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La Perception des SBI et des symptômes « fonctionnels » par les médecins

B. A propos des résultats de l’étude

1. La Perception des SBI et des symptômes « fonctionnels » par les médecins

Lors de nos entretiens, nous avons questionné les médecins sur leur manière de percevoir le symptôme « fonctionnel » et les SBI.

Nous avons été surpris d’apprendre qu’il existait plusieurs manières de les percevoir/appréhender et de les définir en consultation.

En effet, après les avoir questionnés sur l’hypothèse « fonctionnelle » du ou des symptômes de leur consultation, certains ont réfuté l’hypothèse par une explication organique au symptôme, d’autres ont confirmé l’hypothèse par une explication « fonctionnelle », d’autres encore ne pouvaient rien affirmer à la première consultation mais n’excluaient pas l’hypothèse « fonctionnelle » après avoir éliminé une cause organique.

i. Le « fonctionnel » : une posture du patient ou un état passager ?

Certains médecins voient le « fonctionnel » comme un symptôme qui serait présent ou absent en consultation, c’est à dire comme un état passager. Dans la démarche diagnostique, le médecin se poserait la question de savoir s’il se trouve face à un symptôme organique ou fonctionnel, tandis que d’autres le voient comme une façon d’être, un rôle que jouerait le patient, une posture du patient qui évoluerait selon le vécu du symptôme organique et le contexte de vie du patient.

« Le symptôme fonctionnel n’est pas qu’un symptôme, il accompagne l’organique ». (RV 25)

Ainsi, dans la vidéo RV 25, le médecin perçoit la fonctionnalité dans la description du vécu du symptôme organique.

Cette approche peut nous sembler, à première vue, différente des définitions connues de la littérature, qui voient le symptôme fonctionnel comme une plainte somatique sans explication biomédicale. Pourtant, on peut constater que cette approche se rapproche fortement de la nouvelle définition du DSM V (31). En effet, celui-ci définit le terme de « trouble de symptômes somatiques » par l’impact des symptômes somatiques expliqués ou inexpliqués, sur les pensées, les sentiments et les actions de la personne. Autrement dit, toutes pensées, sentiments ou comportements anormaux, excessifs accompagnant un symptôme fonctionnel ou organique, une maladie, seraient classés comme tel. Ceci rejoint la perception du médecin RV 25. Celle-ci ne fait plus du « fonctionnel » un symptôme mais une façon de vivre un symptôme organique ou fonctionnel. La seule distinction réside dans le fait que le médecin RV 25 parle de « fonctionnalité dans l’organicité » alors que le DSM V parle plutôt de l’impact d’un symptôme sur le psychisme du patient.

Comme énoncé dans la première partie de notre travail, cette nouvelle définition du DSM V ferait craindre par les psychiatres un sur diagnostic et donc un sur adressage de ces patients aux psychiatres. En effet, en pratique courante, dans le domaine de la médecine générale, cela ne ferait que poser une énième « étiquette » sur des personnes en souffrance avec une cause identifiée ou non.

Pourtant, il nous semble que le but, comme le soulignait P. Cathébras, n’est pas de catégoriser ces personnes ni de poser une étiquette sur « la façon dont est vécu leurs symptômes » quel que soit les maladies/symptômes.

74 De plus, il nous semble que des patients qui ont des maladies bien identifiées et qui vivent leurs symptômes dans la souffrance, sont à l’évidence le quotidien des médecins généralistes.

Ainsi, à juste titre, le fait de vivre sa maladie sans aucun retentissement fonctionnel de n’importe quelle nature qu’il soit, nous semble dénué de sens.

