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Christian WOLFF, appelé le premier défendeur du principe de la non-intervention4 constata en 1749 qu'aucun peuple ne jouit de la compétence de gérer pour un autre peuple les actes qui appartiennent à la souveraineté (« exercitium imperii ») de l'autre peuple5. Cette énonciation ressemble de façon stupéfiante à la définition de la Cour Internationale de Justice (CIJ) de l'«

intervention prohibée » en 1984 : une action par des « moyens de contrainte »6 visant à exercer une pression sur un autre État « dans des domaines où chaque Etat jouit d'une liberté entière de décision

1 Mill, J. S. ‘A Few Words on Non-Intervention’, in Fraser’s Magazine (1859), London, pp. 153 – 177, p. 166.

2 Evans, G. ‘The Responsibility to Protect: Moving Towards a Shared Consensus’, in S. Asfaw/ G. Kerber/ P. Weiderud [eds] (2005), The Responsibility to Protect: Ethical and Theological Reflections, pp. 3 – 9, p. 9.

3 Abiew, F. (1999), The Evolution of the Doctrine and Practice of Humanitarian Intervention, Cambridge (MA), p. 11;

Murphy, S. (1996), Humanitarian Intervention, Philadelphia, p. 35 avec des preuves pour les differentes cultures de l'antiquité.

4 Grewe, W. (2e édition 1988), Epochen der Völkerrechtsgeschichte, Baden-Baden, p. 389.

5 Wolff, C. ‘Ius gentium methodo scientifica pertractatum’, in The classics of international law (no. 13, 1934), Oxford, chap. II para. 259.

6 CIJ, ‘Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci’ in CIJ Recueil 1986, La Haye, p. 107 – 108 para. 205.

en vertu du principe de souveraineté »7. En ce qui concerne la codification du droit international public contemporain, l'intervention a trouvé sa place la plus éminente dans l'article 2 al. 7 de la Charte des Nations unies (CNU), encore par le principe de non-intervention. S'adressant explicitement aux organes de l'ONU, cette norme codifie l'obligation du respect de la « compétence nationale »8 de chaque État. Ce principe constitue indirectement, via la constitution des organes de l'ONU par les États membres (v. en particulier les chapitres IV et V CNU), une obligation des États eux-mêmes. Le terme a été précisé dans le contexte de cette norme par l'Assemblée générale, qui a affirmé en 1970 qu' « aucun État ni groupe d'États » n'a le droit à « l'intervention armée, mais aussi toute autre forme d'ingérence ou toute menace, dirigées contre la personnalité d'un État ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels » est prohibée9. Il se pose donc la question suivante : quels sont cette personnalité et les éléments d’un État ? On revient ici à la décision déjà citée de la CIJ, celle de l'arrêt Nicaragua. La CIJ s'ensuit largement à cette définition10, en ajoutant les éléments sociaux de l'État et la formulation de ses relations extérieures. Pourtant, elle contourne la question posée. Elle affirme d'abord que chaque État jouit, dans lesdits domaines, d'un choix de son propre système. Ce choix, selon la Cour, doit rester libre. Cet impératif n'est pas seulement fondé par ladite norme, mais enfin par les éléments découlant de la souveraineté décrits ci-dessus.

Ce renvoi tautologique11 référe à l'approche à la définition de l'intervention par son exclusion dans le droit contemporain. L'imprécision restante de ce terme a amené les États de l'ONU à s'occuper de la « compétence nationale » pour établir un accord sur les implications de cette norme12.

On trouve la notion de l'intervention dans les commentaires sur la CNU à l'article 2 al. 4.

L'intervention apparaît ici comme un sous-ensemble des actions militaires qui violent le principe de non-violence qui est encore un autre principe fondateur13. Aussi, l'intervention a été vue comme une violation du principe de l'autodétermination des peuples (article 1 al. 2 CNU)14. Un tel cas pourrait se présenter lorsqu'un État intervient dans un État étranger après l'appel à l'aide d'une entité de gouvernement local qui se trouve dans une lutte de libération contre le gouvernement central. Dans ce cas d'espèce, les deux États sont forcés de quitter le terrain du peuple visant son

7 Supra, p. 124 para. 241.

8 Le texte anglais parle de la « domestic jurisdiction » qui soulève plus précisement l'obligation du respect des éléments juridiques du concepte de la souveraineté, v. aussi Simma, B. [ed] (2e édition 2002), Charter of the United Nations : a commentary, Oxford, Article 2 (7) paras. 3 ss.

9 Assemblée générale, A/RES/2625 (XXV) intitulée « Déclaration sur les relations amicales », Annexe, premier para.

opératif, troisième principe.

