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Le Allgemeines Landrecht für die Preussischen Staaten de 1794

6. Le calcul du dommage

a. Le calcul dans le ALR de 1794

Le législateur prussien adopta délibérément dans le ALR une perspective très marquée de calcul du dommage. Ainsi, trois des neuf paragraphes-défi-nitions qui précèdent le règlement proprement dit de la responsabilité civile sont consacrés au calcul du dommage. Le § 5 définit le lucrum cessans, le § 6 en fixe le mode de calcul et le § 7 indique les éléments composant la « répa-ration intégrale ». Une partie importante des dispositions ultérieures avait également comme but d’indiquer au juge les critères et le mode de calcul à appliquer.

Le ALR distingue entre différents degrés de dédommagement. La « sa-tisfaction entière » (vollständige Genugthuung) du § 7 comprend la réparation du dommage entier et le lucrum cessans. Un autre degré porte sur le « dom-mage véritable » (wirklicher Schade)79 qui ne semble pas avoir fait l’objet d’une description plus détaillée, mais qui était à opposer au « dommage intégral » du § 7. D’autres degrés se réfèrent au « dommage immédiat » (unmittelbarer

77 Insbesondere muss der, welcher ein auf Schadensverhütung abzielendes Polizeigesetz vernach-lässigt, für allen Schaden haften, welcher durch die Beobachtung des Gesetzes vermieden werden konnte, Gesetz=Revision. Pensum XIV. Entwurf. Allgemeines Landrecht Th. I Tit. 3, 4, 5, u. 6, Berlin 1830, I, 6, § 6, in Schubert, Werner, Gesetzesrevision (1825-1848), II. Abteilung, Band 3, Obligationenrecht, Vaduz Liechtenstein 1983, [61].

78 Gesetz=Revision. Pensum XIV. Motive zu dem von der Deputation vorgelegten Enwurf der Titel 3.

4. 5. u. 6. des ersten Theils des Allgemeinen Landrechts, Berlin 1830, in Schubert, Werner, Ge-setzesrevision (1825-1848), II. Abteilung, Band 3, Obligationenrecht, Vaduz Liechtenstein 1983, [237 s.

79 ALR I, 6, § 12.

Schaden)80 et au « dommage accidentel » (zufälliger Schaden)81. La loi mentionne également des degrés décrits par des expressions telles « tout le dommage »82,

« le devoir de remplacer »83, « la valeur entière fixée par la loi »84 ou, mélangé avec le mode de calcul, le « prix du marché »85.

La gradation fine du dédommagement est combinée avec les différents degrés de faute (voir supra chapitre sur la notion de faute). Ainsi, le « dédom-magement entier » était en principe dû si l’auteur avait agi dolosivement ou avec faute grave86. En revanche, s’il s’agissait seulement d’une faute moyenne, l’auteur du dommage ne devait réparer que le « véritable dommage »87, sans doute à l’exclusion du lucrum cessans. En cas de faute légère, la réparation était limitée au dommage immédiat88 défini au § 2, excluant le dommage médiat défini dans le § 3. Le dommage accidentel, nous l’avons vu, devait être réparé seulement si l’acte avait en même temps enfreint une norme d’interdiction89.

Les principes de dédommagement sont fixés d’abord de manière géné-rale dans les trois §§ 79-81. Ensuite, le législateur les appliqua concrètement à différents groupes de cas, tels le dommage matériel90, la mise à mort91, le dommage corporel92 comprenant non seulement le pretium doloris93, mais

80 ALR I, 6, § 15.

81 ALR I, 6, § 16.

82 ALR I, 6, § 70, voir aussi le § 72.

83 ALR I, 6, § 76.

84 ALR I, 6, § 82.

85 ALR I, 6, §§ 83 et 84.

86 ALR I, 6, § 10.

87 ALR I, 6, § 12.

88 ALR I, 6, § 15.

89 ALR I, 6, § 16.

90 ALR I, 6, §§ 82-97.

91 ALR I, 6, §§ 98-110.

92 ALR I, 6, §§ 112-131.

93 ALR I, 6, §§ 112-114. Le pretium doloris introduit une distinction de classe. Seuls les paysans et bourgeois y ont droit, à l’exception de l’aristocratie (höherer Stand) qui est censée savoir supporter des douleurs. Cette distinction avait été discutée et critiquée dans le projet de 1830.

