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La responsabilité des parents, maîtres, commettants et instituteurs

Le code civil français de 1804

D. Jurisprudence et doctrine de 1850-1880

7. La responsabilité des parents, maîtres, commettants et instituteurs

Un cas particulier, et âprement discuté par la doctrine, était la responsabi-lité des parents, maîtres, commettants et instituteurs fixée dans l’art. 1384 du code533. La particularité ne provient pas seulement du fait que le législateur ait consacré une disposition particulière à ce type de responsabilité ; elle vient également du degré de précision de la norme – tout relatif en l’occur-rence –, mais néanmoins très élevé pour le code français. Sur le plan concep-tuel aussi, cette disposition se démarque notamment de la clause générale de l’art. 1382. En présumant la faute des parents, maîtres commettants et insti-tuteurs, mais en leur offrant la possibilité d’une preuve libératoire, l’art. 1384 renforce encore le statut de la faute, pourtant déjà prépondérante dans la clause générale.

a. Jurisprudence

Dans l’affaire Valéry C. Visconti534, le propriétaire d’un navire qui avait ex-plosé dans le port de Marseille chercha à se soustraire à sa responsabilité face aux victimes en argumentant que le mécanicien et le chauffeur, qui avaient commis une faute, n’étaient pas ses préposés, mais ceux du capitaine. La cour de cassation suivit la cour impériale d’Aix en considérant que le propriétaire du navire ne répondait pas seulement des fautes de son capitaine, mais éga-lement de celles de l’équipage. En rendant le propriétaire responsable de l’ensemble de l’entreprise, la cour donna à l’art. 1384 un champ d’application étendu. Elle coupa notamment court à la tentation du patron de se soustraire à ses responsabilités au détriment du personnel de son entreprise.

Dans la cause Compagnie de l’Aigle C. Seingher535, la cour alla dans le même sens. Elle déclara la compagnie d’assurances responsable des faits non seulement des agents qu’elle avait nommés elle-même, mais également des agents secondaires nommés par ceux-là en vertu d’une délégation. En

533 Voir le texte de l’art. 1384 CCF ; voir aussi Deroussin, David, Histoire du droit ds obligations, Paris 2007, 803 ss ; Espinasse, Antoine, De la responsabilité civile des pères et mères à raison de leurs enfants. Thèse, Aurillac 1928.

534 C. Cass., Ch. req., 29 mars 1854, Dalloz I, 1854 235 s.

535 C. Cass., Ch. req., 5 nov. 1855, Dalloz I, 1855 233 s.

l’occurrence, les sous-agents avaient tenu des propos diffamatoires à l’égard d’une assurance concurrente pour débaucher de la clientèle536. Ultérieure-ment, la cour de cassation élabora des critères de rattachement. La respon-sabilité n’incomba pas à celui qui avait choisi les ouvriers, mais à celui qui devait les surveiller et payer537. Comme autre critère on prenait le rapport de subordination. Etait notamment considéré comme commettant celui qui pouvait donner des ordres concernant l’exécution du travail. Ainsi, si un pro-priétaire avait engagé un entrepreneur, dont les ouvriers causaient un dom-mage à un voisin, ce n’était pas le propriétaire, mais l’entrepreneur qui devait réparer le dommage538.

Dans la cause Heidsieck et comp. C. veuve Alloënd539, la cour devait don-ner la préférence à un parmi différents critères de rattachement possibles. La maison (devenue entre-temps fameuse) de champagne se fit livrer de la mar-chandise par des véhicules qui abîmaient régulièrement le bâtiment d’une voisine. Les voitures appartenaient à des tiers ; tandis que les manœuvres étaient exécutées par des préposés de ceux-ci, elles étaient dirigées par des employés de Heidsieck. La cour retint comme critère que, au moment où les dommages se produisirent, les conducteurs des voitures travaillaient sous les instructions des employés de Heidsieck et devenaient, de ce fait, « momenta-nément leurs employés ». Par conséquent, la responsabilité n’incombait ni aux propriétaires des voitures ni aux voituriers, mais à Heidsieck.

Un problème, qui est encore aujourd’hui délicat, concerne le rapport entre la fonction professionnelle de l’auteur et l’activité qui a conduit au dommage.

