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La représentation de l’espace dans « Le Planétarium »

Chapitre II : Les espaces binaires ou l’aventure intérieure

1- La représentation de l’espace dans « Le Planétarium »

« Le Planétarium » ne fait l’objet d’aucune citation particulière dans le texte, mais il est tout de même présent à chaque page. En effet, le mot « planétarium » désigne une installation représentant les mouvements des corps célestes sur une voûte.

De plus, ne serait-il pas possible, en les rattachant au mot "planète" qui désigne : « corps célestes gravitant autour du soleil, sur une orbite elliptique et n’ayant pas de lumière propre »1, d’y voir une allusion directe aux personnages du texte ?

Le titre insiste donc sur le caractère bassement humain des personnages : ils ne recherchent aucune élévation spirituelle, la seule préoccupation étant d’amasser le plus de bien possible. Ils sont profondément ancrés dans le matériel, totalement assujettis au monde des objets. Ce dernier brille de mille feu et attire forcément tous ces êtres privés de " lumière " propre.

Le choix du terme «planétarium» peut aussi s’expliquer par sa terminaison – ium -, à consonance latine. Il s’agirait là d’une discrète évocation du milieu des « littérateurs » qui sont très présents dans ce récit. Alain Guimier et Germaine Lemaire seraient les premiers visés par cette allusion teintée d’ironie. Ils représentent tous ceux qui pensent atteindre des sommets de délicatesse et une finesse de perception, parc qu’ils se gargarisent d’un verbalisme creux mais pédant. L’ésotérisme de leurs propos les isole et les entretient dans l’illusion qu’ils sont des supérieurs. Cependant, les masques finiront par tomber et la lumière jaillira. Pour Arnaud Rykner, la société sarrautienne est caractérisée par cette configuration circulaire : « car les Lois de l’Univers sont aussi les lois de la Tribu : quitter son orbite comme sortir du cercle communautaire ; c’est faire chanceler la Création toute entière et risquer d’y provoquer d’irrémédiables cataclysmes. »2

Le Planétarium est un univers qui possède une certaine opacité, un univers qui décrit si bien les mouvements insensibles des personnages et d’où naît une sensation d’enfermement, d’angoisse et même de brève panique. Et c’est dans cet espace que les personnages, agités par les tropismes, se sentent à l’abri et aussi parfois à l’étroit : « Le ciel

1– Dictionnaire Quillet de la Langue Française, 1975.

tourne au-dessus de lui, les astres bougent, il voit se déplacer les planètes […] j’ai failli comme une gosse lui dire que j’aimerais tellement le voir plus souvent, devenir son ami. » ( Pla, p. 249).

Il faudrait s’interroger par ailleurs sur la représentation de l’espace dans le texte sarrautien. Au niveau du Planétarium, l’espace ou les indices spatiaux ne sont présents que parce qu’ils expriment quelque chose qui est absence mais qui est présence sous cette forme, ceci s’articule dans le texte par la présence de plusieurs indices comme par exemple : l’espace citadin, Paris, un lieu concret et récurrent où évoluent les personnages et dont la représentation romanesque suscite notre intérêt. Deuxième indice spatial c’est l’appartement, puisque le récit s’ouvre sur une description d’appartement, celui de la tante Berthe, mais ce n’est qu’à la page 33 que le lecteur est en mesure de le situer géographiquement : « Où habite-elle au fait votre tante ? A Passy ? Un lieu connu, confortable, protégé et clos, mais suffisamment spacieux pour qu’on puisse s’y mouvoir… » (Pla, p. 33). Que déduire de ce mode de présentation ? N. Sarraute n’a sans doute pas considéré la composante spatiale comme prépondérante ; les personnages doivent vivre et se déplacer, mais le plus important semble-t-il, n’est pas de savoir où ils évoluent mais comment ?

