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Premièrement, en ce qui concerne les circonstances, la Commission ne se limite pas seulement à l'action militaire. Loin de là, elle attire l'attention sur toute une série d'actions possibles, morcelée en trois catégories : la Responsabilité de prévenir, la Responsabilité de réagir et la Responsabilité de reconstruire33. Après, le rapport souligne la priorité de la prévention, afin d'éliminer les « causes profondes et les causes directes des conflits internes et des autres crises produites par l’homme qui mettent en danger les populations »34. Quant aux mesures, s’agissant non seulement la prévention, mais aussi la réaction, la CIISE ne cesse pas de dire qu'il faut commencer par les mesures « les moins intrusives et les moins contraignantes » avant de les intensifier. Suivant cette logique, l'action militaire est vue comme le dernier recours qui présuppose certaines conditions : « autorité appropriée, juste cause, bonne intention, proportionnalité des moyens et perspectives raisonnables

». La juste cause est donnée ou bien par « des pertes considérables en vies humaines, effectives ou présumées, qu’il y ait ou non intention génocidaire, attribuables soit à l’action délibérée de l’État, soit à la négligence de l’État ou à son incapacité à agir, soit encore à la défaillance de l’État », ou bien par « un « nettoyage ethnique » à grande échelle, effectif ou présumé, qu’il soit accompli par l’assassinat, l’expulsion forcée, la terreur ou le viol »35. En ce qui concerne l'autorité appropriée, le rapport l'attribue principalement au Conseil de sécurité en vue de son mandat du maintien de la paix et de la sécurité internationales (article 24 al. 1 CNU) et ses pouvoirs établis dans les chapitres VI et en particulier VII de la CNU36. Lorsque le Conseil de sécurité ne réagit pas, il propose une réunion de l'Assemblée générale dans le cadre de la procédure appelée « l'Union pour le maintien de la paix

» (A/RES/377 (V))37. Au prochain et dernier degré, le rapport affirme la possibilité d’une action lancée par une organisation régionale ou sous-régionale38. Il concède même dans des mots prudents qu'une approbation ex post facto d'une telle action par le Conseil de sécurité ouvrait « une certaine

30 Secrétaire général, A/54/2000 « Nous les peuples », p. 36.

31 CIISE (2001), Rapport “La Responsabilité de Protéger”, Ottawa, p. 13 para. 2.12; p. 35 paras. 4.10 s.

32 Son Sommaire se trouve dans la partie I de l'annexe.

33 Supra, p. XI Sommaire.

34 Ibid.

35 Tout à supra, p. XII Sommaire.

36 Supra, p. 51 para. 6.3.

37 Supra, p. 57 para. 6.29.

38 Supra, p. 57 para. 6.31.

marge de manœuvre à cet égard pour les actions futures »39.

Deuxièmement, la CIISE analyse les fondements de la non-intervention et ses conditions. En identifiant la souveraineté comme la racine de ce principe, c'est exactement celle-ci dont la Commission se préoccupe pour changer les règles du jeu. Pas à pas, le rapport transforme son interprétation. Il commence par l’« integrité territoriale » et l'« indépendance politique », codifiées dans l'article 2 al. 4 CNU, comme des émanations de la compétence exclusive intérieure de chaque État, appelées la « souveraineté de contrôle ». Cette souveraineté s'est transformée, dit le rapport, en une « souveraineté de responsabilité » des autorités qui jouissent du contrôle de la souveraineté.

