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L’opinio juris quant au caractère contraignant de l’interdiction des armes nucléaires

Section I : Les règles régissant l’interdiction des armes de destruction massive

Paragraphe 1 : Le développement des règles relatives à l’interdiction des armes nucléaires

B. L’existence d’une coutume régionale interdisant les armes nucléaires

2. L’opinio juris quant au caractère contraignant de l’interdiction des armes nucléaires

Les cinq éléments respectifs suivants serviront à illustrer l’existence en Afrique d’une opinio juris quant à la nature juridique de l’interdiction complète des armes nucléaires : une disposition du Traité de Pelindaba qui souligne le caractère fondamental et universel de l’obligation d’œuvrer en vue de l’élimination complète des armes nucléaires, l’impossibilité de formuler des réserves au Traité de Pelindaba et la large adhésion des États membres de l’UA aux instruments régionaux africains relatifs à l’interdiction des armes nucléaires, la vive condamnation par l’Afrique du développement d’un programme d’armes nucléaires par l’Afrique du Sud, l’existence de déclarations officielles faites par les États membres de l’UA quant à l’illicéité des armes nucléaires et l’incrimination spécifique par le Protocole relatif à la future Cour africaine de l’emploi des armes nucléaires.

Premièrement, dès le préambule du Traité de Pelindaba, les États parties se déclarent « [c]onvaincues de la nécessité de ne rien négliger pour la réalisation de l’objectif final qui est de parvenir à un monde entièrement exempt d’armes nucléaires, ainsi que de l’obligation qu’ont les États de contribuer à le réaliser »339

[soulignements ajoutés]. Il est particulièrement intéressant de noter qu’alors que le préambule du Traité de

Pelindaba s’ouvre par la formule « [l]es Parties au présent Traité » et que le reste du dispositif du Traité utilise

l’expression « les Parties » pour désigner les destinataires des dispositions qu’il énonce, c’est plutôt le terme « États » qui est utilisé dans la formulation de la partie cette disposition qui est soulignée en gras. Cet élément illustre le fait qu’au niveau régional africain, il est admis que tous les États, et non pas uniquement ceux qui ont formellement signé ou ratifié le Traité de Pelindaba, sont juridiquement tenus d’œuvrer à la réalisation de l’objectif vital de l’élimination complète des armes nucléaires.

Deuxièmement, le Traité de Pelindaba n’admet aucune réserve340. De plus, ce Traité a aujourd’hui été

signé et ratifié par la quasi-totalité des États membres de l’UA. Cela constitue un fort indicateur de la reconnaissance par ces États du caractère normatif de l’interdiction des armes nucléaires. L’expression d’une telle reconnaissance s’est d’ailleurs traduite dans les multiples résolutions relatives aux armes nucléaires adoptées par l’UA sans être mises à voix, lesquelles stigmatisent fortement les armes nucléaires et soulignent sans ambiguïté le profond désir des États membres de l’UA d’évoluer vers une interdiction globale des armes nucléaires341.

Troisièmement, la vive réprobation par l’organisation régionale africaine et ses États membres du développement du programme nucléaire militaire sud-africain est également révélatrice de ce qu’une telle activité est considérée comme constituant une violation du droit342.

339 Voir Traité de Pelindaba, supra note 57, préambule au para 3. 340 Ibid à l’article 16.

341 Voir notamment les résolutions suivantes : Resolution on disarmament, denuclearization security and development in Africa ;

supra 266 Déclaration sur la dénucléarisation de l’Afrique, supra note 286 ; Résolution sur la mise en œuvre de la Résolution sur la dénucléarisation de l’Afrique, AHG/RES. 138 (XXI), Doc off AG OUA 22e sess (1986) 1 ; Résolution sur l’accélération du processus de

ratification du Traité sur la zone africaine exempte d’armes nucléaires, CM/Res1660 (LXIV), Doc Off CM OUA, 64e sess, Doc OUA

(1996) 1.

