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La définition juridique du terme mercenaire

Section II : Les règles limitant ou interdisant l’emploi et le transfert de certaines armes classiques

Paragraphe 2 : La formulation du statut humanitaire du mercenaire

A. L’élaboration des règles conventionnelles relatives au statut humanitaire du mercenaire

2. La définition juridique du terme mercenaire

La définition du terme mercenaire revêt une importance fondamentale, compte tenu de la perte des privilèges liés au statut de prisonnier de guerre qu’entraîne la qualité de mercenaire, mais surtout eu égard aux sanctions pénales encourues, conformément à la Convention de l’OUA sur le mercenariat, par les personnes qui seraient ainsi qualifiées. Jusqu’à la fin des années 1977 cependant, le terme mercenaire n’avait pas fait l’objet d’une définition juridique au niveau international. Les premières résolutions sur le phénomène se contentaient essentiellement de considérer la pratique consistant à utiliser des mercenaires contre les MLN et d’indépendance comme un acte criminel et de déclarer que les mercenaires eux-mêmes sont des criminels hors la loi913, sans

toutefois préciser ce qu’il devrait être convenu d’entendre par mercenaire d’un point de vue juridique. L’OUA et ses États membres auront joué un rôle important dans la formulation de la définition de ce terme aussi bien dans le cadre du Protocole additionnel I, que dans le cadre d’instruments juridiques ultérieurs portant spécifiquement sur le mercenariat.

Le terme mercenaire a été défini pour la première fois au plan universel à l’article 47, paragraphe 2 du

Protocole additionnel I, essentiellement d’inspiration africaine914. En effet, cette disposition ne figurait pas dans le

Projet de protocole soumis par le CICR à la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du DIH915. Elle avait été proposée par le Nigéria et largement soutenue par les États africains916. La proposition

d’article soumise par le Nigéria disposait en son paragraphe 2 que : « [l]e terme « mercenaire » s’entend de toute personne n’appartenant pas aux forces armées d’une Partie au conflit, qui est spécialement recrutée à l’étranger et qui combat ou prend part à un conflit armé essentiellement en vue d’obtenir un paiement en espèces, une récompense ou un autre avantage personnel »917. La disposition qui avait été finalement retenue est cependant

moins flexible et définit le mercenaire comme une personne :

a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ; b) qui en fait prend une part directe aux hostilités ;

913 Voir entre autres, Application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, AG Rés 2708

(XXV), Doc off AG NU, 25e sess, Doc NU A/Rés/2708 (XXV) (1970) 7 au para 8 ; Principe de base concernant le statut juridique des

combattants qui luttent contre la domination coloniale et étrangère et les régimes racistes, AG Rés 3303 (XXVIII), Doc off AG NU, 28e

sess, Doc NU A/Res/3103 (XXVIII) (1973) 152 au para 5.

914 Owona, supra note 13 à la p 172.

915 Pilloud et al, Commentaire des Protocoles additionnels, supra note 628 à la p 582, para 1791. 916 Ibid.

917 Voir Actes de la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du DIH, supra note 654, vol III, CDDH/III/GT/82

c) qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette Partie ;

d) qui n’est ni ressortissant d’une Partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une Partie au conflit ; e) qui n’est pas membre des forces armées d’une Partie au conflit ; et

f) qui n’a pas été envoyée par un état autre qu’une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit état.

Cette définition qui est le résultat d’un compromis entre les États du Sud favorables à une règlementation juridique rigoureuse du mercenariat et certains États du Nord qui étaient moins favorables à une telle règlementation juridique918 présente quelques limites. Elle est en effet très restrictive. Elle énonce six critères rigides qui doivent

être cumulativement remplis pour qu’une personne soit qualifiée de mercenaire. Il suffirait donc qu’une personne ne remplisse pas l’un de ces critères pour échapper à la qualification de mercenaire. Commentant sommairement cette disposition, le professeur Éric David affirme à juste titre que « les conditions requises pour qu’un combattant apparaisse comme mercenaire sont tellement restrictives qu’il faudrait être suicidaire pour réussir à les remplir »919 .

