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B. A propos des résultats de l’étude

2. Attitudes incohérentes du médecin

i. Se rassurer « inutilement » par des examens complémentaires/avis spécialisés

Certains médecins vont poser un diagnostic fonctionnel mais, par peur de rater une maladie, vont prescrire des examens ou demander des avis spécialisés.

Prenons l’exemple de la vidéo de consultation MC 26. Le médecin semble poser un diagnostic de « Troubles Fonctionnels Intestinaux » mais, dans sa démarche, va demander un avis spécialisé. Il va être dans la directivité vis à vis de sa patiente concernant la thérapeutique et non dans une écoute réflexive pour proposer des solutions partagées et adaptées au patient.

Il est intéressant de noter que les médecins perdus, dépassés par ces symptômes ou qui ont peur de passer à côté d’une organicité vont être plus facilement dans la prescription pour se rassurer alors que leurs intuitions sont bonnes.

« C’est plus par peur de méconnaître quelque chose d’organique… », «…C’est aussi une couverture… » (MC 26)

Lors de l’entretien, ils diront que les examens/avis spécialisés demandés sont revenus négatifs et qu’ils n’étaient pas convaincus d’une organicité.

77 Leur peur, leur doute, les empêchent donc de mettre en œuvre une attitude cohérente et adaptée à la prise en charge des SBI alors que, paradoxalement ils ont conscience de la « fonctionnalité » du symptôme et de l’absence d’explications biomédicales.

« …Avec sa douleur thoracique, il y avait surement un pourcentage de part psychosomatique sur une base organique, tous les arguments allaient côté psychosomatique… », …Il y a un contexte énorme… ». (AS 13)

Cette absence de certitude, amplifiée d’un côté par une ferme conviction d’un symptôme fonctionnel, et de l’autre par la peur de rater un diagnostic organique, cristallise l’attitude du médecin dans une prise en charge incohérente avec des demandes d’examens inutiles, voire des propositions thérapeutiques qu’il sait peu efficaces, entraînant le patient vers l’idée d’une potentielle maladie non encore diagnostiquée.

Cette attitude entrainera une perte de chance d’avoir une prise en charge satisfaisante du patient puisqu’elle ne laissera pas de place à la discussion autour du contexte de vie du patient et à une écoute réflexive pouvant amener progressivement le patient à trouver ses propres ressources explicatives face à son symptôme.

ii. La sensation de non compétence entraîne une résignation

Au cours de la consultation, le médecin MC 26 évoque un diagnostic « fonctionnel ». Pourtant, il ne le retient finalement pas à l’issue de la consultation, en admettant pourtant être bien en présence d’un symptôme fonctionnel au cours de l’entretien. De par son « manque de compétence » et la sensation d’être dépassé face à ce type de symptôme, une « résignation » et un « renoncement » à la prise en charge de ce symptôme s’installe, au point qu’on se demande si le médecin se sent encore concerné quand il propose des solutions qui ne le convainquent pas lui-même. Illustration de cette incohérence : c’est au patient de choisir la solution qu’il désire.

«…Quand ça relève plus de mes compétences, que je sais plus faire…je propose, je laisse la patiente choisir…elle pourra pas dire que je ne lui ai pas proposé… », « …Ben on fait comme on peut, j’lui aurais dit qu’on a pas de solutions… ». (MC 26)

Le médecin proposera ainsi des solutions qui sont stériles et dont il sait qu’elles ne sont pas efficaces.

« J’lui aurais dit d’essayer de faire des évictions alimentaires pour voir… ». (MC 26)

iii. Une attitude d’évitement du SBI

Lors de la vidéo MVD 05, le médecin posera un diagnostic organique malgré un contexte de vie évoqué par le patient. Lors de l’entretien, il admettra l’hypothèse probable d’un contexte de vie du patient lié au symptôme : « Surmené… », mais ne laissera pas la place à ce contexte et à l’échange lors de la consultation, pour conclure à une cause organique : «…Il avait quand même presque un petit peu de

fièvre », « C’est une bonne explication parfois ».