10 CIJ (1986), supra, p. 107 – 108 para. 205.

11 Voir aussi la tautologie de la définition de la notion de la « compétence nationale » , Brownlie, I. (7e édition 2008), Principles of Public International Law, Oxford, pp. 292 – 294.

12 Simma (2002), supra, Article 2 (7) paras. 20 ss.

13 Cot, J./ Pellet, A./ Forteau, M. [eds] (3e édition 2005), La Charte des Nations Unies: Commentaire article par article, Paris, p. 462; Simma, supra, Article 2 (4) paras. 30 – 33, 51, 53 – 56.

14 Conforti, B. (5e édition 1999), Diritto Internazionale, Naples, p. 225 parle de l'« ingerenza » (ingérence). L'ouvrage renvoie dans son index de « intervento » audit terme. Une signification égale est donc présumée.

autodétermination avec leurs forces15. En résumé, l'interprétation de la Charte établit l'intervention comme une violation du droit. Des tentatives afin d'établir une notion encore plus large qui comprendrait aussi des mesures licites sous le droit international16 ne paraissent jusqu'aux années 1990, quand la non-intervention comme la concrétisation juridique du concept politique de la souveraineté17 subira des critiques sévères. Ces propositions – qui seront appréciées dans la conclusion – ne représentent donc rien d'autre que la conséquence directe des problèmes qu'on avait eus avec la définition décrite. On peut alors conclure que l'intervention est consacrée par le droit international public seulement par son illicéité. Cela implique deux corollaires : premièrement, la notion semble tellement imprécise qu'elle se définit toujours ex negativo et deuxièmement, elle est a priori en violation du droit.

L'intervention peut être divisée en différentes catégories. Cela a été fait par la doctrine selon la pratique étatique et ses raisons présumées. Après des périodes d'interventions appelées « religieuses

» ou « politiques »18, l'intervention dite « humanitaire » ne verra pas le jour jusqu'au XIXème siècle19. Dès lors, la doctrine dominante la définit toujours par le moyen de force (armée) ou sa menace par un État et l'intention de protéger un individu ou une groupe en territoire étranger20. Bien entendu, il existe toute une gamme d'opinions différentes concernant les circonstances dans lesquelles les personnes à protéger doivent se trouver. Ces circonstances varient entre la perte de vies humaines21, l'existence ou la menace d'une catastrophe humanitaire par des « pertes en vies humaines et de déplacement considérable de la population civile »22 ou la violation des droits de l'Homme par un État envers ses propres ressortissants23. La dernière définition a reçu beaucoup de soutien vers la fin du millénaire, quand la discussion sur la souhaitabilité ou non d'un droit à l'intervention humanitaire a reconqui les forum, compte tenu de plusieurs conflits et crimes

15 Supra, p. 24.

16 Tesón, F. (3e édition 2005), Humanitarian intervention : an inquiry into law and morality, Ardsley, p. 173; Secrétaire général, SG/SM/7136 « [...] il importe de définir l'intervention aussi largement que possible [...] allant des [moyens les]

plus pacifiques aux plus contraignantes ».

17 Simma (2002), supra, Article 2 (1) paras. 1 – 3.

18 Grewe (1988), supra, pp. 388 ss.

19 Abiew, supra, p. 33; Koskenniemi, M. (2002), The Gentle Civilizer of Nations, Cambridge, p. 55 chap. 1 part. 10.

20Bleckmann, A. (2001), Völkerrecht, Baden-Baden, para. 1149; Brownlie (2008), supra, p. 742 – 743; Carter, B./

Trimble, P./ Weiner, A. (5e édition 2007), International Law, New York, p. 1244; Daillier, P./ Forteau, M./ Pellet, A. (8e édition 2009), Droit international public, Paris, p. 950 para. 570; Hobe, S./ Kimminich, O. (2004), Einführung in das Völkerrecht, Tübingen/ Basel, p. 303; Holzgrefe, J.L./ Keohane, R. (2003), Humanitarian Intervention – Ethical, Political and Legal Dilemmas, Cambridge, p. 18; Ipsen, K. (4e édition 2004), Völkerrecht, Munich, p. 942 chap. 15 part.

59 para. 26; Kindred, H. [et al.] (2e édition 1993), International law : chiefly as interpreted and applied in Canada, Toronto, p. 39; McLean, I./ McMillan, A. (3e édition 2009), The Concise Oxford Dictionary of Politics, Oxford, p. 250;

Murphy (1996), supra, pp.10 – 11; Institut Danois des Affaires Internationales, cité par Corell, H. ‘To intervene or not:

The dilemma that will not go away’, keynote address to the Conference on the Future of Humanitarian Intervention (2001), p. 2, à http://untreaty.un.org/ola/legal_counsel5.aspx (vérifié le 19 août 2010),

21 Conforti (1999), supra, p. 186.

22 Greenstock, Sir J., ‘Déclaration du Représentant permanent du Royaume Uni auprès les NU en défence de l'intervention au Kosovo’ in Brownlie (2008), supra, p. 743.