Toutefois, au lieu d’allouer à tous un pretium doloris, celui-ci fut aboli pour tout le monde. L’ar-gument qui avait conduit à la distinction consistait à dire que l’honneur d’un aristocrate ne lui permettait pas de se faire dédommager de douleurs subies. L’argumentation de 1830 tournait à nouveau autour de l’honneur : «Erlittene Schmerzen sind an sich kein Gegenstand, der, wie ein anderer Schade, durch eine Geldvergütung ersetzt werden kann ; und das Ehrgefühl derjenigen, welche die Niedrigkeit der Gesinnung nicht erkennen, die darin liegt, einen erlittenen Schmerz sich bezahlen zu lassen, muss eher gehoben, als durch einen Anspruch auf Schmerzengeld unter-drückt werden», Gesetz=Revision. Pensum XIV. Motive zu dem von der Deputation vorgelegten Entwurf der Titel 3. 4. 5. und 6. des ersten Theils des Allgemeinen Landrechts, Berlin 1830, Schubert, Werner (Hrsg.), Gesetzesrevision : (1825-1848), (Nachdr.), Vaduz, Liechtenstein 1983, II. Abt., Bd. 3, Obligationenrecht, [274 ss]. Encore le législateur de 1830 se considérait-il comme un gardien de la morale et avait-il, entre autres, la fonction de consigner ces valeurs dans la loi.

aussi la perte de gain pour incapacité de travail94, la défiguration de femmes célibataires95 et, plus généralement, les défigurations qui entravaient l’évolu-tion d’une personne (Fortkommen in der Welt)96. D’autres groupes traitent d’at-teinte à l’honneur97, à la liberté98 et, finalement, à la confiscation injustifiée de biens99.

Selon les principes généraux des §§ 79-81, l’auteur du dommage devait, dans la mesure du possible, remettre la victime dans l’état antérieur. Si une telle restitution en nature n’était pas ou pas entièrement possible, d’autres modes de dédommagement prenaient sa place. Le calcul de la valeur de la chose endommagée ou détruite provoqua une discussion nourrie parmi les législateurs. Différentes propositions avaient été examinées, dont certaines étaient calquées sur le mode de calcul de la lex Aquilia et reprirent l’idée de la valeur la plus élevée durant l’année précédant le dommage. Le § 85100 de l’ALR représente une solution inspirée du moins partiellement par le droit romain. Dans les délibérations pour le ALR de 1794, Svarez lui-même fut un des artisans du mode de calcul ; il préconisa un système complexe du calcul de la valeur de la chose, combiné avec une gradation selon la faute de l’auteur du dommage101.

La manière extrêmement détaillée avec laquelle le législateur fixa le calcul du dommage, peut être illustrée dans les grands traits par l’exemple de la mise à mort. Subdivisées en trois parties, ces dispositions règlent successi- vement les cas d’homicide dolosif ou par faute grave102, l’homicide par faute moyenne103 et la mort due à une faute légère104. Si l’auteur avait agi par dol ou faute grave, il devait pourvoir à l’entretien de la femme et des enfants sur-vivants indépendamment de la situation financière de ces derniers et aussi longtemps que le de cujus aurait dû les entretenir. En revanche, si l’auteur avait commis seulement une faute moyenne, ses obligations dépendaient de

94 ALR I, 6, §§ 115-122.

95 ALR I, 6, §§ 123-127.

96 ALR I, 6, §§ 128-129.

97 ALR I, 6, §§ 130-131.

98 ALR I, 6, §§ 132-136.

99 ALR I, 6, §§ 137-138.

100 ALR I, 6, § 85.

101 Voir Gesetz=Revision. Pensum XIV. Motive zu dem von der Deputation vorgelegten Entwurf der Titel 3. 4. 5. und 6. des ersten Theils des Allgemeinen Landrechts, Berlin 1830, Schubert, Werner (Hrsg.), Gesetzesrevision : (1825-1848), (Nachdr.), Vaduz, Liechtenstein 1983, II. Abt., Bd. 3, Obligationenrecht, [259 ss].