1.1 - L’ici / l’ailleurs ou l’espace des profondeurs :

Dans ce texte, les choses sont sensiblement différentes, même s’il n’y a pas non plus une grande profusion de lieux. Il fallait que les héros, Alain et Gisèle Guimier vivent à Paris, en effet, leur désir de déposséder la vieille tante de son appartement illustre mieux leur quête quand on sait que ce logement est à Passy, quartier parisien des plus chics. La localisation géographique a donc tout son intérêt. Ces derniers vont donc tout mettre en œuvre pour déployer tante Berthe de son cocon et prendre sa place sans aucun scrupule ; aucun sentiment de pitié ou de compassion pour la vieille dame qui avait ses habitudes et ses marques, rien ne leur fera marche arrière. Au contraire, ils saisissent la moindre opportunité pour lui trouver une nouvelle demeure le plus rapidement possible. Ces séquences sur l’appartement et le désir qu’il suscite sont primordiales et éclairent les « tropismes » qui vont se développer d’un personnage à l’autre.

En passant en revue les habitations des personnages, Alain Guimier va bénéficier d’une opportunité inestimable : être «autorisé» à rendre visite à la grande Germaine Lemaire. Dès l’entrée, le jeune homme tente de maîtriser son excitation, son trouble, il ne croit pas à sa chance et s’exprime en ces termes : « Quelle joie, si vous saviez….quel bonheur c’est pour moi d’être ici, près de vous, chez vous. » (Ibid., p. 83)

Alain s’extasie face à ces merveilles et aussitôt, la « grande dame », avec beaucoup de condescendance, lui dit : « Mais je suis sûre que c’est très agréable chez vous aussi. J’aimerais bien savoir comment c’est. Il faudra que vous m’invitiez un jour […]» (Pla, p. 85). Ce à quoi Alain horrifié rétorque : « Ah non ! C’est très laid chez moi. Vous seriez terriblement déçue. » (Ibid., p. 85).

Alain avait déjà prouvé l’importance que revêtait à ses yeux la question du logement, sa réaction confirme ici le fait, que pour lui, l’appartement a d’abord une fonction sociale : sa localisation d’abord, puis sa décoration vous situent par rapport aux autres. Ainsi, le désir qu’exprime G. Lemaire de se rendre chez lui ne se réalisera que lorsqu’il aura emménagé à Passy, quartier plus que respectable, lui permettant enfin de recevoir des personnages illustres.

Chez N. Sarraute, les personnages comme Alain, Gisèle ou G.Lemaire manifestent tous leur amour pour leur logement et s’investissent totalement dans la recherche d’une maison qui soit : « […] "le nid", "l’abri", "l’écrin", l’objet suprême qui annule le monde extérieur. On la quitte peu. »1

Un troisième indice spatial qui est important, c’est la "librairie", elle émerge de la topologie des espaces et elle est considérée par Alain Guimier comme un "lieu saint" quand Germaine Lemaire l’honore de sa présence, ou comme une "boutique commode" si elle est absente. La librairie symbolise la célébrité de certains auteurs, G. Lemaire entre autres, et peut annoncer la future réussite d’A. Guimier, la consécration qu’il souhaite de tout cœur. C’est le lieu où le jeune héros va se ressourcer régulièrement car : « […] il connaissait depuis longtemps, où il pouvait entrer sans prendre aucune précaution, avec

1– CALIN, Françoise. « La vie retrouvée, étude de l’œuvre romanesque de Nathalie Sarraute ». Minard, Lettres Modernes, 1976, p. 31.

n’importe quel visage, dans n’importe quel état, n’importe quelle tenue, accompagné de n’importe qui. » (Pla, p. 134).

Ce lieu "saint", malheureusement risque aussi d’être celui de sa perte, de sa chute, de sa disgrâce auprès de Germaine. En effet, il la rencontre à la librairie par hasard alors qu’il est accompagné de son père et a aussitôt l’intuition que : « sa présence suffisait pour déclencher le désastre. Tout a été révélé d’un seul coup : l’imposture, la supercherie. » (Pla, p. 134).

Il est persuadé que toutes les tentatives qu’il a pu mener pour se montrer sous son meilleur jour sont remises en cause par cette rencontre : son père s’est montré médiocre, mesquin, terre à terre, et à partir de maintenant, G. Lemaire ne le verra plus avec le même regard. Il est sûr qu’elle doit penser :

[ …] en réalité un gamin en culottes courtes que son père tenait par la main, un affreux petit bonhomme, mal venu, niais, sournois, vantard, […] "Tu sais ce qu’elle m’a dit la grande Germaine Lemaire papa ? Tu sais ce qu’elle a dit de moi ?" (Pla, p. 135).