D’après la littérature, nous savons bien que l’esprit s’exprime à travers le corps et vice et versa. (3) Ainsi toute personne, à un moment ou à un autre de sa vie, peut souffrir de « troubles de symptômes fonctionnels » aussi minimes soient-ils ; il ne paraît donc pas utile de vouloir et devoir poser cette « étiquette » fonctionnelle sur le patient. Il n’est pas question ici de « psychiatriser » tous les patients mais plutôt d’envisager et reconnaître, en tant que médecin généraliste, le caractère potentiellement « fonctionnel » d’un symptôme non expliqué ou d’une maladie organique et d’accompagner le patient dans le vécu de son symptôme. Nous discuterons de cette hypothèse dans le paragraphe iii « « SBI »

ou « fonctionnel », un étiquetage différent ».

Malgré tout, cette vision pourrait être intéressante car elle permettrait, indirectement, une ouverture au SBI, en accordant une place et un œil ouvert aux pensées, sentiments et comportements des patients paraissant excessifs ou inadaptés.

En changeant cette façon de percevoir le symptôme fonctionnel, non plus comme un symptôme inexpliqué, mais aussi comme une façon de vivre le symptôme « fonctionnel » ou « organique », le médecin sera probablement plus attentif à ces signes en consultation et aura un regard plus ouvert sur la façon d’aborder le symptôme fonctionnel seul ou associé à un symptôme organique. Il ne sera plus dans la démarche de « maladie organique ou fonctionnelle » mais de « fonctionnalité dans l’organicité », ce qui lui permettra de s’ouvrir au contexte de vie du patient et au vécu du symptôme, au combien essentiel dans les SBI. Nous discuterons de cette hypothèse dans le paragraphe 3

« L’ouverture vers le SBI ».

ii. Le « SBI » : une théorie ?

Certains médecins donnent l’impression que le SBI n’est qu’une théorie non applicable à leur patient. Prenons comme exemple la vidéo FB 27 dans laquelle la patiente semble avoir une plainte réelle mais qui, dans la description qu’elle en fait, paraît dénué de sens logique. Le médecin dira lui-même lors de l’entretien qu’il n’a absolument pas compris cette plainte. Pourtant, il dira également : « Il y avait

réellement un symptôme clinique », « cette patiente-là n’est pas une patiente qui va se plaindre sans fondements ». (FB 27)

On peut en déduire, de part ces propos, que le médecin ne semble pas appliquer la définition du SBI pour cette patiente. Il semble que pour lui, le SBI ne soit pas un symptôme clinique réel mais plutôt une « plainte sans fondement ». Or, par définition, le SBI est une plainte fondée sur un symptôme réel que ressent le patient mais qui n’a pas de cause organique.

Ce médecin ne semble donc pas penser que sa patiente puisse ne pas avoir de symptôme organique. Elle s’attachera en effet à donner une explication « physiopathologique inventée » adaptée au symptôme dont elle dira ne pas croire. On voit donc bien que ce médecin semble se refuser à émettre l’hypothèse d’un SBI chez cette patiente.

En effet, il semble difficile de s’intéresser au patient et au contexte autour de ce symptôme si lors de la démarche diagnostique, le médecin ne s’autorise pas à penser au SBI lorsque les éléments de la consultation (description du symptôme, attitudes du patient) poussent à y penser.

75 Ceci peut expliquer pourquoi le médecin semble avoir raté sa consultation : « C’est pas une

consultation aboutie…j’me suis perdue… ». (FB 27)

iii. « SBI » ou « fonctionnel », un étiquetage différent

Certains médecins vont poser le diagnostic de « SMI » en consultation. Il semblerait que « cette étiquette » soit plus ouverte que les diagnostics « fonctionnels » prédéfinis.

En effet, ce diagnostic de « SMI » permettrait au patient de continuer à réfléchir sur les causes éventuelles du symptôme. Il s’agit donc d’un partage de réflexion entre médecin et patient. Au travers de ce terme, le médecin désire transmettre au patient un message de soutien et d’accompagnement.

