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BIOGRAPHIE LANGAGIÈRE D’UNE LOCUTRICE PLURILINGUE INUK

1. Langues et cultures

1.1 Acquisition de la langue et langue maternelle

Selon Déprez (1999), l'acquisition des langues n'est pas uniforme, elle repose sur plusieurs théories. Tout d'abord, selon le modèle behavioriste de Skinner (1957), les parents auraient une influence en tant que modèle et facilitateur que les enfants imiteraient. Puis, le courant piagétien a mis de l'avant que la pensée symbolique et le jeu allaient de pair avec le langage. L'apprentissage se fait donc par étape avec des progrès positifs ou négatifs permettant d'avancer. Ensuite, Leeneberg (1967) et Chomsky (1972) voyaient l'Homme comme un être étant prédisposé à apprendre une langue, et ce, rapidement. Enfin, il existe des courants développementalistes qui voient l'apprentissage de la langue en termes de progression.

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Cependant, il est important de mentionner que « le langage ne naît pas de rien » (Déprez, 1999, p. 106) et l'Autre est nécessaire pour que la communication et l'apprentissage se fassent. Autrement dit, les langues ont besoin de la dimension sociale et d'être parlées pour exister.

En ce qui concerne ma participante, l'acquisition de ses langues ne relève pas d'une, mais de plusieurs théories. En effet, ses parents, et plus particulièrement son père, voulaient absolument qu'elle apprenne le français. Cependant, la mère n'y a eu aucune objection étant donné que sa langue était enseignée jusqu'à la troisième année de sa scolarité. Le français fut donc un choix qui allait de soi sachant que le père était francophone. On peut également faire le lien avec les migrants comme le disait Moore (2007), « pour beaucoup de familles migrantes qui sentent leur héritage linguistique menacé, le souhait des parents de protéger leurs langues, les pousse à opter pour leur usage préférentiel comme contrepoids à celle en usage dans la société environnante » (p. 80).

(1) P (65) : j'étais à l'école à partir de troisième année . .. à kuujjuaq comment ça fonctionne c'est que à partir de maternelle juqu'en deuxième t'es obligé d'aller ... de suivre ton école en inuktitut n'importe quelle . .. origine tu es ... pis À PARTIR DE TROISIÈME ANNÉE C'EST LÀ QUE TU CHOISIS soit tu t'en vas en anglais ou en français pis mon père PARCE QU'IL PARLE LE FRANÇAIS pis mes parents voulaient que je maîtrise la langue I guess là . .. je hum ... ils m'ont envoyé euh . .. ils m'ont envoyée à l'école fran . .. en en français euh en français pis j'ai fait toutes mes études EN FRANÇAIS

Elle a appris la langue de sa mère comme le disait Louise Dabène (1994) « la langue maternelle est celle parlée par la mère – ou par l'environnement parental immédiat » (p. 10). Il y a, cependant, une contradiction, car son père ne parle pas l'inuktitut.

La personne bilingue est « toute personne qui comprend et ou parle quotidiennement et sans difficulté deux langues différentes » (Déprez, 1999, p. 22). Cet aspect est très bien illustré par la participante étant donné qu'elle s'est exprimée dans quatre langues sans réfléchir et sans hésitation.

(2) P (140) : ... parce que c'est aussi facile pour moi . .. to talk to you in english ou de te parler en français inuktitutqumanitsunga XXX abla espagnol

La participante fait une comparaison entre ses frères jumeaux et elle en ce qui concerne son propre apprentissage des langues. Elle a dit que même si elle ne parlait pas le français avec son père, elle comprenait ce qu'il lui disait, elle avait « cliqué » sans même vraiment savoir comment. Mais elle savait. Elle ne s'explique d'ailleurs toujours pas pourquoi l'apprentissage des langues de ses frères jumeaux fut si laborieux.

(3) P (170) : hum ... souvent quand on était jeune c'était euh ... en fait oui . .. mes frères jumeaux moi pis j on avait comme appris le français l'anglais pis l'inuktitut comme en même temps ok j'étais capable de comprendre mon père . .. même si je lui répondais pas tsé on avait cliqué comme vient t’en je vais te donner ton bain c'était ok faut aller à la salle de bain pour aller prendre un bain on avait compris mais mes frères jumeaux y ont parlé que inuktitut jusqu'à l'âge de 6 ans ... ou c'était plus tard ... je sais pas mais

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à un moment donné jusqu'à l'âge qu'ils aillent à l'école ils parlaient juste inuktitut mon père ils ne le comprenaient pas

Elle relate un fait concernant son frère désespéré qui pleurait devant l'incompréhension de son propre père. Ce dernier se sentait complètement désemparé face à son fils, car il ne comprenait pas ce qu'il voulait. La barrière de la langue s'était installée, mais ma participante a permis de rétablir le contact en mimant ce que son frère désirait. Elle n'avait pas besoin d'explication : le français, l'anglais et l'inuktitut faisaient bel et bien partie de son répertoire propre.

(4) P (172) : [...] je me souviens quand j'étais rentrée dans la maison pis mon frère il était à terre . .. comme il était assis comme il était couché à terre pis il pleurait . .. pis mon père il était avec les armoires ouvert pis il disait ké c tu veux c'est quoi tu veux pis il lui expliquait en inuktitut pis je sais pas c'est quoi parle-moi en français dis-le moi en anglais dis-moi quelque chose moi chu t'arrivée pis ju dis c'est quoi tu veux il avait quel âge ?... il était jeune pis il parlait pas un mot en français ni anglais pis il disait jus du jus je sais qu'il veut du jus pis à partir de quand j'ai ouvert l'armoire pour lui verser son jus que ça a comme arrêté j'ai dit parce qu'il voulait un verre là

La langue des individus nous renvoie à la notion de langue maternelle. Il est vrai que tout le monde utilise ce terme. Mais savons-nous réellement le sens de cette expression ? Louise Dabène (1994) a eu beaucoup de difficultés à le définir. Elle insiste, tout d'abord, sur les critères qui pourraient donner des pistes de solutions, à savoir : la langue de la mère, la première acquise, la langue la mieux connue, et la langue acquise « naturellement » (p. 13). Cela rejoint les propos de mon sujet. Elle pense aussi avoir appris toutes les langues en même temps du simple fait de contact. En effet, l'inuktitut n'a fait l'objet d'un apprentissage scolaire que pendant trois ans : de l'âge de 5 à 8 ans. Elle a ensuite été scolarisée en français et l'anglais n'a pas fait l'objet d'un apprentissage pédagogique.

(5) P (45) : Hum . .. j'parle heu . .. ma langue maternelle . .. la langue de ma mère c'est l'inuttituk L'INUKTITUT

En effet, la personne interrogée insiste sur le fait que sa langue maternelle est l'inuktitut, car c'est la langue de sa mère. La répétition et les pauses montrent une réflexion et une insistance. Elle met d'ailleurs l'emphase sur le mot inuktitut. Pour elle, il s'agit de sa langue maternelle, même si l'on verra plus loin, que le français reste la langue dans laquelle elle communique le plus. Pour elle, la langue des Inuit a une valeur en ce qui concerne sa personnalité et cela nous renvoie aux écrits de Dabène (1994), qui nous explique que «la langue maternelle est celle dans laquelle s'est organisée la fonction langagière elle-même, en tant que fonction symbolique primordiale, et celle qui a accompagné la construction de la personnalité » (p. 16).