Alain reste sur ses certitudes : l’écrivain sera convaincu d’avoir découvert son véritable visage, et son intronisation dans le cercle des auteurs à succès, risque d’être compromise par ce faux pas.

Nous pouvons souligner que les espaces présentés dans ce récit et qui se définissent dans des espaces réels ou l’«Ici», peuvent donner forme à un autre espace imaginaire permettant au personnage de fuir une certaine pesanteur familiale. Cet espace est parfois synonyme de moments heureux…et parfois, il est synonyme d’une certaine anxiété ou d’un malaise liés aux agissements et au comportement des personnages.

Nous essayerons dans cette partie de mener une analyse sur cet espace imaginaire ou l’espace intérieur et de justifier ce qui pousse les personnages à aller d’un " ici ", espace réel ou extérieur vers un " ailleurs " qui est l’espace intérieur.

1.2- Un espace entre le dedans et le dehors :

Nous définissons l’" Ici " comme l’espace réel où évoluent les personnages et à partir du moment où la plupart d’entre eux éprouvent le besoin de fuir l’ici, nous pouvons en déduire que cet espace leur pèse. Les personnages des romans sarrautiens sont passablement casaniers et si le narrateur prend tant de soin à décrire les différents appartements, c’est dans le souci de prouver qu’ils ont une grande importance. Les occupants des lieux sont très attachés à leurs logements car ils tiennent à leur confort matériel et à la sécurité qu’ils représentent. Cependant, chez cette romancière, l’ici représente avant tout l’univers familial qui s’impose aux protagonistes et qui tissent une sorte de toile d’araignée invisible autour d’eux. Les contraintes et les obligations sont bien présentes mais la politesse et la bonne éducation recouvrent tout d’un vernis lisse.

Nous constatons que, malgré une attitude parfois revancharde, les personnages de N. Sarraute ont du mal à faire fi des lieux familiaux. Le cordon ombilical, bien qu’immatériel, les retient toujours dans ce microcosme, et peut-être que l’évasion sera l’élément libérateur qui pourra leur permettre de sortir de leur chrysalide. Pour préciser ce que recouvre pour nous la notion d’«Ailleurs», nous la définirons d’abord par rapport à l’«Ici» sans toutefois l’enfermer dans les mêmes limites. L’ailleurs sera donc le « non-ici ». Certains personnages vont occuper l’"Ailleurs" sans se déplacer physiquement et l’on peut considérer comme tel, l’espace des tropismes ou l’espace intérieur. La fuite leur permet de passer d’un "ici", espace réel à un "ailleurs", un espace imaginaire (la conscience) qui sera vu comme une simple opération mentale.

Par le fait que la majorité des héros sont purs et innocents dans le sens où ils veulent remplir une quête humaine, alors que les personnages du Planétarium ont une quête matérielle inauthentique. Les tensions avec les familles sont bien réelles et l’ici ou le dehors n’est pas l’espace de toutes les satisfactions ce qui nous amène à voir comment les tropismes sont parlants à ce sujet et comment ils vont émerger du dedans ou de cet espace intérieur qui est celui de la conscience et qui serait l’ailleurs par opposition à l’ici.

1.3 - Une descente dans les gouffres ou l’imaginaire souterrain :

Dans « Le Planétarium », ou dans les autres romans, N. Sarraute crée un espace où le texte et le lecteur se rejoignent. Elle expliquait dans « L’ère du soupçon » que pour bien communiquer la substance des tropismes il fallait : « décomposer ces mouvements et les faire se déployer dans la conscience du lecteur […] Le temps n’est plus celui de la vie réelle, mais celui d’un présent démesurément agrandi. »1 C’est dans cet espace résolument

immédiat que l’auteur essaie de réaliser toutes les actions des personnages.

