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Représentations des SBI par les médecins

C. Résultats des entretiens

2. Représentations des SBI par les médecins

i. Des définitions et qualifications multiples

Nous avons pu relever plusieurs définitions ou éléments primaires de qualifications des SBI, au cours des entretiens :

- Dire « c’est fonctionnel », c’est dire « on n’a pas de maladie à mettre dessus », c’est poser une

« étiquette ». (MVD 05)

- Le symptôme « fonctionnel » est plus de l’ordre du ressenti mais pas réel « est-ce que c’est

plus quelque chose qui est du psychosomatique, qu’ils ressentent mais que c’est pas réel ». (FB

27)

- Les symptômes « fonctionnels » peuvent aussi être « une plainte, une douleur que l’on va pas

pouvoir constater objectivement ». (MC 26)

48 Pour d’autres médecins, le SBI se définit comme un symptôme, une plainte non expliquée par le médecin mais quand cette plainte « fonctionnelle » devient explicable par le médecin, elle n’est plus SBI.

« Je suppose que si elle n’est pas comprise par le médecin, elle va devenir un « SMI1 »…à partir du moment où le médecin l’explique, elle ne devient plus inexplicable ». (PG 10)

Enfin, certains médecins pensent que les SBI, « c’est toujours les mêmes » (VP 03/04) sous-entendu ici que les SBI appartiennent à une catégorie prédéfinie de symptômes, facilement identifiables.

ii. Fréquence d’apparition

Plusieurs médecins interrogés sont d’accord pour dire que les SBI sont « très fréquents » en consultation.

Certains pensent qu’ils sont présents chez tout le monde : « tout le monde a des symptômes

fonctionnels » (AS 13), à tout moment de la vie.

D’autres pensent qu’ils peuvent être présents chez n’importe qui, mais arrivent de manière épisodique : « ça peut arriver à tout le monde à un moment donné de sa vie ». (CA 19)

iii. Type de diagnostic et quand l’utiliser

Pour certains médecins, il s’agit « plutôt d’un diagnostic d’élimination ». Il ne pourrait pas être posé dès la première consultation.

« Si c’est quelqu’un que je vais revoir, qui va revenir trois, quatre fois dans l’année avec à chaque fois la même chose, oui là on va commencer peut-être à…mais pas du premier coup ! ». (MVD 05)

Pour d’autres médecins, le symptôme fonctionnel peut, au contraire, être pensé et posé à la première consultation. Il est donc défini comme un diagnostic positif et non d’élimination.

« C’était plutôt rassurant sur la nature non pathologique organique, par contre le symptôme en lui-même, il était très probablement lié à autre chose ». (PG 10) « …Faut pas que ce soit un diagnostic d’élimination, il faut que ce soit un diagnostic positif… ».

(CA 19)

iv. Part de l’organique et du fonctionnel

a. Dualité organique/fonctionnel

On constate chez certains médecins, dans leur représentation du symptôme « fonctionnel », que

49 l’organicité et la fonctionnalité du symptôme sont liées et ont une place commune en consultation. Le symptôme « fonctionnel » peut exister dans une maladie/symptôme organique.

« C’est 90% de l’expression même quand le symptôme est organique ». (RV 25)

«…Avec sa douleur thoracique, il y avait surement un pourcentage de part psychosomatique sur une base organique ». (AS 13)

La fonctionnalité du symptôme organique se retrouve dans la manière de vivre ce symptôme organique.

« Elle avait un symptôme organique bien défini…mais…elle décrivait la manière dont elle vivait la fonctionnalité de cette organicité ». (RV 25)

Le symptôme d’origine organique permettrait l’expression de l’état psychique et de plaintes fonctionnelles dans certains cas.

« Elle vivait le fonctionnel de son organique…à cette occasion elle reparle de ses proctalgies et dyspareunies pour lesquelles elle n’a pas consulté », « y a du fonctionnel que les gens ressentent vraiment mais à leur façon » (RV25).

Cette dualité ne se retrouve pas seulement dans les représentations à priori, mais aussi dans la pratique à travers l’examen clinique ou la thérapeutique. Repérer et agir sur les « tensions » quelles qu’elles soient, est systématique pour certains.

« Moi je faisais de la médecine manuelle, donc tous mes patients, je les touchais, je les serrais »

(RV25).

b. Clivage organique/fonctionnel

D’autres médecins voient le symptôme « fonctionnel » comme un symptôme à part entière, seul. Il s’agit, par exemple, de faire la part des choses entre une plainte liée au contexte de vie du patient ou, à contrario, liée à une origine organique.