23 Bleckmann (2001), supra, para. 1149; Simma (2002), supra, 2 (4) para. 53.

suivants, comme les génocides à Srebrenica et au Rwanda24. Comme mentionné, c'était dans cette période-là que la doctrine et des personnages au sein de l'ONU ont essayé de trouver une solution aux problèmes décrits. Une solution proposée était d'inclure des mesures coercitives, mais licites (donc en particulier des résolutions du Conseil de sécurité) à la notion de l'intervention humanitaire.

Une autre solution, préférée par la doctrine, était de concevoir une norme positive du droit international public en dehors du cadre contemporain des normes sur la intervention et la non-violence qui pourrait justifier une intervention par force militaire25. Les fondements d'un tel droit se trouve par exemple dans une application analogue de l’article 51 CNU pour des conflits internes, suivant le fait que le Conseil de sécurité a déjà appliqué le chapitre VII pour des conflits internes avec des implications internationales 26. D’autres propositions concernant les fondements sont la violation de l'obligation de respecter le ius cogens par un État27, ou bien déjà par le non-accomplissement de l’obligation de protéger les droits de l'Homme par un État28. La base légale est alors constituée ex negativo, par l'introduction par la porte de derrière d'un élément de réciprocité qui légitime l'intervention. Cela relève encore une des facettes du problème cœur de l'intervention déjà exposé, l'illicéité. L'idée même des droits de l'Homme et du droit humanitaire est d'ailleurs basée sur l'obligation « objective et absolue »29 de leur respect et de leur protection, loin d'un respect fondé sur la mutualité de plusieurs parties à un traité international. Comme la violation du principe de non-violence ne permet pas une contre-violence par un État quelconque, la violation des droits de l'Homme, selon une interprétation stricte, ne déclenche aucune violation d'une obligation du droit international public.

En résumé, déjà la recherche d'une définition précise soulève trois problèmes inhérents à l'intervention humanitaire : premièrement il n'y a pas de définition incontestée et donc il ne semble pas tout à fait clair sous quelles conditions une intervention humanitaire serait possible. Cela nous amène au deuxième problème : l'intervention humanitaire et en même temps illicite. Si on est prêt à définir l'intervention elle-même par son illicéité (v. supra p. 3), comment peut-on arriver à la mise en œuvre d'un concept afin de « réagir face à des situations comme celles dont nous avons été

24Riemer, N., ‘Scholars against Genocide’ in Keren, M./ Sylvan, D. [eds] (2002), International Intervention, London/Portland, pp. 169 – 182, p. 169 (Srebrenica); Bettati, M. (1996), Le droit d'ingérence : mutation de l'ordre international, Paris, p. 194 (le Rwanda); Abiew (1999), supra, p. 194 : « one of the most unbearable tragedies in recent history » (le Rwanda); Concernant la « classification » comme génocide, v. Tribunal International Pénal pour l'ex-Yougoslavie : Communiqué de Presse OF/S.I.P./609f (Srebrenica) et Assemblé générale, A/RES/60/225 (le Rwanda).

25 Combacau, J./ Sur, S. (8e édition 2008), Droit international public, Paris, p. 636.

26 Paulus, A. (2001), Die internationale Gemeinschaft im Völkerrecht, Munich, p. 323.

27 Ragazzi, M. (1997), The Concept of International Obligations Erga Omnes, Oxford, p. 94.

28 Peut être Cassese, A., ‘Ex iniuria ius oritur: Are we moving towards International Legitimation of Forcible

Humanitarian Countermeasures in the World Community?’ in European Journal of International Law (vol. 10, 1999), Oxford, p. 25.

29 Fialaire, J./ Mondielli, E. (2005), Droits fondamentaux et libertés publiques, Paris, p. 125 pour les droits de l’Homme; Sassòli, M./ Bouvier, A. (2003), Un droit dans la guerre ?, Genève, p. 89 pour le droit international humanitaire.

témoins au Rwanda ou à Srebrenica »30 ? Troisièmement, les fondements, eux-aussi, ne semblent pas être précisés. Autant que l'approche de l'intervention humanitaire apporterait une solution à l'échec de la non-intervention, les trois problèmes vont rester les entraves majeures de tout débat, comme le constate le rapport de la CIISE31. Ce rapport, appelé « La Responsabilité de protéger », essaie de trouver une solution à ces problèmes32.