• Aucun résultat trouvé

Le renforcement de la coutume générale interdisant l’emploi des armes biologiques

Section I : Les règles régissant l’interdiction des armes de destruction massive

Paragraphe 1 : Le développement des règles relatives à l’interdiction des armes nucléaires

A. Le renforcement de la coutume générale interdisant l’emploi des armes biologiques

Le présent paragraphe démontre qu’il existe une coutume régionale africaine interdisant l’emploi des armes biologiques, laquelle a contribué à la consolidation de la coutume générale équivalente. À cet égard, on procède à l’analyse de la pratique régionale africaine en faveur de l’interdiction des armes biologiques (1) et de l’opinio juris sous-tendant cette pratique (2) afin de mettre en évidence leur participation à l’enrichissement de la pratique et de l’opinio juris générales qui permettent de conclure que l’interdiction de l’emploi des armes biologiques est une coutume générale.

1. La pratique régionale africaine en faveur de l’interdiction des armes biologiques

L’UA et ses États membres ont développé une pratique générale constante et uniforme en faveur de l’interdiction de l’emploi des armes biologiques, laquelle renforce la pratique universelle en la matière. Pour illustrer ce point, quatre principaux éléments seront analysés, notamment l’adoption par l’UA d’instruments juridiques ayant un lien direct ou indirect avec les armes biologiques, la participation des États membres de l’UA aux traités interdisant l’emploi des armes biologiques, les efforts entrepris au plan national par les États membres de l’UA pour mettre en œuvre ces instruments et le non-emploi par ces États des armes biologiques.

S’agissant de l’adoption par l’UA d’instruments juridiques ayant un lien avec les armes biologiques, il convient de relever que l’UA a adopté trois principaux instruments de portée générale qui interdisent les armes biologiques, notamment la Convention africaine sur la conservation de la nature et des ressources naturelles354

(Convention africaine sur la conservation de la nature), le Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité et le

Protocole à la Convention de l’OUA sur la lutte contre le terrorisme. La Convention africaine sur la conservation de la nature dispose en son article 15 relatif aux activités militaires et aux conflits armés que les États « s’abstiennent

d’employer ou de menacer d’employer des méthodes ou moyens de combat visant ou de nature à causer une détérioration systématique, de longue durée, ou grave de l’environnement et font en sorte que de tels méthodes et moyens de combat ne soient pas développés, produits et ne fassent pas l’objet d’essais ou de transferts »355. Au

regard des conséquences désastreuses des armes biologiques sur l’environnement356, on peut avancer que les

armes biologiques sont incluses dans les moyens de combat dont l’emploi, la mise au point, la production, l’essai et les transferts sont interdits par cette disposition. Quant au Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité, il confie au Conseil de paix et de sécurité et au Président de la Commission de l’UA, la responsabilité de « favorise[r] et encourage[r] la mise en œuvre des conventions […] et traités internationaux pertinents sur le contrôle des armes et le désarmement »357, parmi lesquels le Protocole de Genève et la Convention sur les armes biologiques. Enfin, le

Protocole à la Convention de l’OUA sur la lutte contre le terrorisme engage les États à « [r]enforcer les mesures

prises aux niveaux national et régional [...] pour empêcher les auteurs d’actes terroristes d’acquérir les armes de

354 Convention africaine sur la conservation de la nature, supra note 24. 355 Ibid à l’article 15, para b.

356 Pour une brève description des conséquences des armes biologiques sur l’environnement, voir par exemple Graham S Pearson,

« Interdiction des armes biologiques - activités en cours et perspectives » (1997) 79 RICR 287 aux pp 287-291.

destruction massive »358 dont, les armes biologiques. Ce Protocole leur impose en outre de « [c]oopérer avec la

communauté internationale dans la mise en œuvre des instruments internationaux concernant les armes de destruction massive »359, y compris la Convention sur les armes biologiques. Ces instruments régionaux africains

majeurs qui ont été largement ratifiés par les États membres de l’UA360 viennent enrichir le corpus d’instruments

juridiques pris en compte pour établir l’existence d’une pratique en faveur de l’interdiction des armes biologiques. En ce qui concerne l’état de la participation des États africains aux traités internationaux interdisant l’emploi d’armes biologiques, en réponse aux multiples appels de l’UA invitant ses États membres à ratifier les instruments de DIH361, ces États ont dans leur grande majorité ratifié les principaux instruments spécifiques

interdisant l’emploi des armes biologiques. De fait, sur les 54 États membres de l’UA qui peuvent accéder à la