« Faire la part des choses entre ce qui était lié à son environnement / surmenage / déménagement… et ce qui était probablement d’origine organique… ». (MVD 05) « Parfois, je suis sûre qu’il n’y a pas de support organique et que ça s’intègre dans un tableau psychologique ». (FB 27)

« …Si rien, je leur dis « c’est parce que vous n’allez pas bien… » ». (CAR 01)

« Si j’ai quelque chose j’en reste là et sinon je pars sur quelque chose de plus psychique… ».

(MVD 05)

Certains se concentrent surtout sur les hypothèses organiques des plaintes.

Un exemple flagrant est l’entretien relatif à la vidéo PC 14, dans laquelle, une des plaintes de la patiente, était « une fatigue ».

« Rechercher des anomalies diverses et variées qui peuvent expliquer une asthénie […] Pour moi, c’est d’abord les choses simples ou importantes avant de penser à un trouble fonctionnel ». (PC 14)

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v. Perception des patients SBI par les médecins

La perception des patients SBI varie d’un médecin à l’autre.

a. Absence de profil « spécifique »

La plupart des médecins pensent qu’il n’y a pas de profil particulier du patient SBI mais que ces symptômes peuvent toucher tout le monde.

« Y a pas un profil tout fait… », (AD 12) « Des gens comme tout le monde… », (PG 10) « Tout le monde peut les avoir… ». (CAR 01)

b. L’anxiété

Ce sont très souvent des patients souffrant d’anxiété, à divers degrés.

« Les patients anxieux, voire anxio-dépressif… ». (MVD 05)

c. Absence/difficulté d’expression

Ce sont des patients qui n’expriment pas ou peu.

« …Des gens qui n’ont pas fait de thérapie par la parole… », (MVD 05)

« …Lorsqu’ils ne trouvent pas le moyen de l’exprimer d’un autre moyen, par exemple de mots… ». (PG 10)

d. Une manière de vivre, de s’exprimer

« C’est pour eux une manière de vivre, de s’exprimer […] Ils ont besoin de la maladie pour exister et vivre… ». (AS 13)

Un autre médecin interrogé nous rapportera que grâce au symptôme organique, la patiente a pu exprimer son vécu, « théâtraliser son rôle » et donc « se détacher » de ce symptôme organique. (RV 25)

« Elle avait vécu des choses assez terrible dans sa vie… le symptôme (la douleur) faisait partie du décor, juste un moyen pour qu'on s'occupe de soi ». (PG 10)

e. Un ressenti et une spécificité individuel

« C’est le ressenti de chacun, c’est la spécificité du symptôme pour chaque personne ». (RV 25)

f. Un mal être

Ce sont des patients perçus par les médecins, en souffrance psychique, parfois en détresse psychologique comme constatée dans certaines vidéos de consultations (AD 23, CAR 01).

« Les gens expriment souvent leur malaise de manière physique… […]…Signes qui sont en lien avec leur état perturbé, souffrant… ». (PG 10)

« …ça peut révéler un petit mal être…ça peut être quelque chose de tout à fait conjoncturel, une mauvaise passe personnelle ou professionnelle…c’est une souffrance ». (CA 19)

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g. Une recherche de collusion

Un des médecins interrogés évoque la recherche de collusion des patients et considère que cela fait partie de ce qui se joue avec le médecin traitant, tout en prenant soin d’éviter de tomber dans la sympathie et garder une distance suffisante pour rester le plus objectif possible.

« …ça fait partie du jeu…on a une place particulière dans le schéma familial…faut essayer de garder une distance… ». (FB 27)

h. Patients chronophages

Ce sont des patients perçus comme chronophages pour les médecins, qui vont très régulièrement revenir en consultation pour les mêmes motifs ou d’autres plaintes « fonctionnelles »,

« Multiples consultations… (AD 12)

« …Revenir pendant des années avec les mêmes symptômes inexpliqués ». (MC 26)

i. Des images types

Il existe des « images types » propres aux SBI, dans l’interprétation des médecins, qui les orientent/influencent vers le diagnostic de SBI. Par exemple, une femme jeune qui consulte pour des troubles digestifs oriente fortement le praticien vers un diagnostic « fonctionnel » de « Troubles Fonctionnels Intestinaux ».

« Les troubles digestifs chez la femme avec un terrain anxiogène, bon c’est quand même un peu…le patient typique… ». (AD 12)

j. Des patients très en demande d’un diagnostic/examens complémentaires

Ce sont des patients perçus en demande d’examens complémentaires qui seront bien souvent normaux.