Qui répond des actes dommageables d’un préposé pendant ses heures de tra-vail, si ces activités sont indépendantes de sa fonction ? L’art. 1384 al. 3 donne en principe une réponse claire. L’auteur doit avoir agi dans le cadre de ses fonctions. Dans la cause Douanes et Camus C. Ministère public540, la cour ap-pliqua cette règle à un douanier qui avait braconné pendant ses heures de tra-vail avec le fusil de son employeur. Elle considéra que le douanier n’avait pas agi dans ses fonctions et libéra l’administration douanière de toute respon-sabilité541. Dans certains cas, on recourut pour le rattachement à des critères géographiques. Dans l’affaire Ministère public C. Degniot et Tirouflet542, le

536 Par rapport à la concurrence déloyale, voir aussi C. Cass., Ch. civ., 24 déc. 1855, Dalloz I, 1856 66 s. Voir aussi C. Cass., Ch. civ., 28 nov. 1876, Dalloz I, 1877 65 s.

537 C. Cass., Ch. req., 30 janv. 1856, Dalloz I, 1856 458 s. ; voir aussi pour un engagement limité dans le temps C. Cass., Ch.crim., 13 déc. 1856, Dalloz I, 1857 75 s.

538 C. Cass., Ch.crim., 10 nov. 1859, Dalloz I, 1860 49. Voir aussi C. Cass., Ch. req., 26 mai 1875, Dal-loz I, 1877 248 s.

539 C. Cass., Ch. req., 1erjuin 1874, Dalloz I, 1874 386 s.

540 C. Cass., Ch.crim., 1eravr. 1856, Dalloz I, 1858 295 s.

541 Voir à ce sujet notamment la discussion chez Toullier, Droit civil français XI, 394 s., no289.

542 C. Cass., Ch.crim., 30 août 1860, Dalloz I, 1860 518 s.

domestique Degniot s’était rendu coupable d’un « abus du cor de chasse » en sonnant du corps à neuf heures un quart du soir. La cour constata que le tapage nocturne avait eu lieu dans la propriété du maître, considéra que « un domestique, dans la maison de son maître, est toujours placé sous l’autorité de celui-ci » et cassa la décision de l’instance précédente qui avait affranchi le maître de la responsabilité civile de la contravention commise par le domestique543. Dans un arrêt ultérieur, la cour désigna comme critères de rattachement centraux non seulement le droit de donner des ordres et des instructions concernant le mode d’exécution du travail, mais aussi les rap-ports de subordination544.

b. Doctrine

Il n’est pas étonnant que, parmi les dispositions de responsabilité civile, l’art. 1384 ait fait l’objet de commentaires plus substantiels que les autres dis-positions. Parmi les questions abordées figuraient notamment le principe du caractère personnel de la faute, le fardeau de la preuve et l’action récursoire des parents, maîtres et commettants.

Marcadé mit l’accent sur le renversement du fardeau de la preuve. La faute étant présumée, la preuve libératoire pouvait être apportée par les parents, instituteurs et artisans, mais était refusée aux maîtres et commettants545. Ajoutons une singularité doctrinale de cette solution. En présumant, à l’égard des maîtres et commettants, une faute sans offrir la possibilité d’une preuve libératoire, on aboutit de facto à une responsabilité objective qui ne porte pas son nom.

Marcadé, qui rapprocha les tuteurs des parents546, prit la faute de ces der-niers au sens large, en considérant qu’il ne fallait pas seulement tenir compte des faits précis au moment du dommage, mais également de l’éducation en général que les parents avaient donnée à leur progéniture. Il considéra sans

543 Le maître, dont les domestiques avaient servi, au domicile d’une tiers, du vin empoisonné, ne répondait pas de la mort de la victime, C. Cass., Ch. req., 5 juin 1861, Dalloz I, 1861 439 s.

544 C. Cass., Ch.crim., 30 déc. 1875, Dalloz I, 1876 415.

545 Marcadé, V., Explication théorique et pratique du Code Napoléon contenant l’analyse critique des auteurs et de la jurisprudence et un traité résumé après le commentaire de chaque titre V, 6eéd., Paris 1866, 281.