Lors de la vidéo PC 14, le médecin semble vouloir éliminer une cause organique à « cette fatigue » dont se plaint la patiente. Pourtant, il est intéressant de noter qu’il ne semble pas croire à une hypothèse

78 organique malgré tout : « Je me dis y a très probablement pas grand-chose mais sait-on jamais ». Lors de l’entretien, il fera la remarque que la patiente était « plus dans la plainte » ou « qu’elle sortait

du cadre de ce qu’on pourrait appeler la normalité » bien qu’il n’ait pas laissé la place à l’hypothèse SBI

lors de la consultation. Il admettra également que le fait que la patiente parle de « sa cheville » à la fin de la consultation alors que c’était le plus important pour elle, paraissait « un peu paradoxal ». Il évoquera, malgré tout, l’utilité de questionner la patiente sur un problème personnel : « …Peut-être

que en effet j’aurais pu lui demander "est-ce qu’il y a quelque chose qui ne va pas“ ». (PC 14)

iv. Des représentations « erronées/incohérentes » sur la prise en charge des SBI

Il semblerait que, pour certains médecins, tout ne soit pas bon à dire en consultation.

« Ici ce n’était pas approprié et attention parfois les patients trouvent ça farfelu comme explication, ne sont pas prêt à entendre… ». (AS 13)

Nous avons vu au travers des vidéos de consultations et des entretiens, que l’essentiel de la prise en charge des SBI tourne autour du vécu du patient. Tous les médecins interrogés sont d’accord pour le dire et finissent par s’y intéresser à un moment ou à un autre, certains plus rapidement que d’autres, en fonction de leur degré de conviction d’un SBI en consultation.

Pour certains médecins, il semble qu’il y ait des « moments opportuns » pour parler de ce qu’on a compris en consultation.

Prenons pour exemple, l’analyse de la vidéo AS 13 : La patiente, connue pour être dépressive, insiste beaucoup pendant la consultation sur son vécu avec son mari. Le médecin semble bien connaître l’histoire et le contexte de vie de sa patiente. Mais, au vu des caractéristiques de la douleur thoracique que décrit la patiente, il préfère partir sur une hypothèse organique alors que le contexte semble lourd et parlant pendant la consultation.

Lors de l’entretien, le médecin nous donnera cette explication de la douleur de la patiente : « …Elle

culpabilise d’en avoir plus qu’assez de s’occuper de son mari…il y a un contexte énorme… ».

Pourtant, le médecin n’aura pas fait partager sa réflexion à la patiente et dira : «…Ici ce n’était pas

approprié… ».

On peut donc constater que selon nos représentations, certaines choses sont admissibles et d’autres moins. Le médecin, ici, s’autocensure sur ce qu’il a compris. On peut donc supposer qu’il y a un manque de motivation de la part de ce dernier, pour dire ce qu’il a compris, peut-être parce qu’il sous-estime les capacités d’écoute et de compréhension de la patiente. Cependant, taire ce que l’on pense est parfois un manque à gagner pour le patient ; il serait maladroit de ne pas se servir de ses réflexions pour partager et discuter avec le patient, surtout dans les SBI où la compréhension de la souffrance du patient à travers son symptôme semble importante dans la prise en charge.

Un autre médecin, lors de l’entretien, nous a fait part des conséquences que peut avoir le fait de faire le lien avec le vécu du patient pour explorer avec lui les causes de son symptôme. Ce médecin voit dans le fait de faire le lien, une manière de chroniciser le symptôme, d’enfermer le patient dans l’absence de solutions à lui apporter. Ce serait pour le médecin, une manière de dire au patient « vous êtes condamné à vivre avec ».

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« C’est aussi chroniciser un problème si on fait forcément du lien systématique entre le contexte et les symptômes…il faut aussi qu’il se détache de ça et puis passer à autre chose…faut pas que ce soit le moyen d’expliquer tout ce qu’on a à expliquer… ». (FB 27)

Cependant, il a été mis en évidence précédemment que le patient semble exprimer une certaine satisfaction lorsqu’on l’amène à une prise de conscience sur l’origine de son symptôme. Il a été montré qu’il peut ainsi mettre une explication dessus. Cette compréhension et cette acceptation du lien qui peut exister entre son vécu et son symptôme est un moyen de se détacher du symptôme pour mieux se concentrer sur son vécu. Le médecin est justement là pour l’amener à cette compréhension et l’aider à trouver les ressources nécessaires pour apporter une solution au problème.