Quatrièmement, il convient de souligner que tous les États membres de l’UA ayant fait une déclaration écrite ou orale dans le cadre de la demande d’avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes

nucléaires ont soutenu que l’utilisation des armes nucléaires est contraire au droit international343. Une telle position

est demeurée constante au fil des années, en témoignent notamment les multiples déclarations faites par de nombreux États africains, y compris ceux qui n’ont pas encore ratifié le Traité de Pelindaba344, dans le cadre des

récentes initiatives visant à interdire les armes nucléaires, parmi lesquelles l’« initiative humanitaire »345 sur les

armes nucléaires lancée en 2010 et visant à aboutir à une interdiction conventionnelle de telles armes. Ainsi, la reconnaissance du caractère illicite des armes nucléaires au niveau régional africain ne saurait être remise en cause.

Cinquièmement, le Protocole relatif à la future Cour africaine incrimine tant dans les conflits armés internationaux (CAI) que dans les conflits armés non internationaux (CANI), « le fait d’employer des armes nucléaires »346. Cette incrimination est originale puisqu’on ne retrouve pas une incrimination équivalente dans le

Statut de Rome de la Cour pénale internationale347 (Statut de Rome ou Statut de la CPI). L’évolution ainsi réalisée

au niveau régional africain illustre davantage le fait que le caractère fondamentalement illicite des armes nucléaires est largement admis dans cet espace continental.

On peut donc conclure qu’il existe au niveau régional africain une coutume qui interdit de manière complète les armes nucléaires. La pratique régionale ayant donné naissance à cette coutume enrichit la pratique générale en la matière et peut, à terme, faciliter l’émergence d’une coutume générale interdisant les armes nucléaires. Par ailleurs, selon la CIJ, « [les] règles et obligations de droit général ou coutumier […] par nature, doivent s’appliquer dans des conditions égales à tous les membres de la communauté internationale et ne peuvent donc être subordonnées à un droit d’exclusion exercé unilatéralement et à volonté par l’un quelconque des membres de la communauté à son propre avantage »348. En se fondant sur cette déclaration qui s’applique mutatis

mutandis aux coutumes régionales349, il est possible d’avancer que tous les États africains, y compris ceux qui n’ont

343 Voir notamment Legality of the threat or use of nuclear weapons. Written Comments of the Government of Egypt, septembre 1995,

en ligne : <www.icj-cij.org/files/case-related/95/8722.pdf> ; Note verbale en date du 19 juin 1995 de la Mission permanente du Burundi

auprès de I’Organisation des Nations Unies, en ligne : <www.icj-cij.org/files/case-related/95/13349.pdf> ; Letter dated 20 June 1995 from the Permanent Representative of Lesotho to the United Nations, en ligne : <www.icj-cij.org/files/case-related/95/8706.pdf>.

344 La plupart de ces déclarations sont recensées dans Campagne internationale pour l’interdiction des armes nucléaires, Interdire les

armes nucléaires. Une perspective africaine, 2014 aux pp 8-9. Ce document recense les déclarations formulées par 17 États membres

de l’UA tout au long de l’Initiative humanitaire, notamment entre 2011 et 2014. L’analyse de ces différentes déclarations révèle que ces États considèrent l’interdiction des armes nucléaires comme une obligation juridique. D’autres déclarations similaires formulées à diverses autres occasions peuvent être consultées sur la base de données du CICR sur le DIH coutumier, en ligne : <ihl- databases.icrc.org/customary-ihl/eng/docs/v2_rul_nuwea>.

345 Le Traité sur les armes nucléaires a été inspiré par une « initiative humanitaire », une action informelle d’un certain nombre d’États

pour réorienter le débat sur les armes nucléaires, et mettre en exergue les conséquences catastrophiques et persistantes de leur utilisation sur la santé, les collectivités et l’environnement. Pour plus de détail sur cette initiative, voir Jean-Marie Collin, Le Traité sur

l’interdiction des armes nucléaires, Rapports du GRIP, 2018, en particulier l’annexe 3 de ce document : « Chronologie de l’initiative

humanitaire » aux pp 49-52.

