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L’émergence de règles coutumières relatives au statut humanitaire du mercenaire

Section II : Les règles limitant ou interdisant l’emploi et le transfert de certaines armes classiques

Paragraphe 2 : La formulation du statut humanitaire du mercenaire

B. L’émergence de règles coutumières relatives au statut humanitaire du mercenaire

Même si quelques rares États le contestent931, il est aujourd’hui admis que la norme selon laquelle, les

mercenaires tels que définis dans le Protocole additionnel I n’ont pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre fait désormais partie du DIH coutumier932. Les éléments mis en avant ci-dessus illustrent l’importante

contribution de l’UA à l’émergence d’une telle coutume générale. Sans plus revenir sur ces éléments, le présent paragraphe soutient qu’en marge de cette coutume générale à l’émergence de laquelle l’UA et ses États membres ont largement contribué, il existe au niveau régional africain une coutume régionale dont la substance est la suivante : les mercenaires tels que définis dans la Convention de l’OUA sur le mercenariat ne peuvent bénéficier du statut de prisonnier de guerre. Ils doivent toutefois jouir de toutes les garanties reconnues à tout justiciable. La différence entre la coutume générale et la coutume en vigueur au niveau régional se situe à deux niveaux : premièrement la définition coutumière du mercenaire au plan régional africain est moins rigide que celle prévue par la coutume générale. Deuxièmement l’interdiction d’octroyer le statut de prisonnier de guerre est plus ferme que l’interdiction équivalente prévue par la coutume générale. Comme relevé dans le cadre de l’analyse des règles conventionnelles équivalentes ci-dessus, ces différences ne soulèvent pas des difficultés juridiques insurmontables. Les lignes qui suivent mettent en lumière la pratique (1) et l’opinio juris (2) qui soutiennent l’existence de la coutume régionale énoncée ci-dessus.

1. La pratique régionale

Pour mettre en lumière la pratique de l’UA et de ses États membres en lien avec la coutume régionale mentionnée ci-dessus, l’on se basera sur trois principaux éléments, l’adoption par l’UA d’instruments juridiques allant dans le sens de la coutume régionale mentionnée ci-dessus, l’état de participation des États membres de l’UA à ces instruments, ainsi que l’adoption de mesures nationales par les États membres de l’UA en lien avec la coutume invoquée ici. Dans la mesure où la reconnaissance par les États africains du droit des mercenaires de jouir des garanties reconnues à tout justifiable a déjà été soulignée, l’analyse de ces éléments mettra davantage l’accent sur la définition du mercenaire et en particulier, la préséance accordée niveau plan régional aux dispositions contenues dans la Convention de l’OUA sur le mercenariat.

En ce qui concerne l’adoption d’instruments juridiques relatifs aux mercenaires allant dans le sens de la coutume énoncée ci-dessus, il convient de relever que si les États africains s’étaient dits satisfaits du consensus parvenu au sujet de l’article 47 du Protocole additionnel I933, ils avaient toutefois jugé cette disposition lacunaire934.

C’est dans un souci de renforcer ce premier effort de règlementation juridique du mercenariat qu’ils ont adopté sous l’égide de l’OUA, une convention régionale spécifique sur l’élimination du mercenariat. Conformément aux vœux

931 Les États-Unis ont par exemple déclaré qu’ils ne considéraient pas les dispositions de l’article 47 du Protocole additionnel I comme

faisant partie du droit coutumier. Pour plus de détails à ce sujet, voir l’Étude du CICR sur le DIH coutumier, supra note 65 à la p 519.

932 Ibid, règle 108 aux pp 518 et s.

933 Voir par exemple Actes de la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du DIH, supra note 654, vol VI,

CDDH/SR.41 aux pp 201-204, et, dans le même document, vol XV, CDDH/III/369 à la p 532.

exprimés par les États africains lors de la Conférence diplomatique de 1974-1977, la définition du mercenaire que consacre cette Convention est moins rigide que celle consacrée dans le Protocole additionnel I. Cette définition a par ailleurs été reprise in extenso dans le Protocole relatif à la future Cour africaine935. De plus, à la différence de la

disposition du Protocole additionnel I qui laisse la faculté à un État d’octroyer le statut de prisonnier de guerre aux mercenaires, la Convention de l’OUA sur le mercenariat n’offre pas une telle possibilité. L’UA a également adopté d’autres instruments juridiques qui accordent préséance aux dispositions de la Convention de l’OUA sur le

mercenariat. Il en est ainsi du Protocole à la Convention de l’OUA sur la lutte contre le terrorisme qui impose aux

États de « [p]rendre les mesures appropriées contre les auteurs d’actes de mercenariat, tels que définis dans la Convention de l’OUA pour l’élimination du mercenariat en Afrique adoptée en 1977 à Libreville »936. De même, le

Pacte de non-agression et de défense commune de l’UA937 qui condamne les activités des mercenaires938, souligne

expressément qu’aux termes de cet instrument, le terme « « [m]ercenaires » signifie les mercenaires tels que définis par la Convention de l’OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique »939.

