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Chapitre I – Mise en contexte

2) La Politique de lutte contre l'homophobie (PLH)

Le cas qui sert de support à notre recherche est une politique publique de l'État québécois. Cette politique a été formulée tout au long d'un processus qui débute en 2000 jusqu'à sa mise en œuvre en 2011. Elle vise à contrer l'homophobie dans plusieurs secteurs de la société québécoise et vise une action transversale au travers de plusieurs ministères.

2.1 – Désigner un problème

De très nombreuses définitions de ce qu'est une politique publique ont été données au cours de l'histoire de la discipline. Le contexte actuel est marqué par les enjeux de reconnaissance, ainsi que par le rôle croissant de l'État comme élément régulateur au sein de la société. Ainsi, la définition de Dye disant que les politiques publiques sont « tout ce que les gouvernements décident de faire ou de

ne pas faire » (Dye, 2010), est un bon point de départ pour rendre compte du rôle des politiques

publiques dans le contexte actuel. L'homophobie, tout comme le racisme, les inégalités homme- femme et d'autres problèmes sociaux ont été construits au Canada tout au long du siècle dernier. Leslie Pal va dans le même sens que Dye, décrivant les politiques publiques comme « une série

d'actions ou d'inactions que des autorités publiques choisissent d'adopter pour régler un problème ou un ensemble de problèmes » (Pal, 1992). Après des siècles d'inaction publique en leur faveur, et

de répression, l'État québécois s'intéresse désormais aux problèmes des minorités sexuelles et aux questions de genre.

De la définition de Pal, on retient ici deux éléments majeurs : premièrement l'intentionnalité qui préside au choix du problème à résoudre. En ce sens, la mise en place d'une politique contre

25 l'homophobie prend place dans un revirement historique de l'État, qui tourne ainsi le dos à des siècles de persécutions, de répressions ou de totale ignorance teintée de mépris. On en arrive au second élément qui porte lui sur l'ensemble de problèmes que recouvre l'homophobie comme phénomène, ou comme fait social. Ainsi, la PLH repose sur une définition de l'homophobie présentée comme un problème systémique. Plus que l'homophobie, c'est la société hétérosexiste qui est visée, comme le révèle les définitions utilisées dans le rapport du Groupe de travail mixte contre

l’homophobie (2007) :

Hétérosexisme : Affirmation de l’hétérosexualité comme norme sociale ou comme étant supérieure aux autres orientations sexuelles ; pratiques sociales qui occultent la diversité des orientations et des identités sexuelles dans les représentations courantes, dans les relations et les institutions sociales, entre autres en tenant pour acquis que tout le monde est hétérosexuel. Homophobie : Toutes les attitudes négatives pouvant mener au rejet et à la discrimination, directe et indirecte, envers les gais, les lesbiennes, les personnes bisexuelles, transsexuelles et transgenres, ou à l’égard de toute personne dont l’apparence ou le comportement ne se conforme pas aux stéréotypes de la masculinité ou de la féminité.

Ces définitions sont celles qui ont été adoptées par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), lors des travaux préliminaires que nous aborderons plus bas. C'est sur la base de cette critique que se fonde l'action de l'État dans le domaine étudié. Si l'État agit, alors il se doit de viser une action capable d'englober des objectifs distincts qui prennent place dans une grande diversité de contextes. Finalement, on rejoint la définition plus classique disant qu’une « politique publique se présente sous la forme d'un programme d'actions propre à une ou à plusieurs autorités publiques ou gouvernementales. » (Thoening 1985).

2.2- Prendre des mesures

En décembre 2009, la Politique québécoise de lutte contre l'homophobie est dévoilée. Elle fixe quatre grandes orientations, ainsi que des cibles pour l'action publique. À la suite de cette publication, un plan d'action gouvernemental présente un ensemble de 60 mesures. Ce plan d'action prévoit que les mesures seront échelonnées entre 2011 et 2016. Les quatre orientations ou priorités retenues sont, en termes gouvernementaux :

26 ● Reconnaître les réalités des personnes de minorités sexuelles

● Favoriser le respect des droits des personnes de minorités sexuelles ● Favoriser le mieux-être

● Assurer une action concertée

Les mesures impliquées par ces orientations touchent 11 ministères et plusieurs autres institutions telles que le Secrétariat aux affaires autochtones, le SACAIS, le Secrétariat à la jeunesse, le Directeur de l'état civil et d'autres institutions plus locales comme les universités et les municipalités. C'est donc un plan d'action qui intervient de manière globale et entend toucher tous les secteurs de l'action publique. Parmi les mesures les plus visibles, notons la création de la Chaire de recherche sur l'homophobie à l'UQAM, la mise en place d'un Bureau de lutte contre l'homophobie au Ministère de la Justice ou encore la tenue d'une campagne médiatique en mars 2013, articulée autour de deux publicités télévisuelles, où des couples homosexuels sont mis en scène dans des situations de la vie quotidienne.

