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Rendre irréprochable l’instruction juridique préalable des dossiers

B) Présence incontournable du patronat historique et de petits nouveaux

2. Rendre irréprochable l’instruction juridique préalable des dossiers

Le service juridique aidant les DT du CNAPS sont composées de deux juristes. Le profil de l’un d’entre eux, mobilisé en renfort en mars 2012 pour faire face à l’afflux des questions relatives à la mise en forme des dossiers de pré-instruction, fait bénéficier le CNAPS d’un important savoir-faire lié à une socialisation antérieure à la CNIL où, comme agent détaché de l’Éducation nationale, il dirigeait le service en charge de l’informatique, des RH et des finances (plaintes, contrôles, sanctions et droit d’accès indirect aux fichiers nominatifs, policiers notamment). C’est une situation originale et assez compréhensible, puisqu’il était dans le mandat initial des attributions du CNAPS de se rapprocher autant que possible des conseils de l’autorité indépendante en matière de protection des libertés des citoyens. Le premier mandat dont cet agent a été chargé au CNAPS fut d’instruire les recours contentieux portés devant la CNAC (cf. chapitre 5), une fonction auparavant dévolue à la DLPAJ pour le compte des préfets. L’apurement du contentieux antérieur s’est tari à partir de juillet 2012, les six premiers mois ayant été dédiés au traitement d’une cinquantaine d’affaires pendantes. À cela s’ajouta la charge d’examine les RAPO (les recours administratifs préalables avant saisie d’un tribunal administratif par un plaignant mécontent). Cette nouvelle procédure obligatoire avant toute saisine de la CNAC y provoqua une montée en charge de 80 dossiers mensuels supplémentaires durant le premier semestre 2012. Sur le deuxième, une certaine vitesse de croisière aurait été trouvée.

La deuxième fonction consiste à s’informer sur des sources les plus fiables possibles. Or, il est de notoriété publique que la fiabilité du fichier STIC reste plus que douteuse. Les uns suggèrent de l’amender186, d’autres proposent carrément de le supprimer187 au nom d’une amélioration et d’un usage alternatifs drastiques du casier judiciaire de Nantes. À la DT, ces controverses publiques ne sont pas de mise, car toute administration doit « faire avec ». Mais toute administration est capable d’influer de l’intérieur sur la machine à réformer. Et s’agissant d’améliorer l’accès et le contenu de la connaissance des informations accessibles, le regard pratique de l’interlocuteur est particulièrement intéressant, il se fait réformateur sur l’accès aux fichiers :

Le CNAPS entend un peu s’inscrire dans une démarche de qualité. (…) Ce qu’on souhaiterait, nous, c’est avoir un accès de deuxième niveau. Savoir quels sont les mis en cause, pas avoir à interroger les fonctionnaires de police sur ces questions-là, parce que, quand on ne maîtrise pas tout le circuit, forcément les délais s’allongent. Si on avait accès à ce fichier directement, cela nous permettrait tout de suite d’éliminer un certain nombre de dossiers. Quand je dis « éliminer », je veux dire, accorder le titre à la personne, dans la mesure où il se peut que ce mis en cause n’ait rien à voir avec… ne soit pas incompatible en tout cas, avec le type d’action d’activité de sécurité. (…) On pourrait véritablement s’appuyer sur des informations qui figurent

186 BAUER,SOULLEZ,2009 ; CNIL, rapport 2009 ; BATHO,BENISTI, 2011.

en deuxième niveau. (…) Pour l’instant, il y a beaucoup de travail qui se met en place avec la police et la gendarmerie, pour évoluer vers ce type de pratiques auxquelles la police et la gendarmerie ne sont pas opposées (ibid).

