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de 1878. Le premier document a été choisi grâce au fait qu’il y a un auteur qui prétend que ce document représent le premier exemple d’une espèce de Responsabilité de protéger. Il convient de commencer avec cette interprétation aussi à cause la chronologie qu’à cause de la logique de la Responsabilité de protéger. Les droits de l’Homme, concept de cette période, sont le premier morceau dans l’argumentation du rapport. Les deux traités qui suivent sont pertinents parce qu’ils comportent des clauses qui ont servis comme justification d’interventions. Le dernier traité en est le contraire : selon notre interprétation il aurait pu servi comme justification dont on ne fera jamais usage. En plus, le traité de Kutchuk-Kaïnardji marque le début d’une relation particulière entre l’Europe et l’empire ottoman et ses successeurs, le traité de Paris la cime de cette relation et le traité de Berlin la fin. On parle ici notamment d’une part de l’acceptation de la Turquie comme État sous le droit westphalien qui reste en vigueur jusqu’à nos jours, mais d’autre part il est clair qu’il ne s’agit jamais d’un traitement sur un pied d’égalité.

A) La déclaration d’indépendance des États-Unis et des documents pertinents de la révolution française

Le professeur Alex BELLAMY prétend que la déclaration d’indépendance des États-Unis du 4 juillet 1776 et la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de l’Assemblée nationale, entièrement promulguée le 3 novembre 1789, constituent des parfaits exemples du principe de la souveraineté comme responsabilité et ainsi, en tant que Responsabilité de protéger51. Il convient de suivre son argumentation avant de se positionner.

« Sovereignty as responsibility rests on two foundations. First, it rests on the proposition that individuals have inalienable human rights that may never be rescinded. […] Second, governments have the primary responsibility for protecting their citizen’s rights, but where they abuse those rights international society acquires rights and duties to take measures to protect the rights in question. This is often touted as a new or radical conception of sovereignty. But it is neither new, […] nor radical. The doctrine of sovereignty as responsibility was written down by Thomas Jefferson and proclaimed in America’s Declaration of Independence […].

We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain inalienable Rights, that among these are Life, Liberty and Happiness.

51 Bellamy, A. (2009), Responsibility to Protect: The Global Effort to End Mass Atrocities, Cambridge, pp. 19 – 20.

[T]o secure these rights, Governments are instituted among Men, deriving their just powers from the consent of the governed – That whenever any Form of Government becomes destructive of these ends, it is the Right of the People to alter or abolish it, and to institute new Government…

[…]

In short, governments which fail to protect the fundamental rights of their citizens or wantonly abuse those rights fail in their sovereign responsibilities. This gives the people, as individual sovereigns, the right and duty to overthrow the government and to replace it with one more conductive to the satisfaction of their rights. These ideas were repeated […] by […] the ‘Rights of man and of citizen’, insisting that ‘the principle of all sovereignty rests essentially in the nation. No body and no individual may exercise authority which does not emanate expressly from the nation.’ »

Partant de la répartition du professeur BELLAMY, nous allons déterminer si vraiment ces deux textes comportent le deux éléments de la souveraineté qu’il propose. Le premier, l’existence des droits de l’Homme et leur application universelle et individuelle se trouve dans les deux documents, étant énoncé en premier dans la première phrase et au seconde tout au long des articles. Par contre, le passage au deuxième élément semble brusque : en ce qui concerne l’exemple historique de la déclaration d’indépendance, il ne s’agit pas d’un gouvernement étranger qui intervient dans les affaires d’un autre peuple afin de le protéger contre son propre gouvernement, mais d’un exemple classique de l’autodétermination. Rattachant cette argumentation au titre de ce chapitre, « la pratique » des États, il se présenterait toujours un exemple de la Responsabilité de protéger, suivant le Professeur BELLAMY, lorsqu’un peuple s’émancipe et en même temps exprime son désir d’avoir un gouvernement qui accepte que sa légitimité se fonde sur la responsabilité.

On peut obtenir une meilleure compréhension du rapport entre ces termes par une division tripartite des actions possibles d’un peuple afin de se libérer d’un gouvernement.

1.) Le premier est de simplement choisir un nouveau gouvernement qui représente les intérêts du peuple. Quand ce remplacement se passe pacifiquement, on parle d’une élection démocratique, sinon, d’un coup d’État. La prémice de ce premier morceau est aussi la prémice de la Responsabilité de protéger : la supposition qu’il incombe au gouvernement de maintenir un standard minimal de responsabilité envers son peuple qui, en revanche, a le droit de le remplacer dans le cas où cette responsabilité n’est pas remplie. En d’autres termes, le peuple est le souverain.

Cela déjà peut être appelé la « souveraineté comme responsabilité » dans les cas d’actes du

souverain qui ignorent la responsabilité et qui, par conséquent, ne sont pas d’actes fondés sur la souveraineté. On parle ainsi d’une responsabilité intérieure. Il se pose la question de savoir si ce principe s’avère être aussi vers l’extérieur. On va continuer avec le deuxième moyen d’action dans notre répartition.