La scène sarrautienne tend à se figer dans l’espace réel ou extérieur. Elle devient ainsi glacée et masquée sans aucune vitalité et où l’instantanéité du mouvement intérieur se perd sous l’effet d’une temporalité fixe. On peut trouver de telles images dans Le Planétarium où le mouvement narratif ne correspond à aucun événement : « Comme c’est inerte. Pas un frémissement. Nulle part. Pas un soupçon de vie. Rien. Tout est figé. Figé. Figé. Complètement figé. Glacé […] » (Pla, p. 157). Il faut nécessairement que l’autre soit là et par l’échange et le dialogue, l’auteur attribue une importance à l’intériorité qui est si efficace dans la création du tropisme.

Dans ce dehors où le dialogue explose, tandis qu’autour et au-dessus de lui se poursuivent les mouvements tropismiques qui constituent la vraie action textuelle. Les paroles prononcées sont comme des objets tombés d’un autre monde et qui ne prennent vie que lorsque le personnage s’en occupe, dans cet espace intérieur (la conscience), pour examiner les résonances, les implications, les suites. Les choses observées semblent avoir lieu dans un temps où elles émergent en tant qu’impressions à explorer dans un monde souterrain. D’ailleurs, les déictiques répétés dans le texte sarrautiens comme « béance », « trou », « ouverture » confortent la création d’un espace intime qui ne cesse de charrier des mouvements de sensation, d’émotion et de réflexion. Cet espace représente la conception sarrautienne de l’être vivant, telle qu’elle le souligne : « Chacun de nous est à lui seul l’univers entier […] il se sent infini, sans contours… »2

Mais cet espace peut devenir d’un moment à l’autre, un espace réduit, fermé. On voit ce processus dans « Le Planétarium » où la tante Berthe inquiète et angoissée appelle

1– SARRAUTE, Nathalie. « L’ère du soupçon ». Gallimard, 1947, Folio Essais, 1956, p. 9. 2– SARRAUTE, Nathalie. « Disent les imbéciles ». Gallimard, 1976, p. 23.

son neveu Alain pour l’aider à reboucher les trous laissés par les ouvriers sur la porte du salon :

[…] Regarde la porte…La plaque de propreté avait été enlevée et cela avait laissé dans le bois des trous, des traces minuscules qu’on avait rebouchées au mastic…Elle pleurait presque, elle me suppliait :"Regarde… je ne vois plus que ça…on apercevait des traces de trous" […] (Pla, p. 26).

En s’arrêtant au mot « trous », la tante Berthe donne une importance particulière. C’est comme une menace. Cette femme a connue de vraies souffrances, la mort des gens qu’elle aimait, de son mari surtout. Elle sait aussi que sa mort est proche, elle sentait que ses forces baissent, qu’elle vieillit. Et c’est toute l’angoisse ramassée en elle se fixe là, sur cet éclat, ces trous dans le bois :

Tout est là, concentré en un seul point – c’est un paratonnerre au fond…moi-même j’avoue au bout d’un moment, je luttais contre quelque chose de menaçant, pour rétablir une sorte d’harmonie…C’était tout un univers en petit, là, devant nous…Et nous, essayant de maitriser quelque chose de très fort, d’indestructible, d’intolérable […] (Pla, p. 28).

En effet, tout est là, ce nom contient en germe tout le livre, passant à travers la menace et la peur, la hantise de la mort. On perçoit tout le long du texte la menace de la vieillesse, de ses faiblesses et de la mort. Il est donc d’une importance capitale. Mais pour le narrateur, refermer quoi ? Contre quoi faut-il boucher les trous ? C’est contre quelque chose qui risque partout et à tout moment d’intervenir. C’est contre l’absence, contre la mortalité même, qu’on essaie de boucher les trous, trous dans la structure de l’univers, par lesquels pénètrent des souffles inquiétant, sentant la mort.

Et c’est là que commence l’expédition des tropismes. L’écriture sarrautienne creuse toujours plus profond, comme aspirée par ces entrailles qui se découvrent à elle dans leur obscénité première. L’œuvre s’offre de la sorte comme une plongée au cœur de l’humain dans les gouffres. Ainsi le personnage laisse voir les failles par lesquelles le lecteur peut enfin accéder à l’ultime vérité.

