• Aucun résultat trouvé

Chapitre IV- Résultats

1) Description des acteurs

1.2 Les petits joueurs et la Table de concertation

À ces « gros joueurs », s'ajoute une multitude de petits organismes communautaires. Ils composent la majorité des groupes et proposent un ensemble de services qui visent chacun différentes facettes de la diversité sexuelle et de genres, principalement à Montréal. Cette organisation du milieu communautaire tranche avec le reste de l'Amérique du Nord. En effet, dans le Canada anglais et aux États-Unis, les services à la communauté LGBT* sont souvent regroupés au sein d’un « community center » chargé de la mise en place et du maintien de « programmes » qui vont de la création d'un groupe de discussion à la mise en place d'une clinique, en passant par la mise à disposition de lieux ou d'informations. À l’inverse, la culture communautaire québécoise est beaucoup plus décentralisée. Ainsi, le CCGLM n'occupe pas la même place que ses homologues de Toronto (The 519), Vancouver (Qmunity), San Francisco (SF Center) ou même Tulsa (OK Center). Chaque « programme » est ici pris en charge par un organisme autonome, ce qui multiplie les acteurs du milieu et tend à diviser les sources de financements. Plutôt que des « programmes », le milieu québécois propose des groupes communautaires de petite taille qui sont le produit des communautés elles-mêmes. Ainsi, bien que leur taille puisse varier, on peut classer comme étant des acteurs plus modestes les groupes comme : Aînés et retraités de la communauté (ARC), Aide aux Trans du Québec (ATQ), Arc-en-ciel d'Afrique, Centre de solidarité lesbienne (CSL), les Chouettes Coquettes (Groupe social pour femmes lesbiennes / bisexuelles), HELEM, Jeunesse Lambda, Projet 10, AlterHéros, Enfants Transgenres Canada, Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ), etc. Ces groupes de petite taille visent le plus souvent un créneau ou une niche spécifique comme les personnes de minorités visibles, les femmes lesbiennes d'une certaine tranche d'âge ou encore des populations émergentes comme les jeunes trans*. Pris individuellement, ces groupes ont une tâche difficile et doivent composer avec des ressources principalement bénévoles, des dons ou un financement non récurrent. Leur poids politique est donc faible et les ressources à consacrer au changement social sont limitées tant en termes matériels, temporels qu’humains. À ce titre, le CCGLM, où nous avons effectué notre entrée sur le terrain, représente bien la situation d'un organisme qui a dû compter sur peu de ressources pour maintenir

92 ses services (location de salle, informations générales, aide au démarrage de groupes, cases postales, etc.) et se développer (Centre d'informations juridiques et bibliothèque). Ce type de groupe reste très fragile et dépend de plusieurs facteurs internes et externes qui leur permettent ou non de se faire connaître à la fois lors des événements de la communauté, notamment la journée communautaire qui précède la parade de la Fierté (en ayant un kiosque sur la rue St-Catherine), mais également dans les réunions plus officielles : cocktails de réseautage, formations diverses et bien sûr rencontres avec des officiels. C'est cette fluctuation que décrit la répondante 2 :

« Nous au Centre, à un moment donné, on a eu beaucoup de bénévoles et puis ça a tombé, graduellement, tout dépendant de ce qui se passait à l'interne. Parce qu'on a été obligé de couper dans différents services, parce qu'il y en avait d'autres qui le faisaient. Moi je dirai que les autres sont mieux équipés que nous- autres. Ils n'ont pas d'argent, mais ils sont mieux équipés que nous-autres. C'est parce que c'était que du bénévolat et nous on était un ou deux employés par année et quand on arrivait à ces événements-là, on était à moitié mort. »

Cependant, certains choix stratégiques, des fenêtres d'opportunités diverses ainsi qu'un changement de leadership peut amener les organismes vers plus de stabilité. L'histoire de la Coalition des familles LGBT est un bon exemple de groupe ayant gradué avant le début des consultations sur la PLH. Ainsi, comme observatrice de longue date de la vie communautaire :

« Il y a eu d'autres organismes qui avaient pignon sur rue, qui étaient dans notre situation aussi. Tu sais la coalition des familles homoparentales, qui est devenu la coalition des familles LGBT, ça a pris du temps avant que ça démarre eux autres aussi. Ce qui les a débloqués, c'est quand ils ont fini par avoir un bureau dans le Vieux-Montréal, parce que tout se faisait à la maison : les réunions, les AGA...tout se faisait là. Eux autres n'avaient pas d'argent non plus, mais jusqu'à ce qu'a un moment donné, ils orientent leur mission différemment et qu'ils aient une partie « défense des droits » et c'est là qu'ils ont réussis à avoir un SACAIS. Et ça a été mémorable, on a quasiment ouvert une bouteille de champagne parce que ça faisait depuis 1997 qu'ils essayaient et ça ne marchait pas. Et le mouvement grossissait et là ils se retrouvaient avec les’’ papas dady ‘’, ils se sont regroupés avec eux, pour devenir une coalition, parce que c'était l'association des mères lesbiennes qui faisait ça avant » (Répondante 2)

Ainsi, si le fait d'être un « petit joueur » n'est pas irréversible, les groupes de services peinent à obtenir des ressources suffisantes. Un des objectifs de la PLH était d'améliorer la reconnaissance de ces groupes et d'offrir de nouvelles ressources pour sécuriser le financement des groupes plus petits. Ce projet a été porté notamment au travers de la Table de concertation qui fut longtemps un lieu de convergence pour tous les groupes LGBT*, grands ou petits, mais où l'égalité formelle dans la prise de décision permet de donner un poids relatif aux acteurs les moins dotés. Cette Table restait cependant dépendante, à l'instar des petits joueurs qu'elle représentait, des facteurs de stabilité et d'instabilité mentionnés plus haut. Ainsi,

93 la Table a traversé des périodes de veille et son rôle politique a pu être endossé par des acteurs « gros joueurs », comme ce fut le cas avec Fondation Émergence dans le début du processus que nous avons décrit. Cependant, l'arrivée de nouveaux éléments, tant contextuels que de nouveaux membres, peut changer complètement les dynamiques à moyen terme et repositionner un groupe – ou un groupe « porte- parole » – face aux acteurs mieux dotés, ainsi que face aux institutions.