Nous avons vu que pour beaucoup de médecins interrogés, le suivi du patient est un élément important dans la prise en charge des SBI. Or, il semble curieux d’entendre que « trop suivre le patient » aurait des répercussions négatives sur sa prise en charge.

En effet, pour un des médecins interrogés (PG 10), le risque serait de rester sur ce que l’on connaît déjà du patient, comme si on avait posé « une étiquette » sur son symptôme. Ainsi, on se fermerait des portes pour envisager d’autres solutions à apporter au patient ou pour réfléchir au problème avec un autre regard.

« …On va être tellement habitué à voir ce patient qu’on va plus voir le reste, on va être focalisé sur ce qu’on met dans le dossier, sur l’étiquette, on arrive plus à envisager d’autres solutions ».

(PG 10)

Cependant, savoir justement changer de regard, ne pas rester figer sur l’avis qu’on s’est fait de notre patient, n’est-ce pas ce à quoi doit s’exercer à faire le médecin généraliste ?

Comment peut-il espérer apporter une aide et un soutien dans la continuité s’il ne se remet pas en question à chaque nouvelle consultation en reprenant les éléments de la consultation précédente et en réajustant son regard avec les nouveaux éléments que lui apporte son patient ?

Il n’est pas question ici de « trop de suivi » mais plutôt de suivi adapté au besoin du patient dans un état d’esprit continuel de remise au point sur nos connaissances du patient pour l’accompagner dans cette prise en charge.

Le suivi du patient nécessite du temps, un temps que l’on sait précieux en médecine générale. Ce temps est aussi important dans les consultations de SBI. Le médecin doit pouvoir prendre du temps pendant la consultation, temps qui passe par un échange et une écoute réflexive avec son patient. « …Je prévois deux rendez-vous parce qu’il faut du temps… ». (CA 19) A ce titre, on peut citer la thèse d’Olivier Nardon qui confirme l’intérêt de la mise en place d’un « entretien prolongé programmé » dans les consultations SBI. (51)

Cependant, selon un médecin interrogé, il semble que le temps ne soit pas nécessaire pour tous les patients qui ont des symptômes « fonctionnels » : un symptôme « fonctionnel » présenté par un patient sans signes de détresse psychologique associés et exprimés par le patient en consultation, nécessiterait ainsi moins de temps en consultation.

« …Si le patient semble dépressif et qu’il y a un réel besoin, je prends le temps mai si c’est des « Troubles Fonctionnels Intestinaux », je prends moins de temps ». (PC 14)

80 Ce médecin semble vouloir dire qu’un patient qui ne montre pas de signes de détresse morale ou psychologique aurait besoin de moins de temps qu’un patient qui présente un symptôme fonctionnel sans détresse apparente. Cela rejoint la définition du DSM V sur les troubles de somatisation qui ne prend plus en compte la maladie somatique en tant que telle mais les pensées, sentiments et comportements anormaux associé au symptôme/maladie.

Cependant, un patient qui présente un symptôme fonctionnel sans pour autant exprimer des signes de détresse, ne souffre-t-il pas lui aussi de quelque chose en lien avec son histoire de vie dont il serait légitime de chercher et de prendre en considération ?

Nous avons constaté à travers de ce travail de recherche que l’intérêt et la prise en compte du vécu du patient prime dans la prise en charge des SBI et encore plus si le patient semble « muet » face à l’expression de son vécu. D’autres études comme celle d’Olivier Nardon « Symptômes médicalement inexpliqués : un projet thérapeutique personnalisé ? » le confirme. (51)

Or, l’intérêt porté pour le patient et son histoire nécessite du temps en consultation pour écouter et comprendre.

Certes, il peut paraître plus compliqué de légitimer ce temps face à un patient qui présente un SBI mais par ailleurs ne semble pas être en souffrance psychique. Pourtant, chaque nouvelle parole, chaque nouvelle réflexion apportée qui est utile pour le patient n’en est que plus bénéfique dans la prise en charge.

Ne serait-ce pas finalement un gain de temps pour les potentielles futures consultations SBI ? On peut en effet penser que le patient viendrait moins souvent consulter pour son symptôme.