346 Protocole relatif à la future Cour africaine, supra note 22 à l’article 28D, para g. 347 Statut de Rome, supra note 135.

348 Plateau continental de la mer du Nord, supra note 224 à la p 38 para 63. 349 Pour des détails, voir l’introduction de cette thèse.

pas encore ratifié le Traité de Pelindaba, sont tenus de ne pas mettre au point, développer, conserver, transférer, employer et menacer d’employer les armes nucléaires, sur le fondement du droit coutumier régional. De même, au cas où un État membre de l’UA venait à se retirer du Traité de Pelindaba350 et du Traité sur les armes nucléaires351

le cas échéant, il serait toujours lié par l’interdiction coutumière des armes nucléaires conformément à la

Convention de Vienne sur le droit des traités qui prévoit que « [l]a nullité, l’extinction ou la dénonciation d’un traité,

le retrait d’une des parties ou la suspension de l’application du traité, lorsqu’ils résultent de l’application de la présente Convention ou des dispositions du traité, n’affectent en aucune manière le devoir d’un État de remplir toute obligation énoncée dans le traité à laquelle il est soumis en vertu du droit international indépendamment dudit traité »352. En ce sens, la coutume régionale interdisant les armes nucléaires complète les

instruments conventionnels relatifs aux armes nucléaires, car elle permet l’élargissement du champ d’application personnel des interdictions énoncées par ces instruments. Au regard de ces enjeux, on peut donc avancer que la coutume régionale dégagée ici participe au renforcement du régime juridique de l’interdiction des armes nucléaires. Paragraphe 2 : Le renforcement des règles coutumières interdisant l’emploi des autres armes de destruction massive

Il est largement admis que l’interdiction d’employer les armes biologiques, ainsi que l’interdiction d’employer les armes chimiques font partie du DIH coutumier applicable tant dans les CAI que dans les CANI353.

On entend démontrer ici qu’il existe au niveau régional africain une pratique constante et uniforme en faveur de l’interdiction des armes biologiques et des armes chimiques, laquelle a contribué à la consolidation de chacune des règles coutumières universelles interdisant chacune de ces armes. À cet égard, on analysera tour à tour la contribution de l’UA à l’interdiction coutumière de l’emploi des armes biologiques (A) et la contribution de l’UA à l’interdiction coutumière de l’emploi des armes chimiques (B).

350 Sur la possibilité de retrait d’un État partie, voir Traité de Pelindaba, supra note 57 à l’article 20. 351 Voir Traité sur les armes nucléaires, supra note 276 à l’article 17.

352 Convention de Vienne sur le droit des traités, supra note 330 à l’article 43.

353 Voir l’Étude du CICR sur le DIH coutumier, supra note 65, les règles 73 et 74 aux pp 340-353. Voir aussi Jozef Goldblat, « La

Convention sur les armes biologiques - vue générale » (1997) 79 Int’l Rev Red Cross 269 à la p 281 ; Valentin Romanov, « La dimension humanitaire de la Convention sur les armes silencieuses » (1997) 79 Int’l Rev Red Cross 305 à la p 308 ; Achilles Zaluar et Roque Monteleone-Neto, « La Convention de 1972 sur les Armes biologiques - Le point de vue des États du Sud » (1997) 79 Int’l Rev Red Cross 317 à la p 325 ; Steven Haines, « Weapons, means and methods of warfare » dans Elizabeth Wilmshurst et Susan Breau, dir, Perspectives on the ICRC Study on Customary International Humanitarian Law, Cambridge University Press, 2007, 258 à la p 268 ; Steven Haines, « The Developing Law of Weapons: Humanity, Distinction, and Precautions in Attack », supra note 277 à la p 292.