Cette Responsabilité de protéger la vie, la sécurité et le bien-être en général de leur propre population n'existe pas seulement envers le peuple, mais aussi envers la communauté étatique « par l'intermédiaire de l'ONU ». Cette dernière assertion est fondée premièrement sur les principes fondateurs de l'ONU : le maintien de la paix et de la sécurité internationales (article 1 al. 1 CNU) et la « promotion des intérêts et du bien-être des populations » (Préambule : « Nous, Peuples des Nations Unies »). Ces principes deviennent des obligations lorsque les États s'y assujettissent, par leur adhésion. De la même façon, les droits de l'Homme, autant qu'ils sont consacrés dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme et dans les deux Pactes de 1966 relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels, font partie d'un ensemble de « normes de comportement », au moins par l'admonition au respect des droits de l'Homme dans l'article 1 al. 3 de la CNU. Les obligations multiples découlant des traités concernant le droit humanitaire constituent, selon le rapport, un autre signal de ce développement de normes de comportement. La dernière preuve apportée par la CIISE pour l'établissement d'une obligation internationale de protection est la pratique des États. Les interventions au Libéria, en Sierra Leone et au Kosovo démontrent, selon la Commission, une pratique générale, élément matériel du droit coutumier. Un autre exemple se présente, selon le rapport, par la résolution du Conseil de sécurité 1844 (2008) qui refère à la situation interne en Somalie comme une menace à la paix et la sécurité internationales, ce qui engage des mesures selon le chapitre VII de la CNU. Une opinio juris, élément psychologique de la coutume, se présente du point de vue de la Commission encore par les obligations relatives aux droits de l'Homme énoncées dans la Charte de l'ONU, la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la Convention contre le génocide, les Conventions de Genève et ses Protocoles additionnels, puis dans le statut de la Cour pénale internationale40. Le changement dans la conception de la responsabilité se présente où la CIISE déclare, après ce préliminaire, que la violation de ces obligations déclenche une responsabilité « subsidiaire » de la Communauté internationale. Cette responsabilité ne s'activera que dans le cas où un État « est manifestement soit

39 Supra, p. 59 para. 6.35.

40 Tout à supra, p. 12 para. 2.8.

incapable soit peu désireux d’accomplir sa responsabilité de protéger »41. L'obligation des autres États d'agir qui incorpore bien entendu le recours à la force, ne constitue donc pas une violation du principe de non-intervention, car elle est dérivée du principe de la souveraineté, dont le principe de non-intervention découle.

C’est grâce à cette brèche que la Responsabilité de protéger a été appelée « le plus signifiant ajustement à la souveraineté nationale en 360 ans »42. Mise à part la doctrine et la couverture médiatique, quel changement y a-t-il eu dans la pratique des États ? À noter qu’en particulier les paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial de 200543 qui ont précédé à la nomination d'un Conseiller spécial pour la mise en œuvre de la Responsabilité de protéger en 200844 (M. Edward Luck) par et sous la direction du Secrétaire général. Ce document jouit d'une signification immense, car il représente la première énonciation et en même temps celle la plus vaste des obligations étatiques en rapport avec la Responsabilité de protéger. Il est néanmoins à marquer qu'il y a des nuances d'appréciation dans le rapport et le document du Sommet mondial ; ce qui a provoqué certains auteurs de parler même de deux « versions » de la Responsabilité de protéger45. Nous examinerons les éléments et leurs différences dans le prochain chapitre.

En résumé, il est clair que la CIISE est arrivée à formuler un idée tout à fait nouvelle que les termes et les arguments du point de départ, l'intervention humanitaire, auraient pu les faire attendre. Cette différence se présente en deux manières : premièrement par l'objectif des deux concepts et deuxièmement par leur contenu matériel ou bien normatif. Le rapport de la CIISE a été conçu comme une réponse à la demande citée du Secrétaire général, mais il va plus loin en étant pertinant pour tout acteur au plan du droit et de la politique internationaux, comme une solution proposée pour le futur de la non-intervention en vue de son échec dans les années 1990 (v. supra p. 3-4).

