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Chapitre V- Analyse des résultats

1) Les rôles des groupes communautaires LGBT

1.1 Imposer et maintenir l'homophobie à l'agenda politique

1.1.1 Contexte favorable et opportunités d'actions

L'analyse du contexte constitue la première étape de notre analyse des résultats. Celle-ci s'effectue à l'aide de la théorie des opportunités politiques exposée précédemment et correspond à la séquence T1 décrite au chapitre précédent. À partir de ce contexte, on analyse les types de stratégies et de ressources nécessaires à l'inscription de l'homophobie à l'agenda politique au début des années 2000.

112 Parallèlement aux nombreux évènements LGBT majeurs qui ont ponctué l'actualité québécoise (voir la description de la séquence T1) , depuis 2003, la Fondation Émergence a également lancé la Journée

nationale de lutte contre l'homophobie (initialement le 4 juin) qui est devenue par la suite une journée

internationale contre l'homophobie, célébrée le 17 mai. Cette initiative privée lui a permis de se positionner comme un acteur majeur sur la scène communautaire et d'accéder à du financement dès la période 2000-2003. Au contexte favorable que constitue l'ouverture du système politique et l'ouverture des décideurs politiques à la question de l'homophobie, s'ajoute ici le relais des revendications à des positions stratégiques ainsi que l'homogénie sociale dont bénéficie le fondateur de Gai Écoute, à titre de haut-fonctionnaire à la Justice. Ses contacts personnels, son travail de médiatisation et la reconnaissance de Gai Écoute ont permis, dès le début des années 2000, de faire de la Fondation Émergence un « gros joueur », doté de ressources abondantes si on la compare à ses pairs du secteur communautaire LGBT. Cette organisation participe d'une dynamique de co- construction du contexte par ses campagnes de sensibilisation-choc et ses liens avec des décideurs politiques. Ces liens sont entretenus au cours des années de débats entourant le mariage et l'adoption par des couples homosexuels. Ainsi, la société québécoise a eu l'occasion de débattre et de confronter la question de l'homosexualité, sortant cet enjeu du tabou dont il a fait l'objet par le passé.

« C'est parce que quand le mariage...l'union civile a été acceptée, la population n’était pas toute d'accord. Alors avec les thématiques annuelles de la Fondation Émergence sur l'homophobie, ils ont fait réagir la société en disant « Bah voici ». Alors quand c'est arrivé les joueurs de hockey ça a été un scandale, les deux filles ça s’est passé...pouf. Mais deux joueurs de hockey mon petit gars. Maintenant tu regardes cette affiche-là, on regarde 2015, le joueur de hockey, le joueur de football, le joueur de basket-ball...hop hop plus personne en parle. Personne ne crie au scandale. Ensuite, il y a une affiche qui est mal tombée – parce que l'actualité est tombée à ce moment-là, -- c'était la guerre en Irak ou en Afghanistan et là tu as deux soldats [sur une affiche] et ça...même nous-autres les LGBT...Moi ça me... Personne n’osait le dire [au répondant 6]

-'' Ce n’est pas une bonne idée ton affaire ''. C'est la seule affiche qui a le moins marché dans le Canada parce que ce n'était pas international dans ce temps-là, c'est celle-là.

[Mais le répondant 6 a répondu]

-''Oui, mais la rose''.

-'', Mais qu'est-ce que tu regardes avant de regarder la rose, […] ? Ils sont habillés en militaires. Ta petite rose, elle ne paraît pas, même si elle est rouge et qu'eux sont en vert '' » (Répondante 2)

Lors de chacun de ces événements, des acteurs du communautaire LGBT*, dont la Fondation Émergence et la Table de concertation, ont milité pour leurs droits et ont profité de leurs tribunes pour exprimer leurs doléances aux autorités. Ainsi, notre recherche a pris comme point de départ le

113 colloque « Nos communautés en marche » (2000) au cours duquel a été demandée la création d'une Chaire de recherche ainsi qu'une charge ministérielle dédiée aux minorités sexuelles, sur le modèle du Secrétariat à la condition féminine.

