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Points de vues et perspectives disponibles pour l’éducation et la formation au Nord

INTÉGRER LA NORDICITÉ DANS L’ÉDUCATION ET LA FORMATION: EXPLORATION D’ENJEU

5. Points de vues et perspectives disponibles pour l’éducation et la formation au Nord

aptes à former des individus épanouis et des citoyens engagés (finalités patrimoniales, culturelles et critiques) (Chartier 2014). Ces dernières finalités sont essentielles pour faire face et participer aux débats socioterritoriaux portant sur le Nord, comme question socialement vive à travers les enjeux du développement du Nord, de l’Autochtonie et de l’environnement (Dorion et Lacasse, 2011; Audigier, 1997 et 2012). La recomposition de la géographie scolaire doit répondre à la demande sociale pour former des individus et des citoyens capables de partager des points de vue multiples sur le territoire parce que la société change, la culture et le territoire changent (Audigier, 1997 et 2012). L’école doit pouvoir offrir une éducation au Nord incluant ces nouvelles valeurs et aptitudes pour: a) ce qui est commun et partagé par l’ensemble de la société, et qui vise l’harmonisation des relations sociales pour la préparation à la vie commune (vivre-ensemble et citoyenneté) (Bouchard, 2013; Chartier 2014); b) ce qui est spécifique selon les contextes, les situations, les cultures (autochtones ou non-autochtones, par exemple) qui sont affirmées comme différents et relevants de constructions et de traitements spécifiques (diversité, environnement et consommation) (Canobbio, 2009; Audigier, 2012).

5. Points de vues et perspectives disponibles pour l’éducation et la formation au Nord

En tenant compte des enjeux de l’éducation et la formation au Nord discutés jusqu’ici, nous présentons à présent six perspectives pouvant contribuer, à chaque fois, à l’intégration : du développement du Nord, de l’Autochtonie et de l’environnement en vue d’établir des lignes d’action d’une géographie scolaire renouvelée pour l’éducation et la formation au Nord. En retenant une trame chronologique, il sera présenté respectivement: 1) la Nordicité (Hamelin, 1976); 2) l’Évanescence (Mowat, 1963 et 1967); 3) la Géopoétique nordique (Désy, 2013); 4) le Développement durable (Québec, 2006); 5) le cadre d’action Éducation 2030 (UNESCO, 2015); 6) l’Éducation et la pédagogie autochtones (Campeau, 2019).

5.1. Nordicité

Partant de premières formulations dans les années 50, Hamelin (1976) a défini la nordicité comme : « la polaricité de l’hémisphère boréal ». La nordicité intègre selon lui « un questionnement de sens, d’état, d’identité et d’objet au sujet de la zone froide de l’hémisphère boréal » (Hamelin, 1976). La nordicité géographique se calcule et s’exprime en VAPO ou valeurs polaires attribuées selon 10 indicateurs allant de la latitude au degré d’activités économiques (Hamelin, 2006). Ces indicateurs combinent des caractéristiques climatiques, biogéographiques, géographiques, psychologiques et sociologiques. En associant des imaginaires, des faits et des représentations, ces indicateurs permettent

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d’établir des lignes d’isonord contribuant à caractériser de manière comparative les caractéristiques territoriales et régionales d’un Québec total (Hamelin, 1976). Desbiens (2012, pp. 656) soulignait ainsi que la nordicité exprime « un processus d’échange interculturel qui, à son tour, peut soutenir une identification territoriale plurielle dans un Québec qui serait à la fois solidaire et diversifié », un ensemble d’idées devant se retrouver au cœur de l’éducation et la formation au Nord.

5.2. Évanescence

À côté de la présentation des idées de Hamelin (1976) sur la Nordicité, dans le Canada anglais, les représentations sur le Nord ont davantage été mises de l’avant à travers les publications de Farley Mowat (People of the Deer, 1952; Never cry wolf, 1963; Canada

North, 1967) : une approche du Nord qui peut être associée à l’évanescence (Adock, p.

