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La DISP face à l’autorité du président du Collège

B) Présence incontournable du patronat historique et de petits nouveaux

3. La DISP face à l’autorité du président du Collège

Lors des délibérations arrêtées à la première réunion d’installation du Collège du CNAPS, le 9 janvier 2012159, ont été assignées les diverses feuilles de routes pour le pilotage des différentes missions à trois groupes de travail et à trois commissions.

Trois groupes de travail ont été ainsi formalisés par Alain Bauer et validés par le nouveau ministre, Claude Guéant. Un premier groupe est convié à mettre au point l’écriture du code de

déontologie de la sécurité privée : J.-L. Blanchou, L. Touvet, A. Juillet, et les deux représentants du

SNES et de l’USP sont mobilisés à cette fin, mais c’est J.M. Bérard, le conseiller d’État, demandeur, qui de fait deviendra le rapporteur du groupe de travail. Le second est convié à mettre au point une méthodologie de fixation des sanctions ressortissant de tous les textes à composante pénale régissant la sécurité privée. Il est pris en charge par L. Touvet, de la DLPAJ, assisté de

C. Mathon, magistrat. Le troisième, dit Évolution de la loi de 83 est censé plancher sur les nouveaux périmètres du champ et de clarifier les questions empoisonnées liées au statut des agents incendie et des professions du conseil, ainsi qu’aux questions de la sous-traitance artisanale. Il en appelle à la bonne volonté des personnes qualifiées censées représenter les services internes (A. Juillet et V. Derouet), aux services de l’IGA et de la DLPAJ, et surtout au DISP qui planche sur un processus parallèle, de façon à ce qu’il n’y ait pas doublon. Le DISP en appelle sur ce point à l’arbitrage du ministre, sentant que les missions de ce groupe de travail pourraient générer de la confusion à l’égard de ce qu’il estime ressortir de ses seules prérogatives :

Moi, simplement, je participerai pour consulter l’établissement public en tant que structure aux discussions, mais je confirme aux différents membres qui sont autour de la table que je mènerai des travaux à la demande du ministre sur ce sujet spécifiquement, avec pilotage direct160.

Quant aux trois commissions lors de cette même séance inaugurale du Collège, elles furent présentées de la façon suivante : la première a vocation à travailler avec les organisations syndicales

des salariés de la sécurité, non présentes au Collège. La proposition en a été d’autant plus ardemment

défendue par A. Bauer, arguant du fait que la dimension sociale de la revendication, de l’expression des

salariés, doit être prise en compte, qu’il savait les réticences de certaines organisations patronales à les

voir s’immiscer dans sa gestion (nous l’avons vu avec M. Mathieu, de l’USP, et avec P. Lagarde, de la FEDESFI, à la différence plutôt bienveillante de M. Ferrero, du SNES). Aucun représentant ne s’est porté candidat sur le moment, en dehors du représentant du directeur du Travail, M. Calvez, A. Bauer ayant d’emblée averti :

Je suivrai personnellement ce dossier. Et en fonction des réunions, nous associerons ou pas les organisations patronales, mais cette commission avec les organisations de salariés doit avoir une vraie liberté de parole (…) ; il est entendu qu’il n’y aura pas de substitution, pas de confusion, mais une ouverture du dialogue.

La deuxième commission dite « activités de recherche privée » sera investie par son légitime représentant, J.-E. Derny, doublé d’un représentant du CNAPS dans une mission ayant vocation à se montrer ouverte à l’ensemble des organisations identifiées de la profession, afin de lui permettre de se structurer, de se représenter, de se professionnaliser, de s’unifier, explique A. Bauer. Le conseiller Bérard propose alors de s’y associer, y voyant un lien avec le groupe de travail « code de déontologie »161.

160Ibid., 4.

161 La commission travaille d’arrache-pied, puisque le code de déontologie de la sécurité privée est prêt six mois plus

tard. Décret n° 2012-870 du 10 juillet 2012 relatif au code de déontologie des personnes physiques et morales

La troisième commission concerne un dispositif d’identification des services internes, qui faute de mieux, devra être pilotée par A. Juillet et V. Derouet162, avec l’aide demandée par A. Bauer de la DLPAJ, et du secrétaire général du ministère, Michel Bart.