Convention sur les armes biologiques362, 46 l’ont ratifiée ; soit plus du quart du nombre total des États actuellement

parties à cette Convention363. Trois autres États l’ont signée364, ce qui signifie qu’ils doivent s’abstenir d’actes qui

priveraient la Convention de son objet et de son but. Quant au Protocole de Genève que complète la Convention

sur les armes biologiques, il a été ratifié par 35 États membres de l’UA, soit par le quart des États actuellement

parties au Protocole de Genève365. La large participation des États membres de l’UA aux traités évoqués ci-dessus

conformément aux appels à eux lancés par l’UA concourt à conférer un caractère universel à ces traités : un élément fondamental pris en compte pour conclure à l’existence d’une coutume de droit international général366.

S’agissant de la mise en œuvre de l’interdiction de l’emploi des armes biologiques, il convient d’entrée de jeu de souligner que conformément aux prescriptions du Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité367, la

358 Protocole à la Convention de l’OUA sur le terrorisme, supra note 23 à l’article 3, para 1 f). 359 Ibid à l’article 3, para 1 g).

360 À la date du 15 décembre 2017, le Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité avait été signé par 53 États et ratifié par 52. À

la date du 15 juin 2017, la Convention africaine sur la conservation de la nature avait été signée par 45 États et ratifié par 32 États. À la même date, le Protocole à la Convention de l’OUA sur le terrorisme avait été signé par 45 États et ratifié par 21 États. Pour plus de détails, voir le tableau en annexe de cette thèse sur l’état de la participation des États membres de l’UA aux traités en lien avec le droit humanitaire.

361 Voir par exemple Résolution sur le DIH, l’eau et les conflits armés en Afrique, supra note 26 au para 3. Par ailleurs, à l’occasion du

40e anniversaire de la Convention sur les armes biologiques, l’ancienne Présidente de la Commission de l’UA lança « un appel aux

États membres qui ne l’ont pas encore fait pour qu’ils ratifient la Convention ou y accèdent sans autre retard ». Voir à cet effet UA, communiqué, « L’Union africaine appelle à l'universalisation et à la mise en œuvre intégrale de la Convention sur les armes bactériologiques » (26 mars 2015), en ligne : <www.peaceau.org/fr/article/l-union-africaine-appelle-a-l-universalisation-et-a-la-mise-en- oeuvre-integrale-de-la-convention-sur-les-armes-bacteriologiques> [UA, « L’Union africaine appelle à l'universalisation et à la mise en œuvre intégrale de la Convention sur les armes bactériologiques »]. Bien qu’il soit difficile d’évaluer l’impact de ces résolutions sur l’état de la ratification des traités de DIH par les États africains, il reste qu’elles peuvent valablement être considérées comme l’un des incitatifs ayant favorisé l’adhésion massive subséquente des États membres de l’UA à la Convention sur les armes biologiques. À titre d’exemple, après l’appel de la Présidente de la Commission de l’UA, l’on a enregistré cinq nouvelles ratifications de la Convention sur

les armes biologiques au plan régional africain, notamment par l’Angola, la RCA, la Côte d’Ivoire, le Libéria et la Somalie. Voir CICR, State Parties to the Following International Humanitarian Law and Other Related Treaties as of 29-Aug-2020, en ligne : <ihl-

databases.icrc.org/dih> [CICR, State Parties to the Following International Humanitarian Law and Other Related Treaties as of 29-Aug-

2020].

362 La République arabe sahraouie démocratique est reconnue par l’UA, mais elle n’est pas reconnue par l’ONU.

363 À la date du 29 août 2020, la Convention sur les armes biologiques avait été ratifiée par 142 États, voir notamment CICR, State

Parties to the Following International Humanitarian Law and Other Related Treaties as of 29-Aug-2020, supra note 361.

364 Il s’agit de l’Égypte, de la Somalie et de la Tanzanie. Voir ibid.

365 À la date du 29 août 2020, le Protocole avait été ratifié par 142 voir notamment ibid pour des détails. 366 Plateau continental de la mer du Nord, supra note 224 à la p 42, para 73.