Loin de vouloir rester une note de bas de page de la discussion académique, la Commission propose très clairement des recommandations aux organes de l'ONU afin de préparer la voie à une affirmation et la mise en œuvre de la Responsabilité de protéger par la communauté étatique46. Par contre, comme on avait dit, l'intervention humanitaire a, en général, toujours été aperçue comme un concept normatif qui visait à justifier un certain comportement étatique. Cette différence dans l'approche a été si non ignoré au moins été sous-estimée dans des critiques qui estiment une

41 Supra, p.18 para. 2.31.

42 Pattison, J. (2010), Humanitarian intervention and the responsibility to protect: the problem of who should intervene, Oxford, p. 4 : « […] most significant adjustment to national sovereignty in 360 years ».

43 Assemblée générale, A/RES/60/1; les paragraphes 138 à 140 sont inclus dans l'annexe à la partie II.

44 Secrétaire général, SG/A/1120 BIO/3963.

45 Pattison (2010), supra, p. 14; Weiss, T. (2007), Humanitarian intervention: ideas in action, Cambridge, p. 117.

46 CIISE (2001), supra, pp. 81 – 82 paras. 8.28 ss.

évolution non pas suffisante47 ou bien qui, d'un seul coup, assimilent les deux termes48.

Par rapport à la deuxième différence, le contenu normatif, la Responsabilité de protéger constate des moyens différents d'action sous les trois piliers de la responsabilité de prévenir, celle d'agir et celle de reconstruire. En donnant des exemples précis des moyens et la définition des circonstances nécessaires, en particulier dans l'option militaire, le rapport fait un très grand effort à servir comme un guide aussi juridique. Dans ce contexte, la Responsabilité de protéger a été décrite comme plus « étroite » que l'intervention humanitaire49, étant limitée par certaines circonstances et par la primauté de l’exercice de son pouvoir par le Conseil de sécurité. Il faut avouer que l'intervention humanitaire

« ne requiert pas l'autorisation par le Conseil de securité »50 et est donc applicable à toute une série d'actions soit par un seul État, soit par une communauté d'États. Mais en même temps, en incluant les actions déjà justifiées par le droit contemporain dans la marge des moyens, la Commission élargit plutôt le champ d'application.

Il se pose finalement la question des avantages de ce concept. Bien qu’elle soit une nouvelle approche, la Responsabilité de protéger ou bien une argumentation qui relève du rapport pourrait être instrumentalisée dans des cas où un État est bien capable de gérer ses affaires, mais il est néansmoins restreint dans l’exerce de sa souveraineté. Les cas les plus extrèmes sont représentés évidemment par des interventions qui en même temps constituent des abus de l’intervention humanitare compris aussi comme concept purement juridique.

II. Fondements juridiques et pratique des États

Dans ce chapitre, on va tenter de trouver, dans la pratique des États, les éléments constitutifs de l'intervention humanitaire ainsi que la Responsabilité de protéger avant la fondation de l'ONU, donc les conditions qui déclenchent des différentes réponses, les manières dans lesquelles celles-ci se peuvent présenter et leurs fondements. Ayant posé avant la question des avantages, notre recherche essayera non seulement de vérifier l’existence d’un exemple des deux concepts, mais en fin de compte si ces cas historiques supportent la critique de la possibilité d’un abus ou bien si on ne trouve rien d’autre qu’une argumentation strictement juridique et une application correspondante.

Pour ce but, on va apprécier quatre séries de documents historiques ainsi que leur application. Il

47 Marclay, E. (2005), La Responsabilité de protéger. Un nouveau paradigme ou une boîte à outils, à http://www.operationspaix.net/Responsabilite-de-proteger (vérifié le 19 août 2010), p. 25.

48 Boisson de Chazournes, L./ Condorelli, L., ‘De la « Responsabilité de protéger », ou d’une nouvelle parure pour une notion déjà bien établie’ in Revue générale de droit international public (no. 1, 2006), Paris, pp. 11 – 18, p. 13.

49 Pattison (2010), supra, p. 13.

50 Ibid.

s’agit de la déclaration d’indépendance des États-Unis et des documents pertinents de la révolution