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LA DISCUSSION SUR L’AUTORITE

LES TROIS DISCUSSIONS SUR LA NORME

LA DISCUSSION SUR L’AUTORITE

LA NORME DE CONTROLE ETABLIT L'AUTORITE

La norme de contrôle (ou plutôt tout le système complexe de contrôle social qu’elle fait fonctionner) est un instrument de pouvoir ambigu et commode.

D’une part elle donne au pouvoir politique le moyen d'appliquer une politique par les moyens d'incitation et de répression qu'elle comporte, d'autre part, elle lui apporte le moyen de dégager sa responsabilité quand cette même politique est rejetée. Le contrôle est alors présenté comme une simple procédure d'organisation et de réalisation de la de­ mande du public lui-même.

La norme de contrôle se construit dans le système institutionnel com­ plexe qui est décrit ici, et ce mode de construction permet à la norme de contrôle de jouer le rôle de régulation sociale :

- adapter la technique aux logiques professionnelles et politiques, - fabriquer la demande et la normaliser dans cette perspective,

- fabriquer une nouvelle demande et le rejet des formes précédentes quand apparaissent dans une nouvelle conjoncture de nouvelles straté­ gies.

Les trois discussions, celle des moyens, celle de la finalité, celle de l’autorité, ont été ici distinguées pour classer les arguments qu’utilisent les acteurs pour confronter leurs opinions et établir leurs positions.

A reconstituer le jeu de ces déterminations réciproques on pourrait épuiser toutes les hypothèses possibles. Dans le domaine de la cons­ truction, on peut toujours trouver quelque part la confirmation possible d’une hypothèse inattendue ou paradoxale. Ces déterminations forment un réseau complexe où s’opposent les analyses diversifiées et conflic­ tuelles de tous ceux qui prennent part à la discussion sur la norme. Paradoxalement ce réseau répond à 2 caractéristiques contradictoires. D'une part il forme une institution dont l’inertie est apparemment in­ surmontable et qui résiste aux révolutions, aux événements économi­ ques et à toutes les attaques d’un corps social insatisfait. D’autre part, il constitue une procédure souple d’adaptation à la conjoncture.

Mais ce paradoxe n’est qu’apparent. La souplesse de la construction à s’adapter aux nécessités économiques et sociales est le moyen même d’assurer la pérénité de ses structures et de son pouvoir d’être le prin­ cipe même de l’ordre social, demeurer cette activité ou cette production par laquelle la société entière reste en «ordre de marche», docile. Mais le corps social exige une cohérence. Une société n'accepte la règle qui fixe son organisation (et dont découlent les conditions de vie des individus qui la composent) qu'à la condition que cette règle puisse être comprise comme une contrainte logique qu’impose l'intérêt général.

Le corps social ne peut accepter cette vision pessimiste ou désespérée qui consisterait à constater définitivement l’incohérence de la règle. De cette impossibilité, les acteurs de la construction jouent, ils énoncent leurs stratégies à travers la prise en compte du bien commun.

CONCLUSION

On a pu établir le rôle de la doctrine architecturale dans la production des édifices et montrer comment, à travers le savoir et dans les structu­ res du Pouvoir elle sert diverses stratégies de la transformation sociale par l'intermédiaire de la technique.

C’est un discours institutionnel en cela qu'il porte la revendication d’un rôle pour celui qui le tient. C’est un discours dissimulateur, en cela qu’il cache généralement la motivation réelle par l’énoncé d’un idéal. Il reste que l'identification de positions doctrinales ne saurait entraîner la re­ connaissance des formes architecturales et permettre leur classement dans des catégories correspondantes, même si parfois la doctrine se manifeste par un édifice.

La doctrine est une prise de position face au projet. L’une des plus fréquentes dans la pratique des architectes est de la déguiser de diffé­ rentes manières. La manière d’un architecte ne révèle pas forcément sa position doctrinale. Le jeu des influences, des citations, des imitations ou des plagias reste ouvert à bien des stratégies; celle d’établir son sta­ tut et de protéger son activité, en construisant sa propre manière est le fait exceptionnel de ceux qui savent institutionnaliser leur personnage : les Maîtres.

La Doctrine arrange le Monde ... Cet arrangement consacre la position d’un des acteurs de la construction. Celui-ci tente d’assurer par un dé­ cret irrévocable, la pérennité de sa victoire. C'est au moment où la règle prend la forme du décret qu'est fixée dans l’organisation sociale, la place du constructeur.

On a pu montrer le rôle de la doctrine architecturale dans cette trans­ formation continuelle de la règle constructive. Car, bien sûr, le «décret irrévocable » à peine promulgué se révèle inefficace à soutenir la posi­ tion même du constructeur qu’il avait pour objet de défendre. Les au­ tres. ceux dont le rôle était abaissé par cette règle définitive, entament une nouvelle bataille pour obtenir une nouvelle règle.

On a pu montrer comment, dans ce jeu d’une transformation conti­ nuelle, tout est bon pour dissimuler l'enjeu véritable. Ici, plus, peut-être que dans d'autres techniques dont l’utilité sociale est moins directe ou moins visible, il faut que le constructeur emporte la conviction de l’usa­ ger. La règle ne peut être établie que si on peut démontrer qu’elle sa­ tisfait une demande sociale. La doctrine architecturale fabrique ce consensus dont le constructeur a besoin pour soutenir sa stratégie. On comprend que n'est pas directe, cette relation qui lie le débat sur les formes architecturales où excellent les architectes à faire le discours qui les démontrent avec le débat, qui en même temps se développe ailleurs sur les objets techniques, les procédés, les processus.