131-177 in Bocking et Martin 2017). L’évanescence constitue un contrepied radical aux approches anthropocentriques d’exploitation des ressources naturelles et de gestion de l’environnement. Elle peut être représentée comme un principe de dénuement matériel pour se rapprocher, voire se fondre dans la Nature. Il s’agirait d’une représentation partagée par différents chercheurs nordiques canadiens pour argumenter leur conception de l’adaptation des communautés du Nord à leur environnement (Adock, p. 131-177 in Bocking et Martin 2017). Mowat en ce sens évoque sa vision de la nature et de la civilisation à travers sa dichotomie « Need vs Greed » (Mowat, 1963). Ses considérations mettent de l’avant une acceptation que les Peuples du Nord prélèvent de l’environnement ce qui est nécessaire à leur survie et leur reproduction (Need) alors que les communautés du Sud vont prélever de la Nature au-delà de ce qui leur est nécessaire pour en tirer des avantages substantiels pour le profit (Greed). Dans ses conceptualisations du Nord, Mowat invite à retrouver la nature en nous, au seuil de l’animalité plutôt que de l’humanité (Loo, p. 223-260 in Bocking et Martin 2017). Les conceptions de Farley Mowat en plus d’avoir inspiré les législateurs et les concepteurs de parcs nationaux au Canada peuvent contribuer à l’éducation et la formation au Nord en intégrant le sens du lieu, la culture autochtone et des conceptions de la nature et de l’environnement (Mowat, 1952 et 1963, 1967).

5.3. Géopoétique nordique

La géolittératie et la géopoétique associant la toponymie et la connaissance des lieux aux autres sources d’expressions du ressenti, des imaginaires, des faits, des savoirs locaux et des valeurs populaires constituent une perspective originale pour l’éducation et la formation au Nord (Cottereau, 1999; Canobbio 2009). À travers la géopoétique, on retrouve à chaque fois la mesure du ressenti et l’expression de l’attachement dans la modulation des faits, du vécu et du perçu (Cheng et al, 2003; Vaillancourt 2017). La littérature, la sculpture, les contes, les légendes, les chants, les danses ou la musique venant du Nord peuvent intégrer à chaque fois une géopoétique pour raconter les lieux, le territoire et le monde social d’une manière authentique (Bouvert, 2015). Partant de la toponymie autochtone et la littérature nordique, en passant par les chants jusqu’à la poésie, on retrouve à chaque fois cette puissance évocatrice du lieu et du sens du lieu (Claval, 2012). Cette

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conceptualisation aiderait à porter l’éducation et la formation au Nord dans des perspectives se démarquant des créneaux traditionnels pour l’embedding et la caractérisation des savoirs à faire apprendre sur le Nord (Désy, 2013; Vaillancourt, 2017).

5.4. Développement durable du Nord

Les Plans Nord, évoquent à chaque fois les échos des revendications des groupes sociaux pour introduire l’idée d’un développement durable du Nord. Le Plan Nord présenté en 2012, a intégré le « développement durable », un garant incontournable du développement dans une économie mondialisée depuis le Sommet de Rio de 1992 (Nations Unies, 1992). En 2006, l’Assemblée Nationale du Québec a adopté à l’unanimité la Loi sur le développement durable (L.R.Q., c. D-8.1.1). Ce cadre législatif a été par la suite complété d’objectifs et d’indicateurs de suivi des actions des organismes gouvernementaux (Québec 2012). Les différentes versions du Plan Nord ont toujours été assujetties à cette loi, ainsi que les principes et indicateurs y afférents (Documents du Plan Nord, 2019). Ces indicateurs évoquent autant des critères de la biodiversité, des sols ou du climat que le sentiment d’appartenance, l’équité ou le développement culturel (Québec 2012). De même, les principes comme par exemple de participation du public, de précaution, de protection du patrimoine culturel, de préservation de la biodiversité ou de respect de la capacité de support des écosystèmes permettent de se rapprocher de la nécessité d’intégrer autant les faits que les imaginaires pour harmoniser les représentations pour l’éducation et la formation au Nord (Québec 2012).

