• Aucun résultat trouvé

De l’enseignement du « médicalement expliqué » vers le « médicalement inexpliqué »

B. A propos des résultats de l’étude

4. De l’enseignement du « médicalement expliqué » vers le « médicalement inexpliqué »

i. Quelle est la place accordée au SBI en médecine ?

La médecine nous est enseignée suivant des diagnostics médicalement expliqués et nous donne goût à ce côté scientifiquement expliqué. En effet, lors de nos études médicales, nous apprenons les différentes pathologies clivées en pathologies organiques et psychiques ainsi que leurs causes. Les troubles « fonctionnels » attribués à un diagnostic défini (exemple : Troubles Fonctionnels Intestinaux) sont rapidement évoqués à la fin des livres comme diagnostic d’élimination, après avoir éliminé les causes somatiques graves mais aussi les non graves, nous incitant à y penser en dernier recours. Les symptômes non expliqués par la science ne sont pas traités dans les études de médecine qui paraissent plutôt destinées à former des médecins hospitaliers.

D’ailleurs, certains médecins interviewés ont dit :

« …Il faut les prendre dans leur globalité même si c’est pas ce que l’on apprend à la base. On nous apprend pas ça à la fac ». (CAR 01)

« …C’est quelque chose qui se perd dans les études aujourd’hui… ». (CA 19)

« …On va chercher une explication très scientifique parce que c’est ce qu’on aime bien quand c’est cartésien mais ça n’existe pas… ». (AD 12)

Ainsi, se pose la question de l’enseignement des SBI, question inévitable quand on voit la place que ces symptômes occupent dans le monde médical, hospitalier et libéral et l’impact financier qu’ils engendrent.

Dans le cadre de notre thèse, étant donné le peu de médecins ayant répondu connaître les SBI et ayant suivi une formation sur le sujet, il semble primordial, voir urgent d’inculquer aux étudiants, dès le deuxième cycle des études médicales, un enseignement théorique dans ce domaine. Il serait même souhaitable que ce soit un module à part entière, ayant une approche « biopsychosocial » (52) associé à un enseignement élémentaire en psychothérapie du médecin généraliste. Nous préférons ce terme à celui de psychothérapie de soutien car il nous semble restreindre la prise en charge (premier espace). Or, ce que nous venons de décrire conforte l’idée qu’il faut aussi aider le patient à prendre conscience du lien psychosomatique (2e espace). Nous y reviendrons dans le chapitre suivant (paragraphe

85 Un travail de recherche réalisant une enquête sur la confrontation des étudiants aux SBI en médecine de Paris 12 l’affirmait déjà. (53) Un autre travail de recherche étudiant la prise en charge des SBI par des internes en stage chez le praticien a montré qu’ils n’avaient pas de stratégies établies et qu’ils étaient démunis face à ces symptômes pour lesquels ils ne pouvaient appliquer le modèle biomédical. Ils souhaitaient une formation en psychologie médicale et sur la relation médecin-malade.

(54)

ii. L’importance de l’incertitude diagnostique

Une grande partie des consultations en médecine générale (70%), sont des situations non caractéristiques d’une maladie, il s’agit de l’incertitude diagnostique. (55) L’enseignement médical actuel est un enseignement qui laisse peu de place au doute et à la nuance dans les diagnostics médicaux. Chaque symptôme doit aboutir de manière sûre à un diagnostic ; Cela reste cependant théorique, car un pourcentage important des hospitalisations aboutis à une sortie sans diagnostic. Un médecin nous a dit : « Mon module de psychosomatique, y avait des nuances, et vous, vous pouvez pas

faire de nuances… ». (CA 19)

Cette façon de penser et d’enseigner se répercute dans l’attitude des médecins mais aussi des patients, les incitant à demander des réponses de plus en plus « exactes » et « sûres », avec dans de très nombreux cas, une forte demande d’examens complémentaires : « …On va faire des malades de plus

en plus exigeants avec des demandes de plus en plus… ça n’aide pas le patient à aller mieux ». (CA 19)

Or, dans les SBI, il est justement question de remise en question perpétuelle des hypothèses posées. Basé sur des critères non organiques (par exemple, le vécu du patient), le diagnostic SBI ne permet généralement pas de relever de manière exhaustive tous les éléments permettant de qualifier intégralement le symptôme sur une seule consultation.

Le médecin doit en effet « creuser », parfois sur plusieurs consultations, pour collecter ces éléments qui permettront, in fine, de faire un diagnostic pertinent.

« …Se poser des questions, ne pas avoir de certitudes, c’est ça qu’il faut… ». (CA 19)

Il s’agira également au sein d’une consultation orientée SBI, de ne pas partir sur des « sentiers battus », en ne prenant en compte que les seuls critères permettant d’aller vers des diagnostics reconnus en médecine générale.

