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REPRESENTATIONS DU TRAVAIL ET SCHEMES TECHNIQUES

La dépendance des formes techniques aux formes sociales apparaît déjà dans les attitudes face au travail. Tout projet d’organisation du chantier ne se conçoit qu’à travers des manières de considérer l’activité du tra­ vailleur. Le travail n’est pas cette matière neutre dont on aurait appris, à l’époque moderne, l’utilisation scientifique et rationnelle et qui serait sans influence sur les formes, les méthodes et les processus. Au contraire dans la manière de comprendre le travail s ’investissent des valeurs, des opinions, des héritages qui forment les attitudes et sous- tendent les comportements.

C’est à travers ces représentations sociales du travail qu’est posé le paradoxe de l’esclave et de la machine. Il faut des machines pour se dispenser des esclaves mais on ne peut inventer de machine que lorsque les esclaves ont disparu.

C’est dans ces représentations du travail que s’instaure la distinction entre le manuel et l’intellectuel. Mais comment distinguer l’anticipation et la vérification qui seraient actes intellectuels, de l'exécution propre­ ment dite qui serait un travail manuel?

LES REPRESENTATIONS DU TRAVAIL

Par le terme de « représentations » on entend ici ces idées générales plus ou moins conscientes, ces images, ces schémas, ces manières de com­ prendre, ces assemblages d’idées préconçues à travers lesquelles se construisent les attitudes et les comportements.

LE TRAVAIL COMME MALEDICTION OU COMME REDEMPTION ET LE PARADOXE DE L’ESCLAVE ET DE LA MACHINE

L e G off. analysant le rôle des héritages dans les représentations du travail note: d'une part l'importance des techniques artisanales liées à des groupes socio­ professionnel et auréolées par des croyances religieuses. «Ainsi dans le cas gaulois, importance des artisans attestée dans Part et sanctionnée par le pan­ théon religieux (primauté du Dieu L u g — mercure gaulois » dieu des techniques et des métiers). D'autre part « l'ambiguïté de la valorisation opposée du travail et du non travail. D ’un côté le mépris du guerrier pour les activités économiques et le travail manuel « on ne les persuade pas aussi facilement de cultiver la terre et d'attendre la moisson que de provoquer l'ennemi et de gagner des blessures» (Tacite Germ ania X IV - X V ) ; de l'autre, la virtuosité technique et artistique, prestige social des artisans métallurgiques artisans sacrés (le forgeron et l'orfè­ vre dans la mythologie germanique». Le Goff. Pour un autre Moyen Age.

LA NOTION DE SCHEME

Une attitude face au travail découle d’un système de valeur, une ma­ nière de comprendre le monde. Elle est le signe qui la révélerait. Ce système de valeur n’est lui-même qu’une « représentation » cohérente de l’activité de construire, dans laquelle l’action de chaque technicien prend une place nécessaire. Cette représentation forme un «idéal», un état idéal qui est la référence confuse mais forte à laquelle chaque tech­ nicien rapporte la -définition de son rôle et de celui des autres.

Les règles techniques générales et particulières doivent apparaître comme la r é a lis a tio n de cet idéal. La norme concrète de l’objet techni­ que où elle se représente sont compris comme l’application d’un prin­ cipe, lui-même compris comme une norme idéale.

Mais cette norme idéale est constituée d’éléments si divers et si étran­ gers au domaine de la construction qu’on ne peut directement immé­ diatement en déduire une règle pratique.

Il faut donc un terme intermédiaire, une médiation, entre la norme idéale et sa formulation concrète, un terme homogène à ces deux ni­ veaux abstraits d’un côté et concret de l’autre, qui rende possible l’ap­ plication de la première à la seconde.

Le constructeur a recours à des représentations mentales qui jouent le rôle de ce terme intermédiaire. On appellera schème ces constructions mentales dans lesquelles sont représentés et réduits sous formes d’idées, d’opinions, de convictions et d’images les éléments constituant la norme abstraite. Par ce schème est construite la mentalité du cons­ tructeur qui n’est pas autre chose que la représentation qu’il se fait de l’activité de construire. Ce schème est ce qui pour lui rend son action technique cohérente avec le monde. Il forme la référence dont décou­ lent son intuition et son raisonnement.

REPRESENTATION DU CONTEXTE ET DE L’ACTIVITE

La construction ne peut se définir en dehors d’une prise de position sur trois problèmes :

- le problème des ressources: comment se définit le système de res­ sources: matière, pensée, travail;

- le problème de l'organisation: quelles sont les relations et comment sont-elles pensées, entre les diverses techniques appelées à concourir à la réalisation de la bâtisse;

- le problème du contrôle: par quels moyens sont organisés, contrôlés, dimensionnés les éléments qui composent le bâtiment.

