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L’émergence d’une parole enfouie

Analyser le processus de l’écriture de ces auteurs, reviendra nécessairement à analyser l’évolution ou au contraire la chute totale des personnages.

Partant à la recherche de liens et de signes de connivences entre ces deux différents écrivains, nous n’avons choisi d’analyser que deux ouvrages de chaque auteur et ce choix s’explique par le fait que ces textes se rapprochent de la problématique que nous nous sommes fixée au début.

La richesse de l’expérience de ces auteurs dans leur capacité de s’approprier une parole et une écriture qui comportent les caractéristiques et les couleurs de ce que nous avions défini comme étant des spécificités de l’écriture souterraine. Nous observons dans ces textes le silence de la voix qui se manifeste par l’interruption des phrases écrites, ou l’interruption des mots. Les personnages de Sarraute n’osent pas tout dire ou même s’ils prononcent des paroles, ce n’est qu’un langage de masque qui donne l’illusion d’une communication mais qui accentue, par contraste, les hésitations d’un autre langage, celui qui, issu des profondeurs, voudrait traduire une sensation, un sentiment personnel et unique. Ce langage de masque couvre de « vastes entonnoirs »1 des vides énormes où peuvent se loger une infinité de significations, d’interprétations et de soupçons.

N. Sarraute fouille ces « vastes entonnoirs », cherche les paroles retenues, les images non exprimées. Elle rend visible tout le flot de pensées souterraines qui sous tend la conversation. Ces paroles possèdent les qualités nécessaires pour capter, protéger et porter au dehors ces mouvements intérieurs qui sont à la fois impatients et craintifs.

L’auteur s’intéresse non pas à ce qui se dit mais à ce qui se tait. Le silence qui sépare deux phrases prononcées compte plus que les mots entendus, comme l’explique

1– CALIN, Françoise. « La vie retrouvée : Etude de l’œuvre romanesque de N. Sarraute ». Minard, Lettres Modernes, 1976, p. 50.

C. Mauriac dans « Dîner en ville » : « Ce que nous évoquons en réalité, n’est pas ce dont nous parlons apparemment. Les mots dits sont là pour des choses tues ».1

Et pour atteindre cette matière nouvelle, il faut inventer un langage nouveau ou une écriture capable de répondre aux inévitables questions : comment faire venir aux mots ce qui ne peut se formuler ? Comment restituer dans le mouvement de la phrase ce qui n’existe que dans l’instant ? Le problème aussi posé dans « Le Planétarium » :

On n’a pas encore découvert ce langage qui pourrait exprimer d’un seul coup ce qu’on perçoit en un clin d’œil : tout un être et ses myriades de petits mouvements surgis dans quelques mots, un rire, un geste. (Pla, p. 33)

Pour y parvenir, l’auteur invente une écriture intime qui se maintiendra dans un espace instable entre intérieur et extérieur, entre dedans et dehors, entre vie et mort. Une écriture prise dans cet espace de l’entre-deux fait de mouvements répétitifs, de tensions et de contacts.

Dans notre travail, nous nous efforcerons de rendre moins pesant le silence de cette voix, la voix de l’indicible, en essayant de donner une réponse à ces interrogations.

Mais quelles que soient les différences observées quant aux techniques narratives de ces deux auteurs, faire ressurgir les voix enfouies, déceler les replis imperceptibles de la conscience, révéler les images inexprimées, dérouler le fil de la mémoire, restent les priorités maîtresses de la problématique de chaque auteur et le catalyseur de leur écriture.

Pour Assia Djebar, les voix recluses, la mémoire ensevelie et le passé enterré sont les fils qui tissent la trame narrative et qui font de ses textes des fresques et des tableaux aussi beaux à lire qu’à voir. L’auteur va entraîner le lecteur dans un jeu consistant à se voiler et à se dévoiler selon des critères qui échappent au lecteur et qui le déroutent dans sa quête.

Cependant, nous ne pouvons pas inclure dans notre travail les stratégies narratives utilisées dans ces textes pour s’approprier les voix du passé et les comparer avec les autres voix que l’auteur tente de soustraire à l’asphyxie.

Nous dirons que les différentes parties du texte djebarien sont un prétexte pour expulser le malaise de l’auteur du mutisme des femmes, vis-à-vis du silence imposé par l’histoire masculine et expriment le profond désir de donner enfin la parole aux femmes. Ces femmes écartées dans un premier temps par le voile, par le silence et enfin par l’histoire. Mais de quelle façon, l’auteur va-t-elle dévoiler cette écriture du silence ? Comment restituer une parole qui ne s’écrit pas, une mémoire qui ne se transmet pas et qui restent à l’ombre des terrasses-prisons ?

Nous allons tenter dans notre approche de comprendre de quelle façon, un phénomène si « oral » acquis par des femmes/voix et des femmes/regard peut être transposé à l’écrit ? Quelle est cette voix modulée de silence et d’hésitation qui va pouvoir traduire l’« indicible » ?

Après avoir présenté le corpus d’analyse et les techniques d’écriture de chaque auteur, pourrions-nous répondre aux questions qui constituent notre projet : Existe-t-il une ou des écritures du dedans ? Comment se présentent-elles ? Et peut-on parler de caractéristiques communes après avoir constaté tant de diversité qui se dégage des textes choisis allant de l’écriture de " l’effraction " ou de la violence de N. Sarraute à celle plus maîtrisée et " refoulée " de A. Djebar ?

D’autre part, serait-il de l’intérêt de ces écritures d’être mises dans une catégorie appelée « écriture de l’ineffable » ?

Quelle que soit la différence entre le style d’écriture adopté par ces deux auteurs, il existe tout de même un fil conducteur entre les différents textes de notre corpus. Ils sont liés au même maillon de la chaîne, et le style d’écriture découle de la même origine : « un univers clos » (la conscience et la mémoire), c’est le catalyseur de cette écriture.

Ces auteurs ne peuvent pas écrire autrement que nourries par l’opposition entre l’extérieur et l’intérieur, le dehors et le dedans. Elles ne peuvent pas écrire autrement que sous l’influence d’un profond intérieur. Ces remarques nous ont amenée à constater que la spécificité de l’écriture de ces auteurs réside dans ce que nous avons appelé au début de notre analyse une « écriture souterraine ».

De cette spécificité de l’écriture du dedans découle une autre spécificité : «l’écriture sensorielle » qui se manifeste par la voix, l’oralité. S’ajoute à la dimension sonore, celle du visible et de l’invisible, les deux auteurs vont dévoiler, chacune à sa façon, les processus qui participent à l’activité du regard. Le parcours de l’œil ou du regard ne peut que donner une représentation fictionnelle du corps. Ce corps qui devient le lieu ouvert à une suite d’impressions et de sensations diffuses. D’où le développement d’une poétique de " l’indicible ".

Première Partie

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L’intériorité comme

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espace du dire

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