Mais le témoin se fait également « sociologue des orga » lorsqu’il est invité à s’expliquer sur les influences et conditionnements des procédures de pré-instructions (à charge ou à décharge ?) sur l’issue des dossiers présentés à la CNAC. L’analyste extérieur est toujours fondé à se demander, s’agissant du rôle des instructeurs de chaque DT, si leurs attributions n’iraient pas les prédisposer à anticiper les décisions ultérieures des CIAC… Cette question d’un dévoilement banal entend saisir la réaction d’un acteur déterminant face à la marge de liberté et d’autonomie institutionnelle réelle des uns et des autres :

Chaque délégation a son groupe d’instructeurs et qui est chargée d’instruire les titres. Une fois que c’est instruit, soit les dossiers ne posent aucun problème et les CIAC ne les examinent pas, soit ils posent débat ou en tout cas, on envisage un rejet, et là, on va décider de les passer devant la CIAC. (…) Et c’est vrai, j’avoue…, c’est un peu ce que les RH ont comme instructions… Mais ce que j’ai oublié de mentionner, c’est qu’entre la délégation, les instructeurs et la CIAC, il y a les secrétaires permanents. Ce sont eux, les secrétaires permanents, qui vont présenter les dossiers à la CIAC. D’une certaine manière, ils n’ont pas instruit ces dossiers, et ils vont les présenter de manière factuelle [se borner à présenter les faits]. Mais vous avez raison, on peut aussi présenter les choses d’une manière ou d’une autre et puis essayer d’infléchir la décision. Ce n’est pas ce qui se passe. Maintenant, il y a sept délégations, donc potentiellement, sept fonctionnements différents. Le travail central, c’est d’essayer d’harmoniser les pratiques. Les critères qui vont pousser les instructeurs peut-être, à proposer, à soumettre au débat un dossier. (…) Mais il faut le relativiser, car une fois le dossier instruit dans les mains d’une CIAC, elle est totalement libre. Car, ce qui me semble clair, c’est que chaque dossier est examiné et il y a une individualisation de la décision. C’est moins de se dire : on a trois critères, le demandeur entre dans les trois critères, donc on lui donne sa carte et s’il ne remplit pas ces critères-là, le titre ne lui est pas délivré. Non, ce n’est pas automatique : il y a vraiment une appréciation humaine des dossiers (ibid.).

Malgré la bonne connaissance du témoin au sujet d’un partage éventuel d’informations entre le CNAPS et la CNIL au sujet d’une entorse éventuelle à la loi Informatique et Libertés détectée lors du contrôle, du côté CNAPS, il semblerait que le verrouillage soit de mise à ce sujet… Tout se passe comme si l’hostilité traditionnelle entre le ministère de l’Intérieur et la CNIL interdisait ce partage d’informations dans les faits. La CNIL reste jusqu’à présent subordonnée et assez peu curieuse de ces retours d’information, ce qui s’expliquerait non seulement par la justification juridique de fermeture destinée à asseoir la propre autonomie du CNAPS, mais également par quelques autres états d’âme.

Imaginons que le CNAPS, lors de son contrôle, constate une entorse à la loi Informatique et libertés, est-ce qu’il va pouvoir interpeller la CNIL pour dire : « j’ai constaté ça dans telle entreprise » ? Ça, dans les lois, c’est interdit, on ne peut pas le faire pour l’instant, ce n’est pas possible. La seule solution serait de recourir à l’article 40 du code de procédure pénale, qui permettrait de saisir le parquet sur l’infraction qu’on aurait constatée. Mais là, on se rend bien compte de toutes les limites de l’exercice, parce que c’est un peu bloqué, on est dans le principe du secret professionnel, qui ne permet pas d’aller au-delà, en tout cas, de communiquer ce qu’on a vu à d’autres instances. (…) De toute façon, cela ne s’est pas présenté. D’ailleurs, un ancien collègue de la CNIL m’a dit : « C’est curieux, on n’a pas de retours d’informations du CNAPS ! ». Je lui ai répondu : « Oui mais enfin, il faudrait aussi que ça fonctionne dans les deux sens ».

« Mais nous, on est tenu par le secret professionnel », m’a-t-il alors rétorqué !, à quoi j’ai répondu à nouveau : « Nous, c’est la même chose du côté du CNAPS ! (Contrôleur central, CNAPS).