Durant la deuxième phase de cette première séance historique du CNAPS, s’est très rapidement posée la question du déploiement du CNAPS à travers la mise en œuvre de ses délégations territoriales, ayant donné lieu à un long échange d’arguments entre divers membres au sujet du recrutement et de la formation des futurs contrôleurs du CNAPS. Les 15 premiers d’entre eux avaient été formés un ou deux mois auparavant à Clermont-Ferrand, et Claude Tarlet se félicita de l’apport de l’USP à cette formation. Mais survint alors un dérapage non contrôlé, au moment de rappeler que la répression aux manquements n’était pas la seule mission impartie au CNAPS, la présentation d’images positives de l’action des agents de sécurité privée devant rester à l’horizon de tous163. Patrick Lagarde prit alors la parole, insistant sur la nécessaire prudence à avoir

avec les partenaires sociaux en cette matière (…) en ajoutant ce mot malheureux : il ne faudrait pas que là

aussi, ça se transforme en tribune de revendications, parce que là, ça pourrait partir dans tous les sens… Sur

quoi, A. Bauer, montant au créneau en laissant tomber son habituel sens de la diplomatie, répondit :

Ils [les salariés] ont un certain nombre de choses à dire de légitimes, et d’ailleurs très franchement dans vos professions, une partie de ce qu’ils disent correspond aussi à une partie de ce que vous dites. Je veux dire le détournement de professionnels de la sûreté pour faire de l’achalandage, de l’incendie, du nettoyage, du parking et autre chose, ça ne correspond pas à l’idée qu’on se fait de l’application stricte de la loi de 1983, c’est un problème qui est autant un problème de service interne qu’un problème de client…

L’inhabituelle vivacité de l’échange allait marquer d’emblée le style et les limites des échanges ultérieurs au sein du noble aréopage, Alain Bauer entendant se montrer inflexible dans le déroulé du rituel des séances, et dans ses stratégies d’attribution de répartition de la parole164.

162Ibid., 5. Valérie Derouet est le 4e membre qualifié au collège, dont la nomination a été suggérée/imposée par le ministère de l’Intérieur, désireux que les intérêts particuliers des agents de la sûreté nucléaire soient représentés. Elle est à l’époque de sa nomination en charge des activités sûreté, sécurité, stratégie chez EDF, après l’avoir été chez

AREVA et EADS. D’après A. Bauer, cette commission devrait servir à mettre en place un dispositif d’identification des services

internes de sécurité tels que prévus par la loi de 1983. Car s’il y a des organisations représentatives, des directeurs de services de sécurité, des organisations de sécurité, il n’y a aucune organisation spécifiquement identifiée en ce domaine. (…) Ce ne sont pas les donneurs d’ordre qui sont des clients, et les clients sont des interlocuteurs à l’extérieur. Les services internes sont à l’intérieur. Ils sont contributeurs, et il va falloir trouver un moyen de les représenter. Nous avons donc contourné le problème grâce aux nominations, dont je remercie le ministre de l’Intérieur, de Valérie Derouet et d’Alain Juillet. Précisons que cette exigence sera apparemment comblée un an plus tard, quand une association représentant les services internes, ARSIS (Association des responsables des services internes

de sécurité), se créera le 25 mars 2013, saluée en ces termes par Jean-Louis Blanchou qui l’appelait de ses vœux

depuis octobre 2010 : Elle aura sûrement sa place, un jour, dans des conditions à définir, au sein du CNAPS, d’après une

dépêche AEG Sécurité Globale, n° 8686, le 27 mars 2013.

163 Il évoque la fabrication d’un film de propagande présentant la multiplicité des tâches et fonctions assumées par les

ASP. On est encore très loin de l’imagination des criminologues canadiens s’attachant à discuter une à une de la qualité des diverses fonctions du « gardiennage » sur la performance générale, à partir de l’agence Securitas

notamment (MULONE, etal., 2007, 461-473).