« Je préfère mettre l’étiquette « SMI » sur le symptôme…qui est plus ouverte…ça me permet de réévaluer les choses en fonction du matériel qu’il va m’apporter au fur et à mesure…c’est lui avec ses symptômes qui doit me l’expliquer… ». (AD 12)

A contrario, dire « c’est fonctionnel », c’est aussi dire « on n’a pas de maladie à mettre dessus » et c’est poser une « étiquette ». (MVD 05). Ici, le terme « fonctionnel » considéré également comme « étiquette », enverrait un message péjoratif au patient, comme si le fait de ne pas avoir de cause organique classait de facto le patient dans la case « fonctionnel », sous-entendu « ce n’est pas une maladie, on ne peut rien dire de plus ».

D’après la « théorie de l’étiquetage » (50), poser une étiquette sur des personnes désignées comme déviantes (vivant avec un trouble psychique), entrainerait des réactions de rejet par les personnes les entourant. Ces réactions négatives auraient des effets négatifs sur l’identité, l’estime et la participation sociale des personnes dites déviantes. On peut donc imaginer que poser l’étiquette « fonctionnel » ou même « psychosomatique » entrainerait une réaction de rejet de la part du patient, pensant « je ne suis pas fou ».

Cependant, nous avons constaté, lors de l’analyse des vidéos, que les patients n’avaient pas de réaction négative à la formulation d’un diagnostic « fonctionnel » posé (ex : Troubles Fonctionnels Intestinaux) ou même, d’ailleurs au diagnostic « SMI ».

Ainsi, cette étiquette « c’est fonctionnel » ne semble poser problème qu’au médecin. Si ces derniers changeaient leur regard sur ces patients, ils seraient peut-être moins réticents à aborder avec lui l’hypothèse d’un symptôme fonctionnel.

Selon un des médecins interrogés (PG 10), trop suivre et voir le patient pour la/les mêmes plaintes, en posant une « étiquette » sur sa/ses plaintes, bloquerait le médecin sur cette « étiquette ».

« On va tellement être habitué à voir ce patient qu’on va plus voir le reste, on va être focalisé sur ce qu’on met dans le dossier, sur l’étiquette, on arrive plus à sortir de là et on arrive plus à envisager d’autres solutions ». (PG 10)

De plus, n’arrivant plus à se remettre en question sur son étiquette SBI, il pourrait rater certains diagnostics. Prenons l’exemple d’un des médecins, qui a déclaré avoir mis plusieurs mois à remettre en question son diagnostic SBI (la patient souffrait à priori de Troubles Fonctionnels Intestinaux depuis 6 mois), et la sérologie faite a alors révélé la séropositivité du patient. « On finit par refaire une prise

76 Ainsi, les SBI nécessitant généralement plusieurs consultations, avec une avancée progressive du diagnostic dans le temps, le médecin n’utiliserait pas les bienfaits de ces multiples consultations, tombant dans une récurrence malsaine d’une même approche infructueuse.

iv. Un symptôme « fonctionnel » expliqué n’est pas SBI

Pour d’autres médecins, il s’agit purement d’une redéfinition du terme SBI mais n’impliquant pas un changement dans la démarche diagnostique et thérapeutique du SBI.

En effet, un des médecins interrogés nous dira : « …Si elle est pas comprise par le médecin, elle va

devenir un « SMI »… ». (PG 10)

Il part donc du principe que toute plainte expliquée par le médecin, incluant les explications sur le lien potentiel entre un symptôme et le contexte de vie du patient, n’est pas un SBI. Un symptôme fonctionnel pour lequel le médecin aurait une explication non biomédicale ne serait donc pas un SBI. Ceci remet en cause la nature même de la définition du SBI qui est de dire justement qu’il n’y a pas d’explication organique mais une autre explication à chercher. Il s’agit d’une autre façon de percevoir le terme de SBI mais qui ne semble pas avoir de conséquence ou d’impact sur la prise en charge de ceux-ci pour le médecin. La vidéo de consultation analysée (PG 10) n’était donc pas, pour le médecin concerné, un SBI mais bien un symptôme fonctionnel, car expliqué par l‘état psychique du patient.