Commission de l’UA a conclu un accord de collaboration avec l’Unité d’appui à l’application de la Convention sur les

armes biologiques afin d’aider ses États membres à mettre en œuvre les obligations que leur impose la Convention

éponyme368. Par ailleurs, l’élaboration d’une loi modèle africaine sur les ADM afin d’aider les États africains à

adopter des législations en totale conformité avec les instruments régionaux et internationaux relatifs aux ADM, y compris les armes biologiques369, est présentement en cours d’élaboration au niveau de l’UA. En attendant la

finalisation de cette loi, il convient de préciser qu’actuellement, 47 États membres de l’UA ont, conformément à l’article 4 de la Convention sur les armes biologiques, adopté des législations complètes ou partielles sur l’interdiction des armes biologiques370. Plusieurs États membres de l’UA, y compris ceux qui ne sont pas parties à la

Convention sur les armes biologiques, ont inclus des dispositions relatives à l’interdiction de l’emploi des armes

biologiques dans leurs manuels militaires371 et de nombreux États africains ont désigné des points de contact

nationaux chargés de contrôler et de veiller à la mise en œuvre des interdictions énoncées dans la Convention sur

les armes biologiques 372.

Enfin, bien que les armes biologiques, comparativement à d’autres ADM, soient relativement faciles à mettre au point, à transférer et à dissimuler373, il est largement admis que les États africains ne fabriquent, ni ne

transfèrent et n’utilisent pas non plus des armes biologiques374. Le fait que les États membres de l’UA, y compris

les États qui ne sont pas parties à la Convention sur les armes biologiques, s’abstiennent d’employer les armes

368 Lire à cet effet UA, communiqué, « Conclusions, ce jour, à Addis Abeba, d’une réunion sur l’universalisation de la convention sur les

armes biologiques » (30 octobre 2015), en ligne : <www.peaceau.org/fr/article/conclusions-ce-jour-a-addis-abeba-d-une-reunion-sur-l- universalisation-de-la-convention-sur-les-armes-biologiques> [UA, « Conclusions, ce jour, à Addis Abéba, d’une réunion sur l’universalisation de la Convention sur les armes biologiques ».

369 Voir UA, Recrutement d’un consultant indépendant pour élaborer une loi modèle détaillée sur le désarmement des armes de

destruction massive et de non-prolifération (document non daté), en ligne <https://au.int/sites/default/files/bids/34679-reoi_-

_frecnh__consultancy_services_to_develop_a_comprehensive_model_la.pdf>.

370 Pour des détails, consulter notamment la base de données de l’Unité d’application de la Convention sur les armes biologiques, en

ligne :

<www.unog.ch/unog/website/disarmament.nsf/(httpPages)/A68F6976314FD5FDC1257478004F304F?OpenDocument&unid=74C574F 0A6EEC10EC12572BC00334CC5>. Voir également Sonia Drobysz, Mesures nationales d’application de la Convention sur

l’interdiction des armes biologiques (CIAB), présentation faite dans le cadre de l’Atelier national de la mise en œuvre de la Convention

sur l’interdiction des armes biologiques (CIAB), à Cotonou au Bénin du 12 au 13 janvier 2015, aux pp. 11-15, en ligne : <www.vertic.org/media/assets/Presentations/Presentation_BWC%20Action_Benin_VERTIC.pdf>.

371 C’est le cas notamment du Tchad qui n’a ni ratifié ni signé la Convention sur les armes biologiques. Voir à cet effet Tchad, Droit

international humanitaire, Manuel de l’instructeur en vigueur dans les forces armées et de sécurité, Ministère de la défense, Présidence

de la République, État-major des armées, 2006 à la p 79. Voir également, entre autres, Afrique du Sud, Revised Civic Education

Manual, South African National Defense Force, 2004, chapitre 4 au para 56 f) et i) ; Cameroun, Droit international humanitaire et droit des conflits armés, Manuel de l’instructeur en vigueur dans les forces de défense, Ministère de la défense, Présidence de la

République, État-major des armées, 2006, à la p 272, para 631 ; Nigéria, The Laws of War, Nigeria Army, Lagos, non daté aux paras 12 et 6 (19), Sierra Leone, The Law of Armed Conflict, Instructor Manual for the Republic of Sierra Leone Armed Forces (RSLAF), Armed Forces Éducation Center, septembre 2007 à la p 44.

372 À la date du 30 octobre 2015, 23 États membres de l’UA avaient désigné des points de contact nationaux pour la Convention sur

les armes biologiques, dont deux États africains signataires et deux États africains non parties. Pour plus de détails, voir Unité d’appui

à l’application de la Convention sur les armes biologiques, Rapport de l’Unité d’appui à l’application pour 2015, Annexe II.

373 Voir Pearson, supra note 334 à la p 290. Voir aussi UA, « Conclusions, ce jour, à Addis Abeba, d’une réunion sur l’universalisation

de la Convention sur les armes biologiques », supra note 368.