546 Marcadé, V., Explication théorique et pratique du Code Napoléon contenant l’analyse critique des auteurs et de la jurisprudence et un traité résumé après le commentaire de chaque titre V, 6eéd., Paris 1866, 279 s. Notons par ailleurs une polémique entre Toullier, Duranton, Zachariae et Marcadé par rapport à l’enfant émancipé (Marcadé, p. 279). Il s’agit là d’un point de vue que nous avons déjà rencontré au cours de la première moitié du siècle (supra p. 100 ss) ; voir notam-ment Devilleneuve, L.-M. / Carette, A.-A. (éd.), Recueil général des lois et arrêts, Paris 1845, Iresérie, vol. 7, 1822-1824, I, 560.

doute à juste titre qu’une éducation laxiste pouvait conduire à long terme à des actes dommageables des enfants et que, dès lors, il serait inadéquat de tenir compte seulement du comportement – peut-être irréprochable – des pa-rents au moment de l’acte dommageable.

Comme Toullier, dont il combattit par ailleurs souvent les positions, et en renvoyant à Proudhon, Sourdat souligna en premier lieu que « les fautes sont personnelles » et que, par conséquent, chacun ne répondait que de ses propres actes547. Il admit que l’art. 1384 du code constituait une exception à cette règle, dictée par la loi qui impose, dans certains cas, une obligation de veiller sur les actes d’autrui. En réalité, il s’agissait pour Sourdat d’une déro-gation impropre parce que la personne chargée de la surveillance répondait du dommage seulement au cas où elle aurait commis une faute, imprudence ou négligence. De ce fait, elle aurait commis elle-même un quasi-délit. Sour-dat ajouta à juste titre que cette considération, pertinente sous l’angle du principe de personnalité de la faute, devait être complétée par une réflexion sur le lien de causalité qui était nécessairement plus étendu si l’acte avait été commis par autrui548. Il ne s’y trompa sûrement pas en affirmant que, en réa-lité, la responsabilité pour autrui servait dans bon nombre de cas non pas à reprocher une faute, mais à forcer les maîtres de choisir soigneusement leurs auxiliaires. Comme Marcadé549, il considéra que le caractère exceptionnel de l’art. 1384 interdisait toute application par analogie550. A l’instar de Zeiller par rapport à la culpa levissima, Sourdat mit en garde contre une interpréta-tion extensive de cette disposiinterpréta-tion qui risquait d’exposer à des obligainterpréta-tions de réparation toute personne qui collaborait avec d’autres.

Comme déjà Toullier551, Sourdat, qui définit la responsabilité de l’art. 1384 comme le fait d’être « tenu à la réparation comme si l’on était soi-même l’au- teur du délit ou du quasi-délit »552, s’intéressa aux actions récursoires contre

547 Sourdat, Traité II, 2 s., no750 s. Notons ici que Sourdat intégra dans son traité un chapitre sur la responsabilité des conseils de surveillance. Toutefois, il admit que, avec la loi du 17 juillet 1856, le législateur avait exclu ce type de responsabilité du champ d’application de l’art. 1384. En ce qui concerne le présent ouvrage, nous n’avons pas abordé la loi en question, ni celle du 24 juillet 1867 ; voir Sourdat II, 328 ss, no1156 ss.

548 Sourdat, Traité II, 4, no752.

549 Marcadé, V., Explication théorique et pratique du Code Napoléon contenant l’analyse critique des auteurs et de la jurisprudence et un traité résumé après le commentaire de chaque titre V, 6eéd., Paris 1866, 260.

550 Sourdat, Traité II, 4 s., no753. Notons du reste l’analyse détaillée des solutions romaines, no-tamment de la noxa par rapport aux esclaves et de his qui effuderint vel deiecerint (D. 9,3), mais aussi de la responsabilité du maître qui était au courant des actes dommageables auxquels son esclave se livrait, Sourdat 6 s., no754 s.

551 Toullier, Droit civil français XI, 322 ss, no230 ss.

552 Sourdat, Traité II, 8, no757.

la personne qui avait effectivement causé le dommage553. S’il rejetait une telle action contre des agents incapables, comme par exemple les enfants ou les fous, il l’admit à l’égard des acteurs susceptibles de répondre personnelle-ment de leurs actes. En revanche, l’agent juridiquepersonnelle-ment capable, qui s’était conformé sans faute aux instructions reçues, n’était pas exposé à l’action ré-cursoire de son maître ou commettant, à moins qu’il dût s’apercevoir que l’ordre reçu allait conduire à un dommage.

Aussi Laurent, qui commenta de la manière la plus étendue l’art. 1384, commença son analyse avec le principe de la personnalité de la faute qu’il tint pour une règle universelle et sans exception possible. Proche de Sourdat sur ce point, il constata que l’art. 1384 du code n’y dérogeait qu’en apparence.