« …Multiplicité des examens sans résultats pathologiques dedans et une demande de continuer à faire des examens pour comprendre, l’examen clinique qui était normal… » (AD 12)

Certains patients imposent une direction à la consultation, dans le sens où ils veulent un diagnostic avec des explications « rationnelles/scientifiques » à leur symptôme.

« Ça devient compliqué parce qu’ils veulent à tout prix une maladie…et on part dans les examens ». (MVD 05)

k. En demande d’autres explications (non biomédicales)

Selon certains médecins, ces patients ne sont pas particulièrement demandeurs d’explications « rationnelles/scientifiques », ils souhaitent une explication mais pas forcément « biomédicale ».

« …Il faut être conscient que c’est pas forcément la réponse que le patient attend ». (AD 12)

l. En faveur d’un SBI

Il semblerait que certains patients, demandeurs d’examens complémentaires, vont exprimer de la déception au vu de la normalité de leurs examens. Le médecin l’interprète donc en faveur d’une

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«…Certains vont être déçu si ils ont un résultat…qui va être normal…quand on voit cette déception on se dit qu’il y a quelque chose de bizarre, c’est pas normal…c’est probablement quelque chose de fonctionnel ». (MVD 05)

m. Des patients réticents à l’ouverture psy

Souvent, les médecins se retrouvent impuissants et bloqués car les patients paraissent ne pas vouloir entendre que leurs symptômes peuvent être liés à leur contexte de vie passé ou présent.

« Un jour ils vont le reconnaître tout seul et puis là on se dit que ça fait X mois que j’essaie de lui faire comprendre ça ». (AD 12)

Les médecins ont parfois la sensation que les patients ne les laissent pas accéder aux problèmes sous- jacents.

« …C’est dur d’y accéder et d’agir sur leurs problèmes et ils nous laissent pas forcément agir dessus non plus ». (AD 12)

Ces patients seraient verrouillés

« Ils sont eux même verrouillés sur le plan de l’expression émotionnel…c’est à mon avis la situation la plus complexe… ». (PG 10)

Pour certains médecins, les problèmes sous-jacents du patient sont en effet trop déstabilisants pour admettre leur évocation.

« On a affaire à un système de raisonnement du patient lui-même qui vient bloquer la fluidité de l’explication et donc eux veulent absolument une explication organique, ils refusent la part psychique en eux…trop de choses délicates et violentes à remuer… ». (PG 10)

Les médecins n’arrivent pas à faire accepter à leur patient un lien corps-psychique quand celui-ci est présent : les patients peuvent avoir une fausse représentation de la santé mentale, qui renvoie le message « je suis fou ».

« Ils fonctionnent sur des représentations erronées de ce que c’est que la santé mentale, pour eux psychisme égal fou… ». (PG 10)

D’après certains médecins, il ne semble pas bien perçu par les patients de dire que leur symptôme est d’origine psychique au même titre que de dire « c’est dans la tête ».

« Quand on dit que c’est un symptôme qui puise sa source dans le psychique ce n’est pas forcément bien perçu… ». (AD 12)

Pour d’autres médecins, les patients semblent réticents à l’idée de communiquer certaines informations, non négligeables pour le médecin.

« …Après quand je pose la question, souvent ils disent non et puis on s’aperçoit que c’est pas forcément vrai ». (MC 26)

n. Des patients « ouverts » au diagnostic SBI

L’utilisation du terme SBI en consultation serait bien perçue par les patients et même mieux accepté que certains diagnostics « fonctionnels » prédéfinis.

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«…Dans l’ensemble pour les patients c’est pas mal perçu, j’dirai que c’est même mieux perçu que les diagnostics tout fait bancales… […] ça se passe bien et c’est bien perçu ». (AD 12)

vi. Vécu du symptôme « fonctionnel » par le médecin

Le vécu du symptôme « fonctionnel » en consultation diverge beaucoup d’un médecin à l’autre. Pour certains médecins, le vécu est négatif de par l’incompréhension du symptôme « un truc qu’on

comprend pas quoi » (CAR 01), et la difficulté à le prendre en charge « ça nous met toujours en difficulté » (MC 26), « C’est très compliqué… ». (VP 03/04)

Pour d’autres médecins qui ont un intérêt (prononcé ou non) pour ces symptômes, le vécu du médecin en consultation en n’est que positif.

« Le symptôme fonctionnel est plus passionnant que le symptôme organique » (RV 25), « J’en pense que du bien…faut s’en occuper ». (PG 10)