De fait, la preuve que l’un des critères requis a été satisfait peut-être difficilement rapportée. Il en est ainsi du critère énoncé au paragraphe 1, c) selon lequel, le mercenaire doit recevoir une rémunération nettement supérieure à celle que perçoit des officiers de rang équivalent qui est très peu flexible. En pratique, il peut être « très difficile de prouver qu’un mercenaire reçoit une solde exorbitante » lorsque la rémunération est versée dans le pays d’origine du mercenaire ou sur un compte bancaire dans un autre pays920. Dans de tels cas de figure, il

serait pratiquement impossible pour une partie d’obtenir des pièces justificatives telles que le bulletin de paie ou l’ordre de transfert, à moins que la partie qui utilise les mercenaires accepte de coopérer921. De plus, même si la

disposition précise que la rémunération reçue doit être « nettement » supérieure à celle d’un combattant de rang équivalent et affecté à des tâches similaires, aucune indication permettant de déterminer si la rémunération en question est nettement supérieure ou pas n’est fournie. Une telle détermination est laissée à l’appréciation des États et peut donner lieu à des interprétations divergentes922. Comme l’avait souligné le délégué du Cameroun à la

suite de l’adoption de cette disposition, « le texte de l’article aurait été amélioré si l’on avait supprimé au paragraphe 2c) le membre de phrase « et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des ; combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette Partie » »923 car, « il [est] très difficile de prouver qu’un

mercenaire reçoit une solde exorbitante »924.

918 Pour plus de détails sur ce point voir en lien avec cet article, voir Pilloud et al, Commentaire des Protocoles additionnels, supra note

628 aux pp 1791 et s.

919 David, Principes de droit des conflits armés, supra note 25 à la p 508. 920 El Kouhene, supra note 897 à la p 54.

921 Ibid.

922 Voir à ce propos la déclaration du délégué du Cameroun dans Actes de la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le

développement du DIH, supra note 654, vol VI, CDDH/SR.41 à la p 158, para 100.

923 Ibid. 924 Ibid.

Par ailleurs, certains critères peuvent être facilement contournés, ce qui permettrait facilement à une personne de ne pas répondre à la qualification de mercenaire. C’est le cas du critère au paragraphe 1 e) qui pose que la personne en question ne doit pas être « membre des forces armées d’une Partie au conflit ». Cette clause a, à juste titre, été décrite comme rendant la définition du mercenaire énoncée au paragraphe 2 de l’article 47 illusoire, car il suffit que la partie qui emploie des mercenaires les enrôle dans ses forces armées pour qu’ils perdent la qualité de mercenaire925. De même, et toujours en lien avec le critère du paragraphe 1 c) cité ci-haut, un mercenaire qui, pour

un rang et des fonctions analogues, reçoit une solde identique à celle des membres des forces armées d’une partie au conflit pour laquelle il se bat échapperait à la qualification de mercenaire même s’il remplit tous les autres critères requis926.

En outre, l’article 47, paragraphe 2 ne couvre que les CAI et ne s’applique donc pas aux CANI. Pourtant, le recours aux mercenaires est également régulièrement rapporté dans le cadre des CANI.

Certaines de ces lacunes seront cependant partiellement comblées dans le cadre d’instruments juridiques adoptés ultérieurement sous l’influence de l’OUA. En effet, en juillet 1977, soit moins d’un mois après l’adoption du

Protocole additionnel I, l’OUA a adopté la Convention de l’OUA sur le mercenariat laquelle définit le mercenaire

comme désignant toute personne

a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ; b) qui en fait prend une part directe aux hostilités ;

c) qui prend part aux hostilités en vue d'obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle ;

d) qui n’est ni ressortissant d’une Partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une Partie au conflit ; e) qui n’est pas membre des forces armées d’une Partie au conflit ; et

f) qui n’a pas été envoyée par un État autre qu’une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État927.