Les réponses apportées à ces trois problèmes relèvent d’une représen­ tation du contexte socio-économique du secteur du bâtiment plus que de l’effet direct ou immédiat des facteurs qui caractérisent ce contexte. C’est dire que les réponses aux trois questions de la construction relè­ vent d'une position, d’une prise de parti, d’une manière de considérer l'ensemble du domaine de la construction.

COHERENCE AVEC VN IDEAL

•Le schème serait la construction mentale d ’une « rep résen ta tio n -réd u ctio n » sorte de « référence » constituée d ’un ensemble de jugements et d ’opinions for­ tement relié à la morale du groupe social. Ce schème sous-tend les énoncés de la doctrine architecturale, la définition du rôle des acteurs dans l’institution qui les consacre, et finalement la forme des objets et des techniques. Il apparaît comme l'opérateur qui assure le passage de la dpctrine au réel.

Cette «représentation» intermédiaire est une manière de comprendre:

le s r e s s o u r c e s (l’objet technique, le travail, le savoir, les références),

l'a c t iv it é les procédés, le statut, le rôle, la morale, les principes), le c o n tr ô le (le processus, institution, la relation au pouvoir, le consensus).

La norme concrète est ainsi donnée par l’intermédiaire des schèmes comme l’expression d’une norme idéale.

LE SCHEME DE LA MACHINE

La machine introduit une rupture dans l’histoire de la technique. Le schème de la machine est la manière sans cesse renouvelée de considé­ rer cette rupture. Il conduit à réévaluer le travail, à changer son sens dans l'organisation sociale, donc à repenser complètement l’attitude du constructeur devant le problème des ressources, à reconsidérer l’orga­ nisation du chantier et celle du contrôle. Cette représentation mentale de la machine introduit des concepts de répétition, de standard et d’unité dans la pensée du constructeur. Ce schème accompagne les dé­ veloppements de l’architecture moderne et fonctionne aujourd’hui en­ core à soutenir de nouvelles stratégies et de nouvelles positions.

^Depuis plus d’un siècle, l'industrialisation du bâtiment apparaît comme un objectif prioritaire. Le modèle de l’industrie s’impose dans tous les domaines de la technique. L’objectif d'industrialiser le bâtiment «va de soi». Le projet d’imposer un ordre machinique au «désordre» de la construction n’est pas nouveau. Avec les premières machines apparaît le rêve d’en généraliser les effets miraculeux. C’est un rêve édéniste. Une machine mentale se construit, elle assemble des souvenirs de para­ dis perdus et des morceaux d’avenir fantasmé. Par le terme de «schème de la machine », on propose de désigner ce vaste domaine de la repré­ sentation — d’un monde reconstruit dans l’ordre de la machine — et

p lu s s p é c ia le m e n t ce qui lui est emprunté pour penser une transforma­ tion de la construction.

On propose de caractériser ce schème de la machine par les 3 réponses nouvelles qu'il apporte aux 3 questions permanentes de la construction.

UNIFIER LES RESSOURCES

La machine est elle-même une ressource nouvelle, elle supplée à l’effort musculaire, elle remplace le travailleur, elle prend place parmi les res­ sources disponibles. La machine rassemble aussi des éléments hétéro­ gènes, mais elle les met sous sa loi. Elle les incorpore à son mécanisme et là ils perdent définitivement leur statut d’origine, leur caractère spé­ cifique pour devenir, morceau, pièce ou rouage.

La machine remplace l’activité fédérative par un système unitaire. La convergence de fonction et de moyen est obtenue par elle dans l’objet .technique.

La construction est fédérative d’activités, cette fédération nécessaire pose le problème d’associer au même travail des hommes d’origine dif­ férente, de découper l’ouvrage à exécuter en parties définies de telle sorte que chacun y trouve une part, de concevoir les fonctions et les assemblages.

Le branchement des machines les unes sur les autres n'est pas de même nature. Ici, associées, elles forment un système dont tous les éléments sont assujettis. On peut, métaphoriquement, utiliser l'idée d’un tel sys­ tème pour décrire la fédération des métiers, mais dans la construction les acteurs ne sont jamais complètement assujettis au pouvoir du coor­ dinateur.

ORGANISER L'ACTIVITE

La machine n’est pas seulement un dispositif technique concret, un en­ gin, elle est aussi une machine sociale, une organisation rationnelle de la production, comme celle que met en place Monge pour fabriquer les canons.

NORMALISER LE CONTROLE

Le schème de la machine impose l’idée d’une évaluation objective. Il imagine un contrôle machinique, automatique, un processus-contrôle.

LES TROIS NIVEAUX DE LA TECHNIQUE