En réalité, les personnes qui y sont visées répondaient d’un manquement à un devoir et, donc, d’une faute554. Pour Laurent, la différence de taille avec l’art. 1382 résidait dans la présomption de la faute, qui dictait une interpréta-tion particulièrement étroite de la disposiinterpréta-tion. Comme Marcadé et Sourdat, il exclut toute application par analogie de cette disposition à des cas de fi-gure qui ne seraient pas énumérés dans l’art. 1384555. En renvoyant à Marcadé et, plus généralement à la doctrine dominante à l’exception de Toullier556, Laurent souligna par ailleurs qu’il n’était aucunement requis que la personne à l’origine du dommage avait agi fautivement. La faute de la personne res-ponsable était suffisante557.

Comme ses prédécesseurs et en citant le discours de Treilhard devant le Tribunat558, Laurent vit la justification de la responsabilité des parents dans le fait que les déviations de leurs enfants résultaient généralement d’une édu-cation insuffisante – le fameux « relâchement de la discipline domestique » que nous avons rencontré depuis les premiers commentaires : « En définitive, les père et mère sont en faute pour n’avoir pas rempli le devoir d’éducation et de surveillance que leur impose la puissance paternelle »559. Cette conception pouvait avoir des conséquences étonnantes. On admettait généralement que la responsabilité des parents était reprise par les instituteurs, maîtres et com-mettants à partir du moment où l’enfant avait été placé sous la surveillance de ces derniers560. Toutefois, Laurent admit avec la jurisprudence une exception

553 Sourdat, Traité II, 14 s., no767 s.

554 Laurent, Principes, 589, no550.

555 Laurent, Principes, 589, no551 ; Laurent renvoya du reste à la cour de cassation (C. Cass. Ch.

crim. 22 juin 1855, Dalloz I, 1855 426).

556 « sur lequel il est inutile d’insister, parce que l’erreur est évidente » comme dit Laurent aima-blement, (Principes, 591, no552).

557 Laurent, Principes, 590 s., no552.

558 Voir supra p. 76 ss.

559 Laurent, Principes, 592, no553.

560 Laurent, Principes, 599 s., no562 ; Laurent cita C. d’Aix, 11 juin 1859, Dalloz II, 1859 195.

au cas où les parents avaient failli dans l’éducation de leur enfant. N’ayant

« pas corrigé ses penchants vicieux », les parents pouvaient répondre des ac-tes de leur enfant même lorsqu’ils n’en avaient plus la surveillance561.

Contrairement à l’opinion d’autres auteurs, Laurent refusa d’assimiler la responsabilité du tuteur à celle des parents. Son argument était limpide : l’art. 1384 ne mentionne pas le tuteur et toute application par analogie, nous l’avons vu, était interdite562. D’ailleurs, le même raisonnement valait selon Laurent aussi pour les oncles et tantes563.

Par rapport à la preuve libératoire, Laurent mit en lumière une différence intéressante entre la faute dans l’art. 1383 et celle de 1384. Contrairement à l’art. 1383, qui permet de retenir toutes les formes de faute, y compris la culpa levissima, l’art. 1384 exclut la faute la plus légère. La raison en est selon Laurent que, dans l’art. 1384, la personne répondant de l’acte n’a pas agi elle-même.

La rendre responsable de la faute la plus légère la contraindrait à exercer un contrôle ininterrompu. Or, selon Laurent, cela reviendrait à une impossibilité morale dont les parents pourraient se prévaloir dans la preuve libératoire564. De même, le degré de surveillance imposé aux parents ne saurait être fixé théoriquement, mais s’apprécie, selon Laurent in concreto. Ainsi, les parents d’un enfant « vicieux » auraient une charge de surveillance plus étendue que ceux d’un enfant docile565.

La responsabilité des instituteurs et artisans fut conçue, selon Laurent, de manière analogue à celle des parents, même si elle en diffère sur certains points. Une des différences concernerait l’âge des élèves et apprentis qui ne devaient pas nécessairement être mineurs566.

En ce qui concerne la responsabilité des maîtres et commettants, à la-quelle Laurent consacra une discussion étendue, elle différerait des deux précédentes par la volonté du législateur de forcer les maîtres et commet-tants à choisir soigneusement et de manière réfléchie leurs auxiliaires. Par conséquent, le critère d’imputation ne serait pas le défaut de surveillance, mais le mauvais choix opéré dans la sélection du personnel567. Rappelons que ce critère n’était pas tout à fait nouveau. Dans le fragment D. 9,2,27,11, Ulpien considérait que le maître répondait, malgré toutes les mesures de

sur-561 Laurent, Principes, 600, no562 ; voir aussi Aubry / Rau, Cours, 759.