2.) Lorsqu’il s’agit d’un gouvernement étranger, il faut que l’autodétermination soit imposée avant que le remplacement puisse avoir lieu. Le droit international public contemporain sépare totalement le droit à l’autodétermination de la question de la responsabilité : ni la démocratie, ni les droits de l’Homme ne sont de prémisses pour l’autodétermination. Ces deux concepts constituent les émanations principales de la responsabilité envers un peuple : le premier représente la forme active de la responsabilité par un contrôle direct et le pouvoir du peuple d’entrer en action lui-même. Le deuxième, quant à lui, est la forme passive par la protection de chaque individu, élément constituant du peuple, contre toute action vulnérante des autorités. Il n’est par exigé que le gouvernement dont on s’émancipe soit autoritaire. Parallélement, il n’est pas nécessaire pour le nouveau gouvernement d’être de caractère démocratique52. En ce qui concerne les droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels énoncent tous les deux le droit à l’autodétermination dans leurs premiers articles. Un droit de l’Homme ne peut pas être la prémisse à un autre droit de l’Homme, cela nierait le caractère fondamental et égal des droits de l’Homme.

Ceci a été vu par le professeur BELLAMY qui exige qu’un gouvernement, lorsqu’il agit comme souverain, doit respecter les droit fondamentaux du peuple. Il s’agit donc, en résumant, là aussi d’une « souveraineté comme responsabilité », mais encore intérieure, car dans un acte unilatéral de détachement d’un État, aucun État ou peuple n’a une responsabilité envers un autre.

3.) La troisième constellation est celle d’un peuple qui prête son assistance à un autre peuple afin que le dernier puisse se libérer de son gouvernement qui n’agit pas selon les exigences de la responsabilité. Cette libération peut bien coïncider avec l’imposition de l’indépendance, mais non nécessairement. Pourtant, on ne trouve pas un tel exemple dans lesdits textes. La thèse principale de la Responsabilité de protéger d’une responsabilité non seulement intérieure (envers le propre peuple), mais aussi extérieure (envers la communauté internationale) est donc plus ample que la

« responsabilité comme souveraineté » qui en est le fondement. Un exemple plus précis d’un texte légal historique dans ce contexte nous est donné par ROBESPIERRE dans son projet d’articles*

52 Simma (2002), supra, Self-Determination paras. 50 – 53.

pour la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 13 avril 1793 mentionnée ci-dessus, mais qui ne furent jamais inclus dans ladite déclaration53 :

Article 35* : « Les hommes de tous les pays sont frères et les différents peuples doivent s’entraider selon leur pouvoir comme les citoyens du même État. »

Article 36* : « Celui qui opprime une nation se déclare l’ennemi de toutes. »

Article 37* : « Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et des brigands rebelles. »

Article 38* : « Les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu’ils soient sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre, qui est le genre humain, et contre le législateur de l’univers qui est la nature. »

Mis à part l’esprit moraliste du texte, on y trouve donc cet élément crucial de la responsabilité extérieure : d’abord à l’article 37 par les droits de l’Homme et la « liberté », qui évoque aussi bien l’autodétermination que la démocratie qui tous les deux sont compris comme des obligations de caractère universel. Deuxièmement, le devoir de chaque peuple d’agir quand quelque part de cette responsabilité est méconnue, est exprimé aux articles 35 et 36. Une autre ressemblance frappante au rapport appellé la « Responsabilité de protéger » est celle de la persécution proclamée à l’article 37.

Encore, il y a une dimension très moraliste dans cet énoncé, mais cette figure rhétorique des individus évoque un passage d’un ius ad bellum à un droit de criminaliser les traîtres de leur responsabilité. Bien que dans la conception jacobine une telle déclaration puisse viser à persécuter et exécuter quelqu’un qui était susceptible de faire partie du groupe des proscrits de l’article 38, la possibilité de persécution et d’une responsabilité criminelle et personnelle rendent ce projet à proximité du droit international pénal contemporain. Ce qui manque comme « vraie » Responsabilité de protéger, c’est le caractère préventif de la persécution pénale et en particulier toute la gamme d’autres moyens et la gradation de son application, fruit de l’absolutisme jacobin.

On revient à la question principale de ce chapitre, celle de la pratique étatique. À ce sujet, il faut ajouter que ces articles ne furent jamais en vigueur et ainsi ne se pose pas la question de leur application. Au contraire, le même mois, mais quelques semaines avant, la convention nationale française « déclare […] qu’elle ne s’immiscera en aucune manière dans le gouvernement d’autres

53 Grewe, W. (1995), Fontes Historiae Iuris Gentium (vol. II), Berlin/ New York, p. 659.

puissances »54. En conclusion, il n’y a aucun exemple de cette période pour une Responsabilité de protéger ou d’une intervention humanitaire, soit dans la lettre imprimée, soit dans l’action des États.