Cette demande de reconnaissance à l'initiative de la Fondation Émergence constitue à nos yeux le début d'une nouvelle ère de relations entre la diversité sexuelle et de genres et l'État québécois. Au sein de cette nouvelle période, la lutte contre l'homophobie revêt alors un caractère central, partant du constat que les processus concernant l'obtention du mariage sont déjà en cours et s'annoncent à l'époque favorable, comme le confirmeront les victoires du début des années 2000. À cette époque, la Fondation Émergence et son fondateur, sont très actifs et occupent les médias. La mise au premier plan de la lutte contre l'homophobie constitue un repositionnement du discours des groupes LGBT qui doivent anticiper le passage du mariage et de l'adoption et ainsi élaborer un nouvel axe pour leurs luttes :

« La fondation arrive en 2000. À l'initiative de Gai Écoute. Au départ j'avais pensée faire la fondation de Gai Écoute et je me suis rendu compte que ça ne nous permettait pas vraiment de nous étendre dans des champs d'action, ça nous limitait à la mission de Gai Écoute. Donc après ça on a changé le nom, pas longtemps après, pour appeler la Fondation Émergence, en lui donnant une mission différente de celle de Gai Écoute, qui est une mission éducative, de sensibilisation, de lutte à l'homophobie, en 2000. »

(Répondant 6)

Si le communautaire est actif dans son rôle de mise de l'agenda de l'homophobie, il est nécessaire de comprendre que ce désir d'inscription à l'ordre du jour rencontre une ouverture de la part de la classe politique, quel que soit son orientation partisane. Nous voyons ici que le contexte de tolérance peut expliquer l'absence de résistance des acteurs gouvernementaux à engager un processus de formulation de politique publique.

« Tous les partis ont été très très ouverts. Moi je n'ai jamais eu de difficultés avec un parti, ils ont toujours voté pour, il n'y a pas eu d'opposition, non. Mais tu sais, les partis politiques, ils suivent aussi l'air du temps, ce que pense la population, les sondages, ils voient que la population est favorable et tu remarqueras aussi une chose, c’est que presque toutes les mesures au Québec, ont été adoptées au mois de juin. Fin de session, il ne reste plus de temps pour placoter. On passe ça vite. » (Répondant 6)

« Il y a quand même une unanimité sur ces questions-là, c'est quand même beau à voir. Tout un chacun partage l'avis que l'homophobie est quelque chose à combattre. » (Répondant.e 4)

114 Cependant, l'existence d'une fenêtre d'opportunités politiques ne suffit pas à expliquer l'action et les relations entre les groupes et de l'État. Pour cela, il faut passer par une analyse des ressources et des stratégies que celles-ci permettent. Considérant que certaines stratégies sont plus efficaces que d'autres et que leurs coûts varient, les inégalités de ressources des groupes vont déterminer lesquels sont en compétition pour recevoir à la fois de nouvelles ressources étatiques, principalement financières et matérielles (demandes minimales), mais aussi pour l'instauration d'un statut de reconnaissance qui permet de sécuriser l'accès aux ressources (demandes maximales). C'est ainsi qu'à partir de la demande d'un Secrétariat québécois à la condition homosexuelle on parvient à la création d'un Bureau de lutte à l'homophobie et d'un statut « d'interlocuteur privilégié », composant tous deux les pôles d’une relation néo-corporatiste basée sur l'échange politique. Notre analyse tend à considérer la PLH comme le moyen privilégié à la fois par les groupes et par l'État pour établir un cercle restreint de partenaires où peut s'établir une relation d'échange au sein de laquelle circule des ressources contre de l'expertise.

Afin de profiter de la fenêtre d'opportunités, les groupes – et tout particulièrement la Fondation Émergence – mobilisent leurs ressources et des stratégies d'actions en vue de convaincre les décideurs d'ouvrir un canal de communication entre l'État et les groupes communautaires LGBT, comme en témoigne l'article de La Presse « Les gais veulent un ministre ». La PLH sera ce canal de communication:

« Fatiguées de ne pas trouver facilement une écoute sympathique dans les milieux gouvernementaux, les

associations gays revendiquent un Secrétariat québécois à la condition homosexuelle, comme il en existe pour les femmes, les handicapés et les jeunes, et la désignation d’un ministre responsable des revendications du milieu. Cette demande a été présentée aux trois principaux partis politiques, le Parti québécois, le Parti libéral et l’Alliance démocratique, afin d’obtenir un engagement de leur part lors de la prochaine campagne électorale. » (La Presse

2001).