• Aucun résultat trouvé

BIOGRAPHIE LANGAGIÈRE D’UNE LOCUTRICE PLURILINGUE INUK

2. Représentation des langues

La représentation d'une langue est « l'image que les locuteurs se font de leurs langues, les valeurs qu'ils leur accordent et les loyautés affichées sont largement affectées par les processus sociaux qui entourent la mobilité, et peuvent évoluer ou se déplacer, au cours du temps selon les contextes » (Moore, 2007, p. 26).

2.1 Langues et valeurs

Les gens dans la communauté de la participante voyaient sa connaissance de la langue française comme un atout tout comme Moore (2007) le dit le plurilinguisme est un atout et un tremplin d'apprentissage. La connaissance de cette langue avait donc un côté positif, c'était un plus.

(14) P (63) : ... tsé en grandissant les gens me disaient souvent ah t'es chanceuse tu parles le français mais pis il me disait ah oui oui kulualik petite française

Selon Lüdi et Py (2003), les attitudes « ... se manifestent comme sentiment d'ouverture ou fermeture, d'attrait ou répulsion, de sympathie ou indifférence, d'admiration ou dédain... » (p. 88). La participante aime l'inuktitut, le français et l'espagnol. Elle aime les sons et la langue. Par contre, elle dit avoir une aversion pour l'anglais. Elle n'aime pas les sons et la sensation dans sa bouche. Ceci peut être mis en relation avec l'exemple de Kathryn dans Moore (2006). « Les mots se voient, se sentent, se goûtent, et « transportent » le locuteur» (Moore, 2007, p. 221). Elle a un sentiment de rejet en ce qui concerne l'anglais sans, néanmoins, que cela ait eu de l'incidence sur son apprentissage, bien au contraire...

(15) P (178) : . .. non mais ma langue ... bah j'ai pas vraiment de langue bah je préfère parler l'inuktitut et le français je n'aime pas l'anglais parce que j'aime pas l'anglais j'aime pas les sons j'aime pas j'aime parler l'espagnol la phonétique pis j'aime comment ça tsé le sentiment dans ma bouche j'aime gusta mucho abla espagnol

183

j'aime le français j'aime comme ça sort de ma bouche inuktitutgumanitsunga j'aime comment ça sort de ma bouche mais l'anglais j'aime pas ça i don't like i don't

like speaking english very much

Autre contradiction, elle dit au tour de parole 178 qu'elle n'a pas vraiment de langue alors qu'au début de la conversation elle parle de sa langue comme la langue inuktitut. Son discours change ainsi que ses perceptions.

Dans un autre ordre d'idées, la participante nous parle aussi de son choix de langues en fonction de ses émotions. En effet, elle se fâchera plus facilement en inuktitut, car elle pense que cette langue permet de bien faire ressortir les émotions de la colère. L'inuktitut est donc la première langue qui lui vient à l'esprit en situation de stress et de colère.

(16) a. P (163) : . .. donc ils sont liés parce que je pense simultanément dans toutes les langues dépendamment de l'émotion que je tente de refléter en mots

b. P (182) : je me fâche en inuktitut parce que les autres langues n’expriment pas assez certaines colères ou émotions.

2.2 La gêne au détriment d’une langue

La participante parle beaucoup de sa gêne ou de sa timidité par rapport à la langue française lorsqu'elle était jeune. Selon Lüdi et Py (2003) la personne bilingue choisit ses langues en fonction de plusieurs critères. Le déterminisme social, les compétences langagières, les comportements liés à l'habitude et les automatismes sont déterminants dans le choix des langues. Elle réagit donc de façon différente au fil du temps en fonction de la personne qui lui parle. Les enfants n'ont pas de barrière lorsqu'ils sont petits. Ils parlent les langues sans penser aux autres, car ils sont très égocentriques. Cependant, lorsque l'enfant grandit, il entre plus au moins en conflit et ses comportements changent, des attitudes qui passent aussi par les langues parlées. La participante relate des faits que lorsqu'elle était très jeune elle parlait sans problème en français avec son père, puis elle s'est arrêtée par la gêne nous dit-elle. Elle s'est surprise à lui reparler en français dans une situation de forte émotion, car elle recherchait son chat. Son père fut aussi très surpris et lui fit même répéter pour être sûr d'avoir bien entendu...

J'ai pu remarquer que dans le village de Kuujjuaq, le français n'est pas du tout valorisé et les gens ne vous diront jamais qu'ils le parlent. Il s'agit d'une langue qu'on apprend et qu'on garde pour soi, contrairement au village de Salluit où les gens le parlent beaucoup plus facilement. Chaque communauté a donc des valeurs différentes en ce qui concerne le statut des langues.

(17) I (50) : mais tu lui parlais en inuktitut pour parce que tu n'avais pas envie de lui parler en français ou parce que /

P(51) : ben j'étais GÊNÉE j'avais une p'tite gène j'pense ... I (52) : ok

184

français . .. mais comme a un moment donné y'a un âge y'a comme la gêne s'installe ... puis ... les gens à kuujjuaq ... les gens parlent le français mais ils sont trop gênés pour le parler donc j'étais un peu . .. je me souviens même de la première fois que j'ai répondu à mon père en français sans . .. le voir ah ah ah

I (54) : (rire)

P (55) : je crois que j'avais onze ans ou dix ans ... on cherchait mon chat parce qu'il s'était sauvé de la maison pis ... mon père disait pis tu l'as tu trouvé tu l'as tu vu tu l'as tu vu pis euh à un moment donné ... je m'étais tournée pis . .. j'lui répond non non je l'ai pas vu EN FRANÇAIS . .. il m'a regardé pis il m'a dit quess t'as dit chu partie à rire j'ai dit j'ai rien dit pis j'ai continué parler en anglais pis y'avait comme une p'tite gène je sais pas mais ça a pas duré très très longtemps t'sé