En ce qui concerne l’état de la participation des États membres de l’UA à ces instruments, ils ont été signés et ratifiés par de nombreux États membres de l’UA940.

Enfin, s’agissant de l’adoption de mesures nationales, il convient de préciser que la recrudescence du mercenariat en Afrique dans les années 1970 a favorisé l’adoption de plusieurs dispositions législatives sur la question941. Il est d’ailleurs avancé que ce sont les « [l]es législations béninoise et angolaise [qui ont] joué un rôle

d’avant-garde dans l’élaboration [de la] convention africaine sur l’élimination du mercenariat »942. Aujourd’hui, les

législations de plusieurs États africains répriment le mercenariat conformément à la définition inscrite dans la

Convention de l’OUA sur le mercenariat943. Par ailleurs, les manuels militaires de certains États africains nient

expressément le statut de prisonnier de guerre aux mercenaires944.

935 Protocole relatif à la future Cour africaine, supra note 22 à l’article 28H.

936 Protocole à la Convention de l’OUA sur la lutte contre le terrorisme, supra note 23 à l’article 3, para 1 g).

937 Pacte de non-agression et de défense commune de l’Union africaine, 31 janvier 2005, 2656 RTNU 285 (entrée en vigueur : 18

décembre 2009) [Pacte de non-agression et de défense commune de l’UA].

938 Voir, entre autres, ibid aux articles 5, para c) et 6, para b). 939 Ibid à l’article premier, para r.

940 À la date du 15 juin 2017, la Convention de l’OUA sur le mercenariat avait été signée par 36 États et ratifiée par 32 États. Pour des

détails, lire UA, « Liste des pays qui ont signé, ratifié/adhéré la Convention de l’OUA pour l’élimination du mercenariat en Afrique » (15 juin 2017), en ligne : <au.int/sites/default/files/treaties/37287-sl-oau_convention_for_the_elimination_of_mercenarism_in_africa_1.pdf>. À la date du 15 juin 2017, le Protocole à la Convention de l’OUA sur la lutte contre le terrorisme, avait été signée par 45 États et ratifiée par 21 États. Pour des détails, lire UA, « Liste des pays qui ont signé, ratifié/adhéré Protocole à la Convention de l’OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme » (15 juin 2017), en ligne : <au.int/sites/default/files/treaties/37291-sl- protocol_to_the_oau_convention_on_the_prevention_and_combating_of_terror.pdf >. À la date du 12 décembre 2017, le Pacte de

non-agression et de défense commune de l’UA avait été signé par 44 États membres de l’UA et ratifié par 22 États membres. Pour

plus de détails, voir UA, « Liste des pays qui ont signé, ratifié/adhéré pacte de non-agression et de défense commune de l'union africaine » (12 décembre 2017), en ligne : <au.int/sites/default/files/treaties/37292-sl-african_union_non- aggression_and_common_defence_pact.pdf>.

941 Voir Owona, supra note 13 à la p 185. 942 Voir notamment ibid à la p 186.

943 Voir ibid aux pp 185-186. Voir aussi Importance, pour la garantie et l’observation effectives des droits de l’homme, de la réalisation

universelle du droit des peuples à l’autodétermination et de l’octroi rapide de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux,

2. L’opinio juris

Les éléments suivants seront utilisés pour démontrer l’existence d’une opinio juris soutenant la coutume régionale invoquée ici : les déclarations des États africains à l’issue de l’adoption des dispositions du Protocole

additionnel I relatives aux mercenaires, la réaffirmation par l’UA de l’importance des dispositions contenues dans la Convention de l’OUA sur le mercenariat et qui vont dans le sens de la coutume régionale invoquée ici, l’absence de

réserve aux instruments en lien avec le mercenariat adoptés par l’UA et la reconnaissance par les États membres de l’UA du droit des mercenaires à un procès équitable.