164 Je ne me prononce pas ici sur la question du fond, mais plutôt sur celle de la forme, même si, en l’occurrence, elle

L’incident était en réalité lié à la mécompréhension d’un échange de bons procédés entre Latournerie et Blanchou. Il s’agissait d’acter la nécessité de former les contrôleurs et de discuter collectivement des modalités du déploiement de leur action, et incidemment de l’objet de leurs contrôles. L’émoi patronal sur ce sujet était hautement perceptible, puisque l’enjeu implicite de l’affaire était de s’assurer des limites presque indicibles de l’exercice : jusqu’où les contrôleurs du CNAPS allaient-ils remonter dans la moralité non seulement des salariés, mais aussi et surtout de celles des patrons et lesquels, dans l’examen de leur demande d’agrément. Latournerie ayant rendu hommage à son collègue, en rappelant que pour les 12 premiers contrôleurs du CNAPS, une bonne partie de leur formation avait été consacrée au guide méthodologique du contrôle élaboré sous l’égide de J.-L. Blanchou et de ses services avant l’installation du CNAPS, Blanchou s’empressa alors d’attraper la balle au bond et de marquer un point non prévu dans la répartition de la feuille de route de chacun par A. Bauer : Je pense pour ma part – je ne l’ai pas dit tout à l’heure, mais cela viendra en son temps – qu’une commission ad hoc, sur les modalités de contrôle et de coopération des contrôleurs du CNAPS avec d’autres corps de contrôle de l’État ou assimilés, serait bienvenue pour la suite des

travaux et l’efficacité de l’outil CNAPS165.

C’est ainsi qu’une quatrième commission, revendiquée par le DISP, non prévue par le collège allait devenir un enjeu d’envergure pour la crédibilité de l’action du CNAPS. Ce qui prouvait par incidente quelque chose de la capacité d’anticipation et de prospective de la DISP, mais également et surtout la capacité du DISP à savoir placer ses billes aux moments stratégiques des décisions les plus opportunes.

durant un an maints acteurs dans la coulisse, à la consécration officielle du Collège du CNAPS, que va présider le nouvel élu, Alain Bauer, cinq mois avant les élections présidentielles de mai 2012. En janvier 2012, la présidence du Collège (« conseil d’administration ») du CNAPS change du tout au tout la perspective et le pouvoir de son titulaire. Il tient désormais les rênes des ordres du jour du Collège et maîtrise les prises de parole et les votes à main levée de chaque délibération. Lors de cette séance inaugurale, il entend bien faire comprendre à tous les membres comment les séances mensuelles se dérouleront à l’avenir. Tous les témoins du collège interrogés sur la présidence du Collège admettent une grande maîtrise du rituel, convenant qu’il permet d’avancer rapidement des dossiers préalablement très préparés. Le management de style autoritaire d’Alain Bauer semble forcer l’admiration générale. Personne ne s’est jamais permis d’émettre, en dehors de quelques nuances, la moindre critique frontale. Il en était allé de même

dans une précédente arène, l’OND, où nous avions pu l’observer aux manettes durant six ans (OCQUETEAU, 2012).

Beaucoup d’encre et d’images coulent toujours sur ce personnage controversé, alimentant une polémique perpétuelle dont il a toujours su tirer le plus grand profit, alors qu’une biographie critique bien plus utile resterait à écrire, en saisissant et analysant le personnage dans le quotidien de certaines de ses activités publiques et privées récurrentes. Pour le lecteur intéressé, taper Alain Bauer avec Google ou autres moteurs. De même, pour l’amplitude de ses prises

de position publiques sur son site personnel, cf.http://www.alainbauer.com/fr/alain-bauer.html.

165Ibid., 8. Alain Bauer demandera à la 2e séance que l’intégralité des prises de position ne soit plus retranscrite in extenso, mais que les PV du Secrétariat soient allégés pour aller à l’essentiel, quitte à ce que chaque intervenant revendique son droit à demander rectification pour préciser ses propos, lors de la validation de chaque PV.

II–L’AIGUILLON DE LA DISP POUR CASSER DES BLOCAGES ENTRE ADMINISTRATION ET ENTREPRISES DE SÉCURITÉ

Grâce à une habile sélection des éléments de son staff, la DISP a entamé le processus d’un changement décisif dans la présentation publique d’une image de la sécurité privée plus convenable, en élaborant un travail de sensibilisation inédit vers les administrations et acteurs de la sécurité publique, et surtout vers les médias spécialisés. Si l’image de la « mission faite homme » parle, il est indéniable que, grâce au travail interne de la petite équipe des chargés de mission de la cellule qui l’accompagnent, elle soit devenue en peu de temps un lieu de transit incontournable de tout ce qui se pense, s’élabore, se dit, se capitalise et se fait dans ce laboratoire si particulier du ministère de l’Intérieur.