Est-ce à dire que notre transfuge se serait accommodé, lors de sa migration d’un monde à l’autre, de refermer la porte derrière lui ? Ses anciennes préoccupations à l’égard des libertés des citoyens se seraient-elles diluées ? En réalité, les deux ne sont pas incompatibles, et la possible dissonance entre le système de valeurs personnelles du témoin et son implication dans le nouveau dispositif est réfutée par sa justification de « l’effet du temps (à laisser) au temps » : ses convictions relatives à la défense des libertés citoyennes des agents de sécurité suspectés éventuellement mises à l’épreuve dans le nouveau poste se résoudront quelque jour dans la synthèse que la praxis du CNAPS permettra de faire vivre :

Je garde mon ancien système de valeurs, celui de la CNIL, lorsque j’attire l’attention du CNAPS sur la nécessité des formalités préalables pour l’ensemble des fichiers qu’on utilise. Et d’ailleurs, on fait, au service des affaires juridiques, une « fiche CNIL », pour rappeler un peu les principes qu’on applique et qu’il pourrait appliquer, pareillement, immédiatement à un établissement comme celui-ci. (…) Moi, j’ai le sentiment de me situer dans le même débat, dans le sens où j’estime que la curiosité du CNAPS à l’égard des demandeurs, est en leur faveur. C’est-à-dire que plus on aura d’informations, plus ça nous permettra… [d’être efficaces et justes ?]. (…) Nous faisons vivre une nouvelle police administrative (…), et on peut se persuader que bien sûr, elle a été créée en faveur du demandeur [le politique], mais l’institution est aussi là pour protéger et les professionnels, et les entreprises, mais aussi les particuliers, quelles que soient les personnes, dans la mesure où elles sont confrontées à des agents de sécurité qui pourraient déraper (Entretien avec Contrôleur central, CNAPS, 9 novembre 2012).

II–UNE IMMERSION DANS LE QUOTIDIEN DE LA DÉLÉGATION TERRITORIALE

ÎLE-DE-FRANCE188

Sept mois après son installation officielle en juillet 2012, la délégation territoriale Île-de-France située à La Plaine Saint-Denis (93), forte de 46 agents189, fait face à la plus grosse charge d’activités des sept DT existantes, en bonne place devant celle de Marseille, deuxième dans le rang des affaires traitées. On estime que le périmètre d’action de la DT Île-de-France représente 42 % de l’ensemble des effectifs de la sécurité privée et 36 % des établissements concernés. Sa sphère de compétence regroupe tous les départements de la zone de défense de l’Île-de-France, c’est-à-dire Paris et les sept départements de la petite (92, 93, 94) et de la grande couronne

188 Ce passage est nourri d’une observation personnelle d’une journée, le 7 février 2013, et des notes du journal de

bord alimenté par trois entretiens majeurs avec le chef de la délégation, le chef de l’instruction, le contrôleur chef du groupe et son adjoint. Enfin, par un passage au Secrétariat permanent de la CIAC Île-de-France, situé dans les mêmes locaux, alors que la CIAC Île-de-France « juge » le disciplinaire dans les locaux de la Préfecture de Police à Paris (chapitre 5).

189 5 agents de direction et d’encadrement, 19 agents au service du contrôle, 19 au service de l’instruction, 3 au

(77, 78, 91, 95), outre Saint Pierre et Miquelon, et plus tard la Guyane. Comme toutes ses sœurs, elle est placée sous la tutelle directe du directeur du CNAPS, et plus particulièrement sous celle de la Direction des Opérations, qui, aux côtés du Secrétariat Général, joue le rôle de Service central des titres et du contrôle.

Rappelons que le mandat de l’ensemble des DT instituées au cours de l’année 2012 consiste à assumer l’effectivité des missions de contrôle dans le ressort géographique dévolu à chacune d’entre elles et d’y instruire les titres. La fonction d’instruction préalable des dossiers constitue l’étape la plus décisive et sensible de la mise en œuvre de l’ensemble du dispositif. En effet, de son travail préparatoire d’instruction et de ses décisions de transmission des dossiers, va dépendre l’alimentation de la matière première sur laquelle les CIAC vont ultérieurement jouer, en toute « souveraineté », leur rôle de juge et de gendarme pour atteindre l’objectif ultime du dispositif, la moralisation du secteur privé. Toutes les CIAC ont besoin d’être utilement (donc sélectivement) alimentées pour pouvoir à bon escient délivrer, retirer ou suspendre titres, autorisations, agréments et cartes professionnelles et pour pouvoir prononcer des sanctions (des avertissements, des blâmes, des amendes et des suspensions temporaires d’activités).