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Chapitre V- Analyse des résultats

1) Les rôles des groupes communautaires LGBT

1.4 Représenter la diversité sexuelle et de genres

Le dernier rôle que nous allouons aux groupes communautaires LGBT est justement de parvenir à représenter la diversité sexuelle et de genres qui caractérisent les membres de la « Communauté LGBT ». Le souhait de plusieurs « gros joueurs » d'être inclusifs résulte de l'importance que cette inclusivité implique en termes de représentation et de crédibilité auprès des autorités. La recherche d'unité, même de façade, constitue une vérité de La Palice pour les mouvements sociaux dans leurs rapports avec les autorités. Cette unité est cependant plus facile à trouver dans le contexte assimilationniste qui caractérise la majorité des acteurs LGBT* québécois depuis les années 70. En effet, s'il existe bien des groupes plus radicaux au sein du mouvement LGBT* québécois (on peut penser au mouvement queer23), et même au sein des groupes communautaires de ce secteur, leur

capacité d'influence est très minime. Ils se situent au plus loin de la relation avec l'État et ils n'orientent pas leurs stratégies d'influence vers ce dernier. De ce fait, il n'offre aucune compétition aux « gros joueurs » qui maintiennent ainsi une forme d'oligarchie sur le secteur.

Le discours LGBT lui-même constitue une limite pour le mouvement pour les droits des minorités sexuelles et de genres, au sens où il restreint les perceptions de la diversité qui caractérise ces minorités. En effet, pour exprimer de manière simple ces limites, malgré l'apparente « unité dans la diversité » qu'offre le sigle « LGBT », on constate rapidement en intégrant le milieu communautaire que ce dernier reste dominé par des hommes gais blancs. La place des lesbiennes reste secondaire, bien que celles-ci aient lutté fortement pour « sortir de l'ombre », comme l'exprime si bien le titre

23 On réfère ici à la lecture du mémoire de maîtrise de Laurie Pabion, qui a travaillé avec les militant.e.s queers montréalais.

Celle-ci apporte une vision complémentaire à notre recherche, en abordant notamment les éléments moins institutionnels du milieu LGBT* de la métropole.

139 d'un ouvrage de Demczuk. On parle donc d'un secteur « LGBT » où les « LG » constituent les principaux représentants. Si les trans* occupent aujourd'hui une place prépondérante dans le débat public, qui se répercute nécessairement dans leurs représentations au sein des groupes communautaires, le changement est encore récent et la lutte à la transphobie a commencé au sein même de la « Communauté LGBT ». Enfin, les personnes bisexuelles sont les grandes absentes de ce sigle. Aucune organisation spécifiquement bisexuelle ne représente leurs intérêts et leurs voix restent très marginales. À ces inégalités de représentation ayant trait aux identités sexuelles et de genres, il fait ajouter l'invisibilisation des régions et des minorités ethnoculturelles dans le débat sur les enjeux LGBT.

S'il est établi que la population LGBT est principalement urbaine – et au Québec cette urbanité concerne principalement Montréal et Québec – la question des régions a très longtemps été mise de côté. Ainsi, parmi les groupes étudiés, la quasi-totalité est originaire de Montréal et y a ses bureaux. Les régions font cependant face à des enjeux spécifiques24, sans pour autant que leur réputation en faisant des lieux plus homophobes ne soit justifiée25.

C'est également le cas des groupes ethnoculturels qui font face à des enjeux intersectionnels faisant intervenir racisme, homophobie, sexisme, etc. Bien qu'urbains, ces groupes restent à la périphérie du mouvement LGBT québécois, dominé par la majorité blanche. La tuerie d'Orlando, en 2016, a cependant eu des impacts encore difficiles à évaluer pour cette partie de la Communauté, mais l'emphase sur l'origine latino des victimes a permis de confronter la problématique au sein de la Communauté LGBT montréalaise. Cependant, durant la période étudiée par cette recherche, la

24 En raison de l’isolement des personnes LGBT*, il a été reconnu par plusieurs études que les régions du Québec devaient

bénéficier d’un soutien spécifique. Ce besoin reste d’actualité comme le démontre l’étude du Centre d'initiative à la recherche et d'aide au développement durable (CIRADD) dans un article récent de Radio Canada (septembre 2016).

25. Aujourd’hui, avec la mise sur pied d’un réseau associatif en croissance et à l’aide des nouvelles technologies, cet isolement

tend à être briser et les problématiques tendent à évoluer. Le thème de la lutte contre l’homophobie en région a été l’objet d’un colloque en 2005 et d’un ouvrage de Danielle Julien et Joseph Josy Lévy (2007). Une préoccupation pour les régions se retrouve également tout au long de notre analyse documentaire, comme l’illustre la remarque de Claude Côtés (ex-Président de la Table de concertation des gais et lesbiennes) dans le compte rendu des État généraux des communautés LGBT en 2004 :

La décision de tenir la rencontre à Québec est fondée en partie sur le fait que l’enjeu de l’égalité sociale se pose avec moins d’acuité à Montréal, où les communautés LGBT sont plus vivantes qu’ailleurs au Québec. On veut dire aux gens qu’ils peuvent rester en région et qu’ils n’ont pas à se déraciner. Il faut mettre en place des conditions gagnantes pour que dans les régions les jeunes puissent vivre leur vie et soient acceptés par leurs parents et leur entourage. »

140 faiblesse de ces groupes ne leur permet de pas profiter de l'opportunité offerte par les négociations. Ils sont donc eux aussi victimes de la marginalisation.

Notre recherche se concentre sur des événements et leurs acteurs. Nous sommes dans l'obligation de constater que les enjeux comme la bisexualité, les questions ethnoculturelles et la représentation des régions hors Montréal ne peuvent être traitées ici, car ils n'ont pas été considérés comme des enjeux centraux au cours du processus étudié ici. Cependant, l'émergence des enjeux trans* qui parcourent notre recherche fait la preuve que des initiatives sont possibles en contexte de négociation, mais nécessite le recours à des actions qui n'entrent pas dans le cadre d'une relation corporatiste. En effet, le manque de ressources qui caractérise la situation des marginalisés force ces derniers à recourir à un répertoire d'action plus conflictuel, à s’agréger à d'autres mouvements ou à bénéficier du soutien d'individus disposant de fortes ressources personnelles.

En conclusion à cette première section, où nous avons procédé à une analyse du contexte (1.1), des interactions (1.2), des acteurs (1.3) et des limites (1.4) que pose ce type de relation, nous entendons maintenant proposer un modèle explicatif. Celui-ci doit pouvoir intégrer les différentes variables abordées tout au long de cette recherche, soit les ressources des groupes, la proximité entretenue avec l'État, le type de stratégie poursuivie et enfin la temporalité dans laquelle s'inscrivent ces variations.

2) Proposition d'un modèle illustrant les niveaux de la relation corporatiste dans