5.5. Cadre d’action Éducation 2030

Les organismes des Nations Unies ont initié de nombreuses initiatives pour la promotion de la culture, de l’éducation et l’environnement depuis ces cinquante dernières années (Sauvé, 2006). En 2015, l’UNESCO (en collaboration avec l’UNICEF, la Banque mondiale, le FNUAP, le PNUD, ONU-Femmes et le HCR) s’est proposée de donner une feuille de route globale pour le secteur de l’éducation à travers la Déclaration d’Incheon et l’agenda Education 2030, dans le cadre du Forum Mondial sur l’Éducation de 2015 (UNESCO, 2015).

L’agenda Education 2030 reconnait que l’éducation est essentielle pour la réalisation des objectifs du développement durable et souligne que l’éducation doit être « … fondée sur les droits de l’homme et la dignité, la justice sociale, l’inclusion, la protection, la diversité culturelle, linguistique et ethnique, ainsi que sur une responsabilité et une

obligation de rendre des comptes partagés. » (UNESCO, 2015, art. 5). En effet, le cadre

d’action Éducation 2030 s’accompagne d’un système d’indicateurs établis selon des critères de : pertinence, alignement, faisabilité, communicabilité et interprétation. Ces indicateurs permettent de mesurer les progrès en éducation au développement durable pour habiter les territoires selon des perspectives mondiale, régionale (comme les Amériques), nationale ou thématique (UNESCO, 2015). Les indicateurs relèvent que cette éducation au développement durable devait s’accompagner de mesures pour la compréhension adéquate des questions socialement vives relatives à la citoyenneté mondiale et à la durabilité, et

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montrant une maîtrise des connaissances de la science environnementale et de la géoscience. Il convient de signaler particulièrement la cible 4.7 (pp. 73-78) réclamant que d’ici à 2030, les élèves acquièrent les connaissances et compétences nécessaires pour promouvoir le développement durable, l’appréciation de la diversité culturelle et de la contribution de la culture au développement durable (UNESCO, 2015).

5.6. Éducation et pédagogie autochtones

Plusieurs auteurs font état d’une pédagogie autochtone caractérisant les stratégies chez les groupes Autochtones de l’époque précolombienne pour transmettre aux nouvelles générations tout un ensemble de savoirs et de savoir-faire encodés à travers la langue et la culture, grâce à des enseignements et des apprentissages qui se développent au sein des communautés (Battiste, 2002; Semin, 2009). Il devait s’établir un équilibre entre l’épanouissement de l’individu et celui du groupe dans l’espace, mais également au-delà du temps (Prévil et Arias-Ortega, 2020).

Campeau (2019) a proposé une démarche pratique de revitalisation de telles préoccupations en définissant à travers une recherche-action une pédagogie hybride intégrant la pédagogie autochtone (Battiste, 2002) et la pédagogie du lieu (Somerville et

al. 2011). Ainsi, la pédagogie hybride a su rapprocher des contenus en histoire, écologie et

sciences du territoire à des légendes et des récits, à travers la langue et la culture, sans négliger la spiritualité, doublée de la perspective autochtone de la science et de la technologie (Campeau, 2019). Dans de tels contextes, l’acte éducatif devient transcendantal et porte également toute une vision de l’Être, de l’Autre et du Lieu pour donner du sens à chaque expérience humaine et à son appartenance à des communautés (Prévil et Arias, 2020). Avec une telle approche, l’éducation et la formation au Nord permettent de se doter d’une identité, autant que d’une vision du monde en apprenant selon des dimensions fondamentales à même d’intégrer le développement territorial, la perspective autochtone ainsi que les enjeux environnementaux (Campeau, 2019).

6. Nécessité d’une intégration des pistes de réflexion et d’action pour l’éducation