On a tenté, dans ce livre, de poser quelques jalons qui permettraient de mieux saisir cette relation; l’institution professionnelle, le savoir techni­ que. la morale du constructeur. Ce faisant, la construction apparaît comme un ORDRE. Elle n’est pas le résultat d’une décision qu’aurait prise une société déterminée de construire les édifices, elle est constitu­ tive de l’ordre social.

Le constructeur entretient l’idée qu’il est inclus dans un processus qui va de la demande à la réalisation. Mais, en faisant l'analyse de ce rap­ port architecture-construction, nous avons fait apparaître que globale­ ment le projet de construire n’est jamais complètement préconçu ... il n’est pas réponse à une demande.

Bien sûr, chaque édifice peut être compris comme la réalisation d’un projet d’édifice, et peut-on facilement montrer la ressemblance qu’il y a entre l’objet réel et son modèle.

Mais, globalement, pour la construction toute entière, nous l’avons suf­ fisamment démontré, la r é a lis a tio n n’est pas ce travail de simple mise

en grandeur nature d’un modèle pré-établi, mais une discussion sur le modèle lui-même.

L’objet de la construction n’est pas ainsi de réaliser un modèle mais d’imposer l’ordre dont il procède. En fait, le constructeur n’est pas placé dans un processus qui va du projet à l’objet. Il ne dispose jamais du moyen d’anticiper complètement sur l’édifice.

La réalisation de l’édifice, par le fait qu'elle implique dans son déroule­ ment même — l’inventaire toujours à répéter des ressources — , la fédéra­ tion des métiers dont toujours il faut renouveler le principe, — et fe contrôle enfin qui échappe toujours à la procédure qui devrait satisfaire à sa nécessité, est le moment essentiel, le moyen et le lieu d’une discussion

s o c ia le dont l’enjeu est bien ailleurs que dans l’ordre de la technique. La construction apparaît ici constitutive de la Morale.

La question de la description de l’édifice apparaît alors comme le nœud de la pratique constructive.

On peut, comme fait Gabriel, avancer son impuissance à décrire, dessi­ ner et donner par avance, tous les détails de la bâtisse. On peut, à l’in­ verse, comme fait Gropius prétendre disposer d’une description telle­ ment éprouvée qu’il faut bien la considérer déjà comme l’édifice lui- même.

Autour de cette question, débattent en réalité le commanditaire et le technicien, le pouvoir politique et celui de la corporation.

Mais, dans un cas comme dans l’autre (que le technicien refuse de dé­ crire par avance cet édifice, ou que le technicien prétende en donner une représentation tellement précise qu'elle préfigure non seulement l'édifice lui-même, mais encore le processus par lequel il devient réel), le technicien fait la tentative d'exercer le pouvoir de contrôler la cons­ truction. Or le contrôle ne s'établit en fait ni avant la construction par une évaluation a priori du projet de l’édifice, ni après la construction par une comparaison a posteriori du projet réalisé aux performances qui lui étaient fixées, mais pendant la réalisation elle-même, seul moment pen­ dant lequel la description de l’édifice n’est pas fiction, mais se confond avec la réalité elle-même.

Et c ’est au cours du d é r o u le m e n t de cette réalité concrète du chantier, dont on dit qu'il s ’accomplit suivant une Règle pré-établie, qu'en réalité s'énonce la Règle constructive. On voit bien qu’elle ne vise plus alors à régler le chantier lui-même mais un espace social plus vaste.

Il ne faut pas comprendre cette proposition seulement dans le cadre de l'abstraction d’une Construction qui engloberait tous les édifices qui à un moment donné se réalisent et tous les acteurs qui participent à leur construction. Concrètement pour chaque édifice et concrètement dans la pratique constructive est entretenue cette fiction d'une anticipation de l’édifice réel, qu’on pourrait tenir comme objet réel et qui aurait, en quelque sorte, le même statut que l’édifice lui-même.

Cette fiction sert à dissimuler le rôle normatif du processus construc­ tion. Que l’anticipation existe sous forme d’un modèle ou d’un descrip­ tif ou qu’elle soit le fait exclusif du concepteur, la norme préexisterait dans un cas comme dans l’autre.

Or, c ’est pendant la réalisation de la construction que se forme et se transforme la Règle. L'idée d’un état de «futur achèvement», celle de «prix fait» à laquelle s'est attachée la notion de responsabilité décen­ nale ou celle de « modèle » qui périodiquement soutient de vastes projets de réorganisation de la production, découlent de ce même concept d'une «anticipation» tellement précise qu’elle ne laisserait pas d’écart entre le projet et l’objet.

Le constructeur suivant la conjoncture tente d’occuper la place vide de cet écart et il soutient avec une égale mauvaise foi fune ou l’autre de ces deux positions opposées : la description est impossible; la descrip­ tion est possible.

Que se passe t-il dans cet écart qui séparé le p r o j e t d e l ’o b je t et que tente de réduire sans jamais y parvenir, soit u n e d e s c r ip tio n a n tic ip é e d e l ’é d ific e (dont le critère serait objectif) soit au contraire u n e r è g le d e l ’a r t (dont l’artiste aurait le monopole)?

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Il faut achever ce livre sur une hypothèse. La construction des édifices par tous les liens subtils qui lient cette activité au discours, participe de la formation et de la transformation de l’ORDRE social.

L’édifice n’est pas un reflet, une expression, un résultat — il est plus un processus qu'un objet, et en tant que tel il est lui-même constitutif de cet ordre.

C est à 1 aide de cette hypothèse qu’il faut d’après nous entreprendre une histoire de la technique constructive, dont le programme reste à faire.

Cette tentative d’une théorie des doctrines architecturales, qui au moins, ruine l’idée d’une autonomie de la technique constructive, vise à l’introduire.