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Affirmation d’une Autochtonie dans le Nord du Québec et du Canada

INTÉGRER LA NORDICITÉ DANS L’ÉDUCATION ET LA FORMATION: EXPLORATION D’ENJEU

3. Affirmation d’une Autochtonie dans le Nord du Québec et du Canada

Les communautés Autochtones au Canada réfèrent aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuit (Parott, 2019). Minoritaires à l’échelle du pays, ces communautés sont réparties et s’identifient majoritairement dans la portion septentrionale (Nord) du pays, où elles constituent souvent les communautés résidentes majoritaires [85% au Nunavut; 50% dans les Territoires du Nord-Ouest, etc.] (Hamelin, 1999; Bocking et Martin 2017; StatCan, 2017). Les communautés non-Autochtones, majoritaires et dominantes dans l’ensemble du Canada, sont concentrées particulièrement dans la portion méridionale (Sud) du pays où les communautés Autochtones représentent près de 5% (2016) pour l’ensemble du Canada (StatCan, 2017; Parott, 2019). Le Nord couvre plus de 70% du territoire du Québec pour moins de 10% de la population (StatCan, 2017). De cette population, 30% environ se réclame de l’identité autochtone, alors que cette identité est revendiquée par moins de 2% de la population pour le reste du territoire (StatCan, 2017).

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Au Nord, les Autochtones se considèrent comme des habitants permanents avec une économie basée sur les ressources renouvelables (chasse, trappage, pêche). Les non- Autochtones se considèrent davantage en affectation temporaire dans une économie de services ou d’exploitation des ressources non renouvelables (forêt, pipeline, mines) (Parott, 2019). Les Autochtones réclament une plus grande implication dans le développement du territoire en vue de la création d’une économie autochtone et d’institutions politiques reconnaissant leur présence et leurs revendications territoriales (Bayly, 2018;). Ces reconnaissances seraient essentielles pour la protection de leur identité (langues, art, cultures, valeurs), de leur économie (ressources renouvelables) en plus de leur participation à l’économie des ressources non renouvelables. Ce qui porte plusieurs auteurs à faire état de la persistance de fractures majeures au Québec et au Canada, par rapport aux enjeux des études sur le Nord, entre les communautés Autochtones et les communautés non- Autochtones (Bouchard, 2013; Bocking et Martin 2017).

Depuis le tournant du millénaire, les gouvernements provinciaux revendiquent au nom de l’ensemble de la société, les potentialités des territoires du Nord (Documents-Plan Nord, 2019). Ces potentialités sont définies souvent dans une vision extractive de la gestion des ressources, même quand les gains potentiels dans une économie mondialisée peuvent être assez partagés au sein des différentes communautés de pratiques de la société (Asselin, 2012; Bouchard, 2013). Hamelin (2006) a plaidé pour que le Québec, comme société apprenne à mieux tenir compte des perspectives autochtones des enjeux du Nord, puisque ces communautés sont antérieures à l’arrivée des « Découvreurs ». Les territoires sont perçus comme étant ancestraux et non dotés d’un statut de propriété défini par le Code civil ou le fruit d’un rapport de force découlant d’une conquête récente. De plus, les Autochtones du Nord pratiquent des genres de vie traditionnels, actualisés, modernes ou combinés tout en désirant la promotion d’institutions politiques en propre à l’intérieur du pays (Bayly, 2018). Hamelin (2006) insiste également pour considérer que les enjeux du Nord réactualisent le principe de l’« Until Policy » pour l’aménagement du territoire et nécessitent une nouvelle éducation ou rééducation au lieu : « en territoire réclamé, le développement économique des non-Autochtones ne peut arriver qu’après une solution aux revendications foncières … » (Hamelin, 2006, p.96). Ce principe de l’« Until Policy » découlant de la clause Autochtone de la Constitution de 1982, donne une portée particulière pour promouvoir la réconciliation et améliorer les relations entre les peuples autochtones et non-autochtones, par rapport au Nord.

Trois grands défis de société au Québec et au Canada portent à reconnaitre l’importance de l’éducation au Nord comme un enjeu fondamental, du domaine d’apprentissage du monde social, pour le développement d’une compétence transversale au sens du lieu, propice à l’éducation à l’écocitoyenneté et à la gouvernance socioterritoriale. Ce sont: a) l’environnement, l’évolution des changements climatiques et la nécessité de la recherche de scénarios d’adaptation de proximité pour les milieux très fragiles comme le Nord (Ouranos, 2015); b) les effets de la mondialisation et la demande par les pays développés et émergents de matières premières que regorge le Nord (Canada, 2009; Québec, 2010); c) mais avant tout, la dynamique socioterritoriale et culturelle propre de la société canadienne, qui définit un ancrage identitaire et culturel prédominant des Premiers Peuples dans le Nord (Hamelin, 1976; Canada, 2009; Parrott, 2019). En effet, la

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nécessité de mieux intégrer les Autochtones avec leurs valeurs et leurs cultures dans les débats socioterritoriaux portant sur les deux premiers défis (environnement et économie mondialisée) renforce l’importance de savoirs essentiels partagés en éducation sur le lieu et particulièrement sur le Nord, en reconnaissance de l’Autochtonie du Nord (Painchaud, 1979; Hamelin, 1976 Chartier 2014; Bocking et Martin 2017).

Les défis soulevés par l’éducation au Nord rejoignent des préoccupations actuelles pour le développement de nouveaux savoirs pour appuyer l’enseignement-apprentissage de contenus et de compétences qui soient de plus en plus contextualisés (Prévil et Arias- Ortega, 2020). Cette contextualisation permettra de répondre à des enjeux diversifiés en raison d’aspects socioéconomiques, interculturels, environnementaux et écocitoyens, à chaque fois sous-jacents (Cheng, Kruger et Daniels, 2003). L’éducation au Nord permet de soulever des questions de sens (Cottereau, 1999) et s’inscrit comme un enjeu de développement de savoir original. Il s’insère dans un champ conceptuel à l’interface: du lieu, de l’interculturalisme et de l’écocitoyenneté, et comme nouvel objet d’apprentissage à faire émerger dans les curriculums de formation (Harvey, 1994; Sauvé et al., 2017).

L’opportunité d’éducation et de formation de plus en plus contextualisées au Nord a été réclamée depuis le tournant des années 60 (Fraternité des Indiens, 1972; Hamelin, 1976 Mowat, 1952, [1963] 2009). Ce créneau de savoir tarde encore à faire ses marques dans les formations sur le monde social, même si les éléments de connaissances d’intérêt sont en production dans différentes disciplines des études nordiques en géographie physique ou en sciences et génie (Painchaud, 1979; Griffiths et al. 2015). Ces productions, prises de manière isolée, ne permettent pas d’offrir un cadre cohérent pour leur transposition dans l’éducation et surtout pour définir les contenus à faire apprendre et des pratiques d’enseignement dans la formation scolaire (Niens et Reilly, 2012; Sauvé et al., 2017). C’est en ce sens que s’établit la nécessité de nouvelles contributions pour l’Éducation au Nord, par une mise en perspective des interconnexions de la géographie, de la culture et de l’éducation (Audiger, 2012; Prévil et Arias-Ortega, 2020).