A ce titre, nous avons vu dans les résultats, qu’un des médecins interrogés, préfèrera poser le diagnostic de SBI plutôt qu’un diagnostic défini, lui permettant ainsi de rester ouvert aux divers éléments que lui apportera le patient au fur et à mesure des consultations : « …ça recentre aussi

l’action côté patient… ». (AD 12)

Ainsi, savoir être dans le doute et dans la nuance par rapport aux éléments de la consultation pour rester ouvert au changement, aux éléments nouveaux apportés par le patient, permet de ne pas passer à côté d’une nouvelle hypothèse sur de nouveaux critères qui apporteraient un changement dans l’orientation du diagnostic.

iii. La relation médecin/patient

D’après la littérature (Michaël Balint) (56), nous savons que la qualité de la relation médecin patient joue un rôle important dans la prise en charge des patients souffrant de symptômes « fonctionnels ».

86 En effet, plus la confiance s’installera entre le patient et son médecin, plus le patient écoutera et adhèrera à ce que lui dit son médecin, et plus il sera en mesure de lui donner des indications pertinentes sur ses symptômes.

Dans les SBI, cette confiance est mise en péril car patient et médecin sont face à l’incertitude, à l’absence d’éléments rationnels structurants pouvant apporter une explication organique au symptôme. Il semble donc plus difficile de gagner et maintenir un lien de confiance avec le patient. Un des médecins a dit: « …Comme je sens qu’il a du mal à m’accorder sa confiance, je me suis dit il faut

que je lui explique tout pour que organiquement y ait pas de soucis et ensuite passer au côté psychosomatique », «…J’me suis dit que si je lui disais seulement que c’était le stress, ça n’allait pas suffire ». (CA 19)

On voit bien qu’en fonction de la qualité de la relation et de la personnalité du patient que le médecin a en face de lui, la relation et donc l’explication donnée au patient (le message transmis), ne va pas être la même : « C’est patient-dépendant ce genre de consultation… », «…On réagit énormément par

rapport à la personnalité du patient en face de nous, et par rapport à la relation qu’on a créée ou pas ».

(CA 19)

On constate par ailleurs, dans les vidéos (AD 12, RV 25…), que lorsque la relation médecin-patient est créée, c’est-à-dire qu’une certaine confiance et facilité d’échange transparaissent, le médecin semble avoir besoin de moins d’arguments rationnels/scientifiques pour convaincre et rassurer le patient. C’est aussi ce que dit M. Balint. (57-Page 51-« La compagnie d’investissement mutuel »)

Ces consultations sont alors davantage basées sur le partage de la réflexion mutuelle du médecin et du patient, avec une réelle avancée commune dans la compréhension du symptôme et son diagnostic. A l’inverse, dans d’autres consultations, il semble exister une relation de « méfiance » dans laquelle le patient teste son médecin.

Plusieurs extraits de la littérature cités précédemment (9) (10) mettent en avant le fait qu’un médecin prescrivant des examens complémentaires dans la prise en charge des SBI entraîne une insatisfaction mutuelle du médecin et du patient et donc une dégradation de la qualité de leur relation de confiance. Il semblerait que le médecin décrédibilise l’hypothèse qu’il a proposée au patient en proposant un examen non cohérent avec cette hypothèse.

On peut conclure que la base d’une prise en charge efficace d’un SBI serait une réelle implication du médecin dans l’établissement, la consolidation et le maintien d’une relation de confiance avec son patient comme décrit dans la thèse d’Olivier Nardon. (51-page 205)

La prise en charge de ces SBI devrait donc passer par une formation spécifique des médecins à la dimension relationnelle de la consultation.

Faire découvrir aux étudiants, dès le deuxième cycle des études médicales, les groupes d’échange « Balint » pourrait être un bon moyen d’appréhender le côté relationnel de nos consultations « difficiles » et ainsi résoudre peut-être plus facilement et avec plus de satisfaction la prise en charge de SBI. Cette pratique est encore trop peu recommandée aujourd’hui. (57-page 49)

Outre l’aspect lié à la formation, deux médecins interrogés nous ont en effet notamment déclaré :

« Ce genre de consultation est compliqué à gérer quand le patient ne rentre pas dans la relation ». (AS

13), « Des fois on se demande comment font les autres…peut-être la confrontation avec d’autres

généralistes ». (MC 26) Il semble ainsi important que les médecins déjà formés puissent, eux aussi, échanger sur le sujet.

87

iv. Apprendre à penser « psychothérapie »

Lors de nos résultats, nous avons mis en évidence l’importance de la « psychothérapie » dans la prise en charge des SBI. Les médecins disent passer à des consultations de psychothérapie de soutien quand le besoin s’en fait sentir (besoin de parler du patient) ou adresser le patient au psychologue quand cela semble « trop technique » pour eux-mêmes.

Nous avons constaté lors de l’analyse des vidéos de consultations que lorsque les médecins accompagnent leur patient, leur expriment leur soutien ou adoptent une attitude de « maternage », ils sont dans ce que l’on appelle le « premier espace » en psychothérapie (58). Ce « premier espace » se définit ainsi :

Il s’agit du type de relation dans lequel le médecin est supposé tout savoir, et le patient attend d’être protégé et dirigé par ce personnage tout puissant.