2.3- Processus de formulation

Pour arriver à ce résultat, l'État québécois a travaillé de manière conjointe avec les groupes communautaires décrits en partie 1. Cette coopération s'est effectuée au travers du Groupe de travail mixte contre l'homophobie, dont la nature « mixte » s'explique par la présence de plusieurs types d'acteurs qui ont travaillé ensemble à une même politique. Le groupe de travail mixte a donc été une interface intéressante où collaborent des acteurs internes à l'État (fonctionnaires) et des acteurs externes (groupes communautaires, chercheurs/chercheuses, représentant.e.s syndicaux, etc.) qui ont agi comme corédacteurs et forces d'influence. Il s'agit ici de souligner l'originalité de la démarche comme le souligne Marc André Downd, alors président du Groupe de travail mixte contre l’homophobie et vice-président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse :

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« Je tiens à souligner le caractère novateur et audacieux de la formule du Groupe de travail mixte contre l’homophobie. Asseoir à la même table et, surtout, engager un véritable dialogue entre des représentants et représentantes de ministères et des organismes publics, ainsi que des partenaires des milieux communautaires, syndicaux et de la recherche universitaire, représentait un véritable défi. » (CDPDJ 2007)

Cependant, si le Groupe de recherche a été la première structure mise sur pied pour l'obtention de la PLH, il a donné suite à d'autres initiatives comme le Comité de travail du CQ-LGBT qui a effectué un suivi au moment de la rédaction du Plan d'action de 2009. La fin du mandat du Groupe de recherche en 2007 n'a donc pas mis fin à la dynamique de consultation entre les acteurs communautaires et l'État, au contraire, il s'est poursuivi et a enclenché un processus de réorganisation du milieu communautaire LGBT* qui aboutit à modifier les rapports de force entre les organismes. C'est donc à la fois pour son objet, pour la démarche originale de sa formulation ainsi que pour ses effets sur le milieu communautaire LGBT* que nous entendons étudier le cadre dans lequel est apparue cette politique publique. La place qu'elle a accordée aux groupes d'intérêts des communautés LGBT* nous interpelle et nous pousse à questionner leurs rôles et les stratégies suivies par ces acteurs dans cette arène singulière où se joue la formulation de l'action publique. Celle-ci se fonde sur un ensemble d'interaction entre des acteurs du secteur étatique, du milieu communautaire, ainsi que du milieu académique. Entre le moment où l'idée d'une politique publique propre aux LGBT* est énoncée et celui où elle est adoptée par l'Assemblée nationale, il s'écoule une période marquée par différents rapports d'étapes, produits par différents acteurs. Ainsi, la PLH est le résultat d'un processus dont l'avancée à différentes étapes peut être suivi grâce à l'analyse de documents tels que « De l’égalité juridique à l’égalité sociale — Vers une stratégie nationale de lutte contre l’homophobie » (2007), La politique québécoise de lutte contre l'homophobie (2009) et le Plan gouvernemental de lutte contre l'homophobie 2011-2016 (2011), etc.

2.3.1 Comprendre la dynamique des groupes dans la formulation de la PLH

Cette politique témoigne de la prise en charge par l'État de l'homophobie comme un problème public. Celui-ci a été mis en avant par un ensemble d'acteurs individuels et collectifs, et ce, depuis de nombreuses années. En effet, l'émergence des groupes LGBT* s’inscrit dans une lutte plus large qui

28 conteste, à la fois sur le plan théorique et sur le plan pragmatique, l'hétérosexisme et les discriminations qui en découlent. Cette lutte est à l'origine de l'action collective LGBT*. Comprendre comment l'État québécois a pu en venir à une politique publique spécifique de cette nature nécessite d'étudier les rapports entre les groupes et la structure étatique. Entre des acteurs sociaux et l'action publique. L'étude des politiques publiques fait l'objet d'un sous-champ de la science politique, les

policy sciences, qui ont mis au point des outils d'analyse que nous entendons mobiliser ici. Cependant,

ces outils doivent être couplés avec une analyse de nature plus sociologique, qui porte sur les groupes eux-mêmes. Ainsi, nous nous inscrivons dans la veine de la sociologie de l'action publique, et plus particulièrement dans le sillage de l'ouvrage d'Hassenteufel (2011), qui dresse un portrait de ce domaine de la discipline, au croisement des policy sciences et de la sociologie de l'action collective. Celui-ci mobilise plusieurs outils de l'analyse des politiques publiques, et en premier lieu, le modèle d'analyse séquentiel.