lors qu’elle permet d’atteindre un niveau de prévention plus élevé.

Considérons le Point (i) de la Proposition 7 dans ce contexte d’insolvabilité potentielle. Le côté droit de l’inéquation (13) représente la réduction proportionnelle de la proba-bilité d’accident suite à un accroissement de l’effort de prévention, à partir du niveau de prévention xS atteint en présence d’une règle de responsabilité sans faute. Le côté gauche représente l’augmentation proportionnelle de la probabilité d’être exonéré de responsabilité, en présence d’une règle de négligence, suite à un accroissement du niveau de prévention, à partir du niveau de responsabilité sans faute xS (pour un standard de prévention donné). Ainsi, le Point (i) nous enseigne qu’en cas d’insolvabilité potentielle, la règle de négligence est préférable à la règle de responsabilité sans faute lorsque la probabilité que la firme soit exonérée de toute responsabilité est plus sensible à l’effort de prévention que la probabilité d’accident elle-même. En effet, en présence d’une règle de négligence, la principale préoccupation d’une firme n’est pas l’occurrence ou non d’un accident mais le fait d’en être reconnue responsable ou non. Une firme sera alors incitée à adopter un niveau de prévention plus important qu’en présence d’une règle de responsabilité sans faute si, à partir de ce niveau de prévention xS, la production d’un effort supplémentaire de prévention augmente davantage (toute proportion gardée) la probabilité d’être exonérée de responsabilité qu’elle ne réduit la probabilité d’accident.

Suivant ce raisonnement, l’auteur montre aussi qu’un renforcement du critère de faute

¯

θ (de façon à rendre l’exonération de responsabilité moins aisée) permet d’accroître le niveau de prévention adopté par les firmes. En effet, une augmentation du critère θ¯ accroît la sensibilité de la probabilité d’exonération de responsabilité à l’effort de pré-vention, incitant ainsi les firmes à accroître leur effort de prévention. Cet effet peut alors compenser la désincitation à la prévention liée à la limitation de responsabilité, ce qui explique le Point (ii).

Enfin, il convient de noter qu’une particularité de ce résultat tient dans le fait que, étant donné le contexte d’information imparfaite, il y a une déconnexion entre le standard de prévention θ¯et le niveau de prévention socialement souhaitable, quel que soit le niveau de solvabilité de la firme. Ainsi, lorsque les signaux d’information transmis au Tribunal ne sont pas suffisamment informatifs, la règle de négligence est toujours sous optimale. En revanche, lorsque les signaux sont suffisamment informatifs, Fluet (1999) nous ap-prend qu’il existe un niveau de critère de fauteθ¯pour lequel la règle de négligence incite davantage à la prévention que la règle de responsabilité sans faute.

Bien entendu, l’analyse n’est pas exhaustive et il convient alors de tempérer ces résultats. En effet, cette étude considère un risque additif alors que l’analyse économique de la responsabilité civile a très tôt démontré l’insuffisance de la responsabilité pour faute en présence d’un risque multiplicatif, fonction du niveau d’activité (voir par exemple Shavell (1980)). En outre, nous pouvons noter que d’autres éléments peuvent venir perturber la fixation du standard de faute en présence d’une règle de négligence en information imparfaite. Les études que nous avons présenté jusqu’à présent supposent que les par-ties ont un accès gratuit aux éléments de preuves (même si leur qualité informationnelle n’est pas parfaite, comme dans Fluet (1999)), et que le procès pour dommage a toujours lieu. En réalité, l’accès aux preuves peut être coûteux et les victimes peuvent ainsi être dissuadées de s’engager dans un procès coûteux dont l’issue peut être incertaine, notam-ment si les dommages sont dispersés sur un nombre important de victimes faiblenotam-ment atteintes. Le critère de faute peut alors réduire ce coût (voir par exemple Deffains & Demougin (2008b)). Cependant nous pouvons supposer que, dans le cadre d’accidents technologiques de grande ampleur, les dommages, bien que dispersés, sont suffisamment importants pour inciter les victimes à engager des poursuites (voire la collectivité peut

le faire en leur nom (par exemple, saisine du Ministère Public)).

2.2.2 Coupler régulation ex ante et régulation ex post pour palier aux pro-blèmes informationnels

Enfin, nous pouvons noter la contribution de Hiriart et al. (2004) qui, s’inspirant d’une analyse initialement développée par Shavell (1984), étudie la combinaison opti-male entre régulation ex ante, avec un Régulateur fixant une norme de prévention à appliquer, et régulationex post, avec un Juge pouvant infliger une pénalité à la firme s’il découvre qu’elle n’a pas respecté la norme. Les firmes, bénéficiant du régime de respon-sabilité limitée, sont caractérisées par l’ampleur du dommage potentiel qu’elles peuvent causer (leur “type”). Ainsi, la norme de prévention à adopter dépend du type de firme. Cependant, le type de firme est non observable par le Régulateur, ni par le Tribunal (sélection adverse) : la norme imposée à la firme dépend alors de sa propre déclaration au Régulateur concernant le dommage qu’elle peut potentiellement infliger. Lorsque le niveau d’effort de prévention adopté par la firme est observable, les auteurs montrent qu’il est possible de déterminer un contrat (des transferts selon l’état “accident” ou “non accident”, et une pénalité en cas de procès révélant la non confirmité à la norme) pour lequel la firme révèle son profil et adopte le niveau de prévention optimal malgré la limi-tation en responsabilité. En revanche, lorsqu’un problème d’aléa moral vient s’ajouter (prévention non observable), aucune norme ne peut être imposée. Lorsque le niveau de richesse de la firme est suffisamment faible, les auteurs montrent que la limitation de responsabilité de la firme empêche l’élaboration d’un contrat suffisamment incitatif pour induire un comportement de prévention optimal.

Au cours des deux dernières sous-sections, nous avons mis en avant certaines difficul-tés dans l’applicabilité de la responsabilité civile, causées par la présence d’asymétries informationnelles entre différents acteurs : la première sous-section a mis en avant les difficultés liées à l’extension de responsabilité aux partenaires des firmes lorsque celles-ci disposent d’une information privée, la seconde a notamment souligné la difficulté d’éta-blir un standard de faute lorsque les preuves de négligence (ou non-négligence) fournies au Tribunal sont de qualité imparfaite. Mais outre les problèmes d’asymétries informa-tionnelles entre différents acteurs, l’information disponible sur le risque à prévenir peut

parfois être imprécise. Ainsi, bien qu’étant connaissance commune, l’information dispo-nible peut empêcher de définir avec précision la nature véritable du risque (probabilité et/ou dommage imparfaitement définis). Dans de telles situations, le niveau optimal de prévention est incertain et il convient alors d’entreprendre, si possible, des recherches d’informations complémentaires afin de mieux définir (et prévenir) le risque. A cet égard, la responsabilité civile peut aussi jouer un rôle incitatif qu’il convient d’analyser.