374 Voir Union interparlementaire, La mise en œuvre effective de la résolution 1540 en Afrique : opportunités parlementaires, supra

biologiques est une preuve supplémentaire du ferme engagement de ces États en faveur d’un monde débarrassé d’armes biologiques. Cette abstention générale est « motivée par la conscience d’un devoir de s’abstenir »375.

2. L’opinio juris quant au caractère obligatoire de l’interdiction d’employer les armes biologiques Les trois éléments suivants démontreront l’existence au niveau régional africain d’une opinio juris quant au caractère obligatoire de l’interdiction de l’emploi des armes biologiques : les résolutions de l’UA qui stigmatisent les armes biologiques, l’incrimination au plan régional africain de l’emploi des armes biologiques, ainsi que les déclarations officielles de l’UA et de ses États membres en faveur de l’interdiction de telles armes.

Premièrement, l’organisation régionale africaine a adopté des résolutions qui témoignent de la reconnaissance au plan continental africain de ce que l’interdiction d’employer les armes biologiques est une obligation juridique. Dans sa Résolution sur l’environnement376 adoptée sans aucune réserve en juin 1972, soit

quelques mois après l’adoption de la Convention sur les armes biologiques, l’OUA se déclarait par exemple « préoccupée par l’utilisation d’armes […] biologiques dans certains territoires sous domination coloniale »377

[traduction libre de l’auteur], exprimant ainsi en quelque sorte sa désapprobation contre l’emploi de ce type d’armes. Plus tard, dans la Déclaration d’Alger378 adoptée sans être mise à voix, l’OUA a souligné que l’élimination des ADM,

y compris des armes biologiques, est « une exigence vitale »379.

Deuxièmement, le Protocole relatif à la future Cour africaine incrimine tant dans les CAI que dans les CANI, « le fait d’employer des […] armes de destruction massive »380, parmi lesquelles les armes biologiques.

Considérant le fait que l’incrimination d’un comportement présuppose l’existence d’une norme primaire interdisant spécifiquement le comportement en question, une telle incrimination au niveau régional africain traduit la reconnaissance par les États africains de ce que l’emploi des armes biologiques est contraire au droit.

Troisièmement, une série de déclarations faites par l’UA et ses États membres soulignent expressément la valeur contraignante ainsi que le caractère fondamental de l’interdiction des armes biologiques. Le 30 octobre 2015, l’UA a organisé une réunion sur le thème : « L’universalisation en Afrique de la Convention sur l’interdiction des armes biologiques » au cours de laquelle, le représentant de l’UA a déclaré ce qui suit : « L’adhésion universelle à la Convention sur les armes biologiques renforcera la norme mondiale contre l’utilisation des épidémies comme une arme »381. Dans le même sens, plusieurs États membres de l’UA ont, à différentes

occasions, fait des déclarations allant dans le sens de la reconnaissance du caractère obligatoire de l’interdiction de

375 Voir Affaire du « Lotus » (France c Turquie) (1927), CPJI (sér A) no 10 à la p 28.

376 Voir Resolution on environnement, CM/Res. 281 (XIX), Doc off CM OUA, 19e sess, Doc OUA (1972) 1 [disponible uniquement en

anglais].

377 Ibid au para 4.

378 Déclaration d’Alger, AHG/Décl.1 (XXXV), Doc off AG OUA, 35e sess, Doc OUA (1999) 1 [Déclaration d’Alger]. 379 Ibid à la p 7.

380 Protocole relatif à la future Cour africaine, supra note 22 à l’article 28D, para g.

381 Voir UA, communiqué, « L’Union africaine appelle à l’universalisation et à la mise en œuvre intégrale de la Convention sur les

armes bactériologiques » (3 avril 2015), en ligne : <www.peaceau.org/fr/article/l-union-africaine-appelle-a-l-universalisation-et-a-la- mise-en-oeuvre-integrale-de-la-convention-sur-les-armes-bacteriologiques>.

l’emploi des armes biologiques382. À titre d’illustration, lors de la réunion des États parties à la Convention sur les

armes biologiques tenue du 4 au 7 décembre 2018 à Genève, le Représentant du Soudan du Sud a déclaré ce qui

suit : « cognizant of the existential imperative to rid the world of weapons of mass-destruction, including biological

weapons, South Sudan has taken official measures to accede to all conventions that seek to ban the production, stockpiling, and the use of weapons of mass-destruction »383.

Ces différents éléments soutiennent l’existence en Afrique d’une opinio juris quant au caractère illicite des armes biologiques, laquelle a contribué à la formation et au renforcement de la coutume générale interdisant l’emploi de ces armes.