562 Laurent, Principes, 593 s., no555.

563 Laurent chercha ici appui dans la jurisprudence (C. Cass. Ch. crim., 24 mai 1855 (Dalloz I, 1855 426).

564 Laurent, Principes, 601 s., no564.

565 Laurent, Principes, 603, no565.

566 Laurent, Principes, 604, no566.

567 Laurent, Principes, 606 s., no570.

veillance prises à l’égard de ses esclaves qu’il savait dangereux, du simple fait d’avoir eu de tels esclaves :cur tales habuit.

Laurent rappela avec raison que la jurisprudence avait ponctuellement atténué la rigueur de la règle, notamment en détachant l’auxiliaire du com-mettant lorsqu’il bénéficiait d’une certaine indépendance dans l’exécution de son travail. A défaut d’un rapport intime entre le propriétaire et celui qui travaillait pour lui, ce dernier cessait d’être un préposé568. Toutefois, dans une large mesure, Laurent approuva la jurisprudence de la cour de cassation569, même s’il lui reprocha ponctuellement d’avoir manqué de constance ou de précision570.

Laurent releva aussi la question controversée de l’art. 1384 exigeant que le dommage ait été infligé dans le cadre des fonctions du domestique ou pré-posé. Il critiqua à juste titre le fait qu’il ne suffisait pas d’exiger que l’acte s’était produit « à l’occasion du service »571 et montra que, selon la jurispru-dence, il suffisait souvent que le dommage se soit produit pendant le temps de travail pour rendre le commettant responsable, même si l’acte lui-même n’avait aucun lien avec les fonctions du préposé572. Il sembla même envisager de manière un peu abusive que, en réalité, le maître était libéré de sa res-ponsabilité seulement si le dommage s’était produit en dehors du temps de service, tout en admettant une large compétence d’évaluation du juge573.

Notons que, parmi les auteurs de doctrine de tradition française, Lau-rent est parmi les rares à établir systématiquement un lien entre, d’un côté, la jurisprudence et, de l’autre, son propre commentaire et les commentaires de ses collègues. Il a en outre le grand mérite d’argumenter à partir de toute la tradition juridique, du droit romain au XIXesiècle. Certes, dans son com-mentaire de la responsabilité civile, il se limita essentiellement aux jurispru-dences française et belge et ne se référa pas ou peu aux droits de tradition germanique ou anglo-saxonne. Néanmoins, il témoigna d’un horizon juri-dique particulièrement large et d’un véritable engouement pour la discussion

568 Voir pour ce cas supra p. 118.

569 Voir par exemple par rapport à une affaire de concurrence déloyale, où les sous-agents d’une as-surance avaient dénigré une compagnie concurrente ; supra p. 167 C. Cass., Ch. req., 5 nov. 1855, Dalloz I, 1856 353 s. (Laurent, Principes, 611, no574), de même que l’affaire Valéry C. Visconti (C. Cass., Ch. req., 29 mars 1854, Dalloz I, 1854 235 s.) où le propriétaire d’un bateau ne voulait pas reconnaître sa responsabilité pour l’équipage du bâtiment (Laurent, Principes, 612, no576), mais aussi les principes de rattachement élaborés par la jurisprudence, par exemple dans la cause C. Cass., Ch. req., 30 janv. 1856, Dalloz I, 1856 458 s. (Laurent, Principes, 614, no578), voir supra.

570 Laurent, Principes, 615 s, no579 s.

571 Laurent, Principes, 620, no583 ; voir aussi Aubry / Rau, Cours, 761.

572 Laurent, Principes, 621 s., no584 s.

573 Laurent, Principes, 622, no583.

jurisprudentielle. Dans ce sens, il compte parmi les grands commentateurs du droit franco-belge. A relever également le cours de Aubry/Rau qui donne au genre du commentaire une nouvelle forme proche des commentaires du XXesiècle. D’un style succinct et informatif, il renseigne le lecteur sous une forme ramassée de l’état des différentes questions abordées. Relevons néan-moins que l’absence de discussion – au néan-moins en matière de responsabilité – et le simple renvoi à la jurisprudence et la doctrine, laisse le théoricien sur sa faim.

III