102 ALR I, 6, §§ 99-102.

103 ALR I, 6, §§ 103-109.

104 ALR I, 6, § 110.

la situation financière des survivants et des autres sources, étatiques ou en provenance de tiers, dont la famille bénéficiait. Par ailleurs, les prestations de l’auteur étaient également alignées sur les obligations légales du de cujus.

Finalement, selon le § 110, la faute légère de l’auteur réduisait la famille aux prétentions les plus élémentaires et donnait droit seulement aux frais mé-dicaux, d’enterrement et de deuil. Notons que, en vertu du § 98, ces mêmes prestations étaient également dues en l’absence de toute faute105. Il s’agit là d’une exception au principe de dédommagement selon la gravité de la faute.

Uniquement appuyée sur l’illicéité, elle rappelle du moins partiellement la solution initiale de la lex Aquilia où la réparation était également due indépen-damment de la faute106.

Pour le calcul du dommage, comme pour la notion de faute, le législateur avait atteint de manière seulement partielle le but de réduire la marge d’ap-préciation du juge. Ce sont à nouveau surtout les §§ 97 et 124 qui témoignent de cet échec107. Mais encore une autre disposition fissure le carcan des normes qui bridaient le magistrat. Selon le § 132, celui qui avait été privé illicitement de sa liberté avait le droit à la réparation de son intérêt. Le législateur reprit ici le interesse initialement romain108, mais repris par le droit commun, et avec lui l’estimation déléguée au juge. Evidemment, il aurait été difficile de saisir abstraitement cet intérêt qui dépendait, précisément, des particularités du cas d’espèce ; ce d’autant plus qu’il s’agissait de la liberté dont la valeur prin-cipale n’est pas d’ordre patrimonial. Néanmoins, conférer au juge expressé-ment un pouvoir d’appréciation revenait à lui concéder une compétence qui échappait définitivement à tous les mécanismes de contrôle, y compris au référé législatif qui était l’arme la plus lourde du législateur. Au surplus, ces dispositions pouvaient induire le juge à se livrer à des appréciations même là où le législateur ne l’avait pas prévu expressément.

Dans la révision des dispositions en cas de mort d’homme, les auteurs du projet de 1830 reprirent extensivement les délibérations d’avant 1794, au cours desquelles notamment Svarez avait plaidé pour une réglementation très nuancée. Ils opérèrent dans les §§ 74-82 une certaine simplification en

105 Voir aussi supra chapitre faute p. 46 ss.

106 Comme le législateur de 1794, celui du projet de 1830 examinait aussi avec beaucoup d’insis-tance les différentes formes de calcul du dommage. Toutefois, il ne réussissait pas à simplifier le système alambiqué du ALR ; voir Gesetz=Revision. Pensum XIV. Motive zu dem von der Deputa-tion vorgelegten Entwurf der Titel 3. 4. 5. und 6. des ersten Theils des Allgemeinen Landrechts, Berlin 1830, Schubert, Werner (Hrsg.), Gesetzesrevision : (1825-1848), (Nachdr.), Vaduz, Liech-tenstein 1983, II. Abt., Bd. 3, Obligationenrecht, [259 ss].

107 Voir supra p. 48 le pouvoir d’appréciation du juge.

108 Par exemple Ulp. D. 9,2,21,2

Sed utrum corpus eius solum aestimamus, quanti fuerit cum occideretur, an potius quanti inter-fuit nostra non esse occisum ? et hoc iure utimur, ut eius quod interest fiat aestimatio.

renonçant, pour le calcul du dédommagement, aux distinctions entre l’acte dolosif et les différents degrés de faute. Par cette mesure, ils assurèrent aux victimes une réparation pour perte de soutien indépendamment du degré de faute de l’auteur du dommage109.

b. Le calcul dans le projet de révision de 1830

La subdivision du dommage ainsi que le mode de calcul dans le ALR de 1794 avaient fait l’objet de dures critiques dans les travaux de révision de 1830.