Cette définition du mercenaire reprise in extenso dans le Protocole relatif à la future Cour africaine928

élargit le champ d’application matériel de la définition du mercenaire en l’étendant notamment aux situations de CANI. En effet, alors que la définition retenue dans le Protocole additionnel I est limitée aux CAI en raison du champ d’application matériel de cet instrument, celle incluse dans la Convention de l’OUA sur le mercenariat dont le champ d’application n’est pas limité aux situations de CAI s’applique au « conflit armé », qu’il soit de caractère international ou de caractère non international. La Convention de l’OUA comble donc l’absence d’une définition du mercenaire dans les CANI. En effet, le fait que l’article 47 ne s’applique qu’aux situations de CAI réduit considérablement l’importance contemporaine de cet article puisque les mercenaires sont davantage engagés dans les CANI929. S’il est vrai que l’extension de la définition du mercenaire aux situations de CANI dans le cadre du

925 Ibid, vol XV, CDDH/236/Rev.1 à la p 422.

926 Voir Pilloud et al, Commentaire des Protocoles additionnels, supra note 628 à la p 590, para 1810 927 Convention de l’OUA sur le mercenariat, supra note 20 à l’article premier.

928 Voir Protocole relatif à la future Cour africaine, supra note 22 à l’article 28H.

929 Voir David, Principes de droit des conflits armés, supra note 25 aux pp 507-511. Voir aussi Voir ONU, Mercenaires en Afrique: le

Secrétaire général appelle à renforcer l’action sur le plan de la prévention, des poursuites judiciaires et de la lutte contre les causes profondes, SG/SM/19452-SC/13689, 4 février 2019.

Protocole additionnel II n’était pas nécessaire dans la mesure où, la règlementation juridique du mercenariat dans

le cadre du Protocole additionnel I avait pour objectif le refus de l’octroi aux mercenaires du statut de combattant ou de prisonnier de guerre qui n’existe pas dans les CANI, il importe de préciser que la définition du mercenaire dans le cadre des CANI a une importance non négligeable, car le mercenariat, conformément à la Convention de l’OUA, à la Convention internationale contre le mercenariat et au Protocole relatif à la future Cour africaine, est incriminé tant dans le cadre des CAI que dans le cadre des CANI. Il est donc important de s’assurer qu’une personne poursuivie pour son intervention dans un conflit armé à titre de mercenaire se qualifie effectivement de mercenaire d’un point de vue juridique.

Par ailleurs, la Convention de l’OUA sur le mercenariat assouplit quelque peu la définition du mercenaire retenue dans le Protocole additionnel I. Elle reprend certes en des termes similaires les six critères cumulatifs prévus par la définition du Protocole additionnel I, mais elle rend moins rigide le critère relatif à la rémunération du mercenaire en exigeant simplement que la personne qualifiée de mercenaire se soit engagée dans un conflit armé en contrepartie d’une rémunération ou d’un gain financier. Ainsi aux termes de cette Convention qui n’est cependant applicable qu’au niveau régional africain, il n’est pas requis que la rémunération perçue par le mercenaire soit exorbitante. Cela étant dit, il importe toutefois de relever que la Convention internationale contre le

mercenariat adoptée quelques années plus tard sous l’influence des États membres de l’OUA et autres États

socialistes, bien qu’élargissant la définition du mercenaire aux situations de CANI, reprend textuellement la définition retenue par le Protocole additionnel I930. Cela est susceptible de faire naître des obligations

contradictoires pour les États qui sont à la fois parties aux trois instruments juridiques dans la mesure où, si aux termes du Protocole additionnel I et de la Convention internationale contre le mercenariat le mercenaire doit recevoir une solde « nettement supérieure » à celle versée aux combattants d’une partie au conflit ayant un rang et une fonction analogues, la Convention de l’OUA sur le mercenariat quant à elle ne pose pas une telle exigence en ce qui concerne la rémunération du mercenaire.

Ainsi, selon la définition retenue par un État, un individu pourrait être qualifié de mercenaire ou pas sur la base de l’une ou de l’autre disposition ce qui ne met pas les personnes qualifiées de mercenaires dans une véritable sécurité juridique. Par ailleurs, une fois opérationnelle, la future Cour africaine pourra qualifier de mercenaire toute personne qui remplissant tous les critères requis, aurait simplement reçu une rémunération pour sa participation directe à un conflit armé, peu importe le montant de cette rémunération puisqu’aux fins du Protocole créant cette juridiction, il n’est pas requis que la rémunération soit nettement supérieure à celle versée à un membre des forces armées d’une partie au conflit ayant un rang et une fonction analogues.