S’il est vrai que Le Protocole additionnel I laisse implicitement la possibilité aux États de pouvoir octroyer le statut de prisonnier de guerre aux mercenaires, les déclarations faites par les États membres de l’UA à l’issue de l’adoption de l’article 47 indiquent que ces derniers interprètent de manière stricte cette disposition comme n’autorisant en aucune circonstance l’octroi du statut de prisonnier de guerre aux mercenaires. À titre d’exemple, la délégation du Nigéria avait par exemple déclaré ce qui suit :

[l]es gouvernements africains espèrent que tous les gouvernements collaboreront désormais pour punir le recrutement et l’emploi de mercenaires. Les lois ne sont pas conçues pour protéger les criminels, et la délégation nigériane considère qu’aucune disposition du paragraphe 2 ne peut être interprétée comme appuyant et encourageant les mercenaires en aucune circonstance. Tout en reconnaissant les garanties fondamentales prévues dans le nouvel article 65 du projet de Protocole I [actuel article 75] et sans contester que les mercenaires soient des hommes et appartiennent à la communauté humaine, elle ne pense pas que ces considérations puissent être invoquées pour leur attribuer, dans une situation quelconque de conflit armé, les droits de combattants ou de prisonniers de guerre945.

Bien plus, elle avait ajouté ce qui suit : « désormais, ils ne pourront plus ni être considérés comme des combattants dans aucun conflit ni bénéficier des droits accordés à un combattant ou à un prisonnier de guerre »946. Allant dans

le même sens, Madagascar avait également souligné que « toute réserve au sujet de l’article 42 [actuel article 47] […] serait contraire à l’un des objectifs de notre Conférence et donc du présent Protocole, à savoir le « Développement du droit humanitaire » »947. Ces déclarations indiquent que les États africains interprètent les

dispositions du Protocole additionnel I de manière ferme et n’envisagent en aucune circonstance octroyer le statut privilégié de prisonnier de guerre aux mercenaires.

Par ailleurs, dans le Protocole à la Convention de l’OUA sur la lutte contre le terrorisme, les États membres de l’UA ont réaffirmé leur « engagement vis-à-vis de la Convention de l’OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique, adoptée à Libreville, Gabon, en juillet 1977 »948 qui contient une définition du mercenaire

plus souple que celle contenue dans le Protocole additionnel I et prive de manière absolue le mercenaire du statut de prisonnier de guerre. Par ailleurs, le président de la Commission de l’UA a récemment « rappelé la position de

d’eux-mêmes présenté par le Rapporteur spécial, M. Enrigue Bernales Ballesteros (Pérou), Doc off AG NU, 43e sess 3, Doc NU

A/43/632 (1988) aux pp 22-24.

944 Pour des exemples et des détails, voir l’Étude du CICR sur le DIH coutumier, supra note 65 à la p 518.

945 Voir Actes de la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du DIH, supra note 654, vol VI, CDDH/SR.41 à la

p 158.

946 Ibid, vol XV, CDDH/III/SR.57 à la p 194. 947 Ibid à la p 196.

principe de l’Union africaine sur le rejet […] du mercenariat, conformément à ses instruments pertinents »949. La

réaffirmation par l’UA et États membres de leur engagement à l’égard de la Convention de l’OUA sur le mercenariat témoigne de l’adhésion de ces derniers aux dispositions plus fermes de la Convention de l’OUA sur le mercenariat en ce qui concerne le traitement humanitaire des mercenaires.

À ces éléments, l’on peut ajouter le fait que la Convention de l’OUA sur le mercenariat n’a fait l’objet d’aucune réserve de la part des États qui y sont parties. Il en est de même des multiples résolutions condamnant de manière ferme le mercenariat adoptées par l’UA sans aucune réserve de la part de ces États membres950.

Enfin, s’agissant du droit des mercenaires à un procès équitable, les États membres de l’UA sont dans leur grande majorité parties au Protocole additionnel I qui prévoit une telle exigence. Ce droit est également prévu par la Charte africaine des droits de l’homme à laquelle sont parties tous les États membres de l’UA951.

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Somme toute, l’UA a produit des règles juridiques qui réaffirment et renforcent les garanties fondamentales énoncées dans les règles universelles du DIH en faveur des personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités. De telles règles participent ainsi au renforcement du régime juridique de la protection des victimes des conflits armés. Par ailleurs, l’UA a joué un rôle majeur dans le développement du DIH contemporain en contribuant notamment à son adaptation aux situations de GLN et au phénomène du mercenariat.

949 Voir à cet effet UA, communiqué, « Déclaration du Président de la Commission de l’Union africaine sur la Guinée Équatoriale » (9

janvier 2018), en ligne <au.int/fr/pressreleases/20180109/d%C3%A9claration-du-pr%C3%A9sident-de-la-commission-de-lunion- africaine-sur-la-guin%C3%A9e>.

950 Pour une revue de ces résolutions, voir Owona, supra note 13 aux pp 172-185. 951 Voir Charte africaine des droits de l’homme, supra note 102 à l’article 7.

CHAPITRE II : LES RÈGLES RELATIVES AU TRAITEMENT DES PERSONNES PARTICULIÈREMENT