D’abord, on constata que la division initiale, en droit commun, avait été celle entre dommage positif et négatif, et que, dans le ALR de 1794, elle avait été remplacée par la distinction entre dommage immédiat et médiat110. La gra-dation du dédommagement selon le double critère du mode causal – immé-diat ou méimmé-diat – et du degré de faute fut critiquée comme floue : « […] nous pouvons prétendre hardiment que la gradation du devoir de dédommage-ment, comme le texte le prévoit, est entièrement inutile dans l’application.

Puisqu’elle n’est pas puisée de la vie, elle n’est pas entrée dans la vie. De par sa nature, l’objet est constitué de telle sorte que, nécessairement moult choses sont laissées à l’appréciation du juge »111. Cette critique n’est pas seulement féroce par rapport à la notion de dommage et son calcul. Elle revient aussi de manière explicite sur le pari de rédiger un code qui briderait le juge avec des normes très précises. Trente ans d’expérience ont démasqué ce concept comme une illusion. Ils poursuivirent : « A notre avis, pour cette raison la loi doit être reconduite à quelques règles aussi simples que possible »112 et conclurent que la notion de dommage devait être réduite aux deux éléments

109 Voir Gesetz=Revision. Pensum XIV. Motive zu dem von der Deputation vorgelegten Entwurf der Titel 3. 4. 5. und 6. des erten Theils des Allgemeinen Landrechts, Berlin 1830, Schubert, Werner (Hrsg.), Gesetzesrevision : (1825-1848), (Nachdr.), Vaduz, Liechtenstein 1983, II. Abt., Bd. 3, Ob-ligationenrecht, [266 ss].

110 Voir Gesetz=Revision. Pensum XIV. Motive zu dem von der Deputation vorgelegten Entwurf der Titel 3. 4. 5. und 6. des erten Theils des Allgemeinen Landrechts, Berlin 1830, in Schubert, Werner (Hrsg.), Gesetzesrevision : (1825-1848), (Nachdr.), Vaduz, Liechtenstein 1983, II. Abt., Bd. 3, Obligationenrecht, [232].

111 « […] ; und wir dürfen kühn behaupten, dass die Abstufung der Ersatzverbindlichkeit, wie sie der Text gibt, für die Anwendung durchaus werthlos ist. Sie hat, weil sie nicht aus dem Leben gegriffen ist, auch nicht ins Leben übergehen können. Der Gegenstand ist seiner ganzen Natur nach von der Art, dass nothwendig dem Ermessen des Richters Manches überlassen bleibt», Gesetz=Revision. Pensum XIV. Motive zu dem von der Deputation vorgelegten Entwurf der Ti-tel 3. 4. 5. und 6. des erten Theils des Allgemeinen Landrechts, Berlin 1830, in Schubert, Werner (Hrsg.), Gesetzesrevision : (1825-1848), (Nachdr.), Vaduz, Liechtenstein 1983, II. Abt., Bd. 3, Ob-ligationenrecht, [232].

112 « Unserer Ansicht nach muss aber ebendeswegen das Gesetz auf einige wenige möglichst ein-fache Sätze zurückgeführt werden », Gesetz=Revision. Pensum XIV. Motive zu dem von der Depu-tation vorgelegten Entwurf der Titel 3. 4. 5. und 6. des erten Theils des Allgemeinen Landrechts, Berlin 1830, in Schubert, Werner (Hrsg.), Gesetzesrevision : (1825-1848), (Nachdr.), Vaduz, Liechtenstein 1983, II. Abt., Bd. 3, Obligationenrecht, [232].

de dommage et de lucrum cessans. On pourrait être tenté de voir dans cet aveu un hommage posthume aux rédacteurs français qui avaient souligné, nous le verrons, l’importance de fixer dans le code seulement des principes généraux. Toutefois, la longueur du projet de révision, où la responsabilité civile est tout de même réglée en 105 paragraphes, montre que le législateur prussien de 1830 ne s’est rapproché d’aucun des deux grands codes d’alors, qui étaient le Code civil français et le ABGB autrichien113.

B. Doctrine et jurisprudence