Ce premier espace devrait progressivement laisser la place au deuxième espace, espace d’expériences partagées et d’échanges où médecin et patient accèdent au lien psychosomatique et au désir de changement, en particulier grâce à une écoute réflexive du médecin/thérapeute. Le troisième espace représente l’espace d’autonomisation du patient sur sa situation globale, dans lequel la relation se fait d’égal à égal.

De plus, il s’opère plus souvent une relation de « transfert-contre transfert » entre ces patients et le médecin « psychothérapeute ». En effet, ces patients ayant besoin de parler, reviennent souvent voir leur médecin généraliste. Le médecin va écouter le patient, lui poser des questions et surtout l’autoriser et l’aider à exprimer ses émotions. Il va également le pousser à modifier son comportement pour mieux vivre et le soutenir dans son désir et ses efforts de changements, de réappropriation de son histoire, toujours avec cette idée de proximité et de bienveillance. A travers cette attitude « psychothérapeutique » qu’adopte le médecin, le patient peut vivre une expérience correctrice, c’est à dire réparer une blessure, un manque passé. M. Balint a bien décrit ce processus thérapeutique dans son livre sur « le défaut fondamental ». (59)

Les cas de consultations étudiés dans le cadre de cette thèse, se situent donc le plus souvent dans le « premier espace ». En effet, le médecin est ici dans une posture de soutien et de « maternage » vis à vis de son patient, il l’accompagne et le porte dans sa globalité, (« Le holding » D.W.Winicott) et est plutôt directif.

Dans certaines consultations, le deuxième espace apparait à travers l’évocation du contexte de vie et des problèmes personnels, soit par le médecin, soit par le patient. Il n’y a que peu de consultations dans lesquels médecins et patients se mettent d’accord sur l’hypothèse SBI (Exemple vidéo CA 19), et encore moins de consultations dans lesquelles ils tentent ensemble d’approfondir la problématique globale sous-jacente (exemple vidéo AD 12, AD 23). Enfin, on peut dire que le troisième espace n’a pas été abordé dans ces vidéos.

Ne serait-ce donc pas cela la prise en charge des SBI ? : - Faire passer le patient du premier au deuxième espace

- Aider le patient à découvrir le lien entre ce qui se passe dans sa vie, son psychisme et ses symptômes

88 - Lui faire prendre conscience de la part qu’il peut prendre dans la résolution de la situation

morbide à laquelle il est confronté

Or, il semble qu’il existe un certain « blocage » de la part des médecins à faire passer leur patient dans le deuxième espace, et métaphoriquement à entrer dans le deuxième espace avec eux. En effet, ces médecins font plutôt preuve de directivité que d’écoute réflexive à l’égard de leur patient. De plus, comme évoqué dans les résultats, ils ne laissent pas suffisamment de place à l’échange autour de l’histoire du patient et ne vont pas chercher à comprendre où se situe le patient dans son histoire et par rapport à son symptôme

Suite à ce constat, nous pouvons dire la chose suivante :

- le fait de penser « médecine générale » ou « psychothérapie » clive les démarches diagnostiques et thérapeutiques en prise en charge médicale ou psychothérapeutique. Ainsi, nous pouvons fortement émettre l’hypothèse suivante :

- si les médecins pensaient « psychothérapie du premier, deuxième, troisième espace », ils auraient moins peur d’entendre et de discuter du contexte de vie des patients, et donc d’amener le patient dans le deuxième espace.

Dans toutes consultations de médecine générale et encore plus dans les SBI, ne pouvons-nous pas dire que la psychothérapie doit être envisagée comme « au cœur » de la consultation ou même « à la base » de la consultation, comme si la psychothérapie était le cadre, le fond de toutes consultations. Ceci permettrait d’amorcer la compréhension du patient puis son désir de changement ?

Ces résultats semblent coïncider avec ceux de l’article du Pr Jens Gaab énonçant les critères d’efficacité d’une psychothérapie. (29) Ils confortent le fait qu’une prise en charge efficace des SBI doit passer par une approche/attitude « psychothérapeutique », à savoir la création d’une relation de confiance entre le médecin et son patient, l’amorce d’une compréhension commune et partagée de la plainte « somatique » du patient, la prise en compte dans sa globalité (contexte de vie) et l’amorce d’un changement à opérer chez le patient.

Ainsi, il s’agit, au travers de ces critères, de faire passer le patient du premier espace au deuxième espace du cadre relationnel.

Cependant, il faut noter que les médecins ont leurs propres limites. Tous les médecins ne vont pas pouvoir ou vouloir se poser des questions « existentielles » sur leur patient ou pour eux-mêmes. C’est aussi pour cela que tous les médecins ne participent pas à des groupes « Balint ».

C. Notre synthèse des outils d’aide à la prise en charge des SBI en