C’est dans ce contexte qu’on peut envisager l’œuvre de N. Sarraute. Elle est partie prenante de l’exploration et de la mise en scène des rapports entre intériorité et extériorité, entre surface et profondeur. La constante de l’œuvre est d’aller voir vers ce qui palpite, bouge, tremble, perce, s’enfonce, de la profondeur cachée à la surface visible. La parole

apparaît ainsi comme l’une des manifestations de ce dedans en perpétuelle effusion vers le dehors. Mais dès que le dedans est passé au dehors, il se fige et se pétrifie.

Ce qui nous importe, ici, c’est la représentation de l’intérieur, ce monde souterrain où les tropismes évoluent. Ce terme qui relève d’un niveau instinctuel de l’être. Les tropismes sont ce qui dans l’homme est le plus proche de l’animal. Néanmoins, les deux techniques grâce auxquelles N. Sarraute nous révèle cet univers intérieur, soit en partant des profondeurs de la conscience, elle nous montre comment le tropisme prend forme dans des clichés, soit partant de ces clichés, elle fait sonner le creux et nous dévoilent à quelles profondeurs ils se rattachent. Les profondeurs sont celles de l’introspection et des rêveries du personnage. Elles restent au niveau intérieur, et c’est là que le narrateur tente sa plongée plus profonde. A partir du « Planétarium », rien ne nous retient au seuil de l’intérieur conscient. Les scènes imaginaires, à l’image de l’intérieur conscient et de l’infraconscient se juxtaposent.

Il a toujours été souligné que la représentation de l’espace s’énonçait en lieux clos, en « abri » comme figure de l’intériorité psychique des personnages. C’est dans ce lieu sans frontière, bien que clos, que peuvent se faire sentir les chatoiements, les vibrations, les irisations, les nuances qui circulent dans l’espace perceptuel. Ces sensations fugitives et ces impressions insaisissables qui traversent l’espace comme des ondes, sont concomitantes avec la recherche d’un espace verbal qui se dérobe. La mobilité des impressions se traduit par une successivité de tableaux scéniques.

Ainsi, l’incompréhension dont la belle famille (la mère de Gisèle et ses invités) fait preuve à l’égard des phobies de la tante Berthe, déclenche chez Alain une série d’impressions, qu’il évoque en transposant celles-ci dans des scènes imaginaires :

La forêt luxuriante où il les conduisait, la forêt vierge où ils avançaient, étonnés, vers on ne sait quelles étranges contrées, quelles faunes inconnues, quels rites secrets, va se changer en un instant en une route sillonnée d’autos, bordée de postes d’essence, de poteaux indicateurs et de panneaux-réclame…Ne l’écoutez pas, avancez…Faites-moi confiance, suivez-moi…mon panache blanc…n’hésitez pas. Vous serez récompensés, en avant […] (Pla, p. 27).

L’indicible ici, se trouve enrichi, amplifié de ce mouvement qui le déporte sur des objets connus et repérables et se projette dans l’imaginaire, seul refuge qui reste à cette

inexprimable sensation. Quelques pages plus loin, le défrichement de ces espaces imaginaires ou de ces nouvelles régions tropismales sera comparé à un voyage initiatique dans les montagnes russes : « C’est cela que je vous offre, cette brève incursion, cette amusante excursion, cette excitante impression d’aventure, de danger… » (Ibid., p. 31).

De même le choc visuel qu’éprouve la tante Berthe à la vue de la poignée moderne, que des ouvriers ont posée sur une porte néogothique, l’ont transposée dans un monde imaginaire qui incarne la destruction et la dévastation d’après guerre :

Ils ne connaissent pas la puissance de l’engin qu’ils sont en train de manipuler, et cette ignorance, cette inconscience donne à leurs gestes, comme à ceux des lunatiques, tant d’adresse, de sûreté : ils le déposent juste au bon endroit et il explose avec fracas, tout vole en éclats, les vieilles portes ovales et les couvents, les vieux châteaux, les boiseries, dorures, moulures, amours, couronnes, cornes d’abondance, lustres, lambris, tentures de velours, brocarts […] tout ce monde