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Partie 2 Etude de cas : enseignement/apprentissage du chinois en SIC à Shanghai vu par les acteurs 47

2.   Rencontre avec l’enseignante de chinois des 6 ème SIC 52

Comme nous l’avons précédemment évoqué, notre échange s’est déroulé au LFS, dans un espace ouvert proche des salles des professeurs. Nous avions au préalable pris soin de préparer notre enquête en réfléchissant à différents thèmes, et l’enseignante avait de son côté anticipé nos échanges et prévu d’aborder un certain nombre de points, dont nous allons à présent essayer d’analyser le contenu.

2.1. Un échange plurilingue

Comme nous l’avons évoqué, nos précédents échanges avec BL., dans le cadre d’une relation parent-professeur, s’étaient déroulés en langue chinoise ; c’est donc la langue pour laquelle nous avons spontanément opté dans le cadre de cet entretien. Sur la base de l’enregistrement de cette conversation, nous proposons en Annexe 6 (p.126) une transcription traduite réalisée par nos soins. Le passage par la traduction explique pourquoi nous n’avons pu retranscrire certaines modalités de l’échange, comme les hésitations, les pauses ou d’éventuels chevauchements. Rappelons que nous n’avons pas jugé la qualité de l’enregistrement suffisante pour nous permettre de le joindre à ce document.

Les compétences plurilingues des interlocutrices se manifestent dans leurs échanges en chinois par l’incursion de mots ou expressions en français : dans un souci de clarification du message de l’une, ou pour palier aux lacunes en langue chinoise de l’autre. Ces pratiques plurilingues nous amènent à évoquer une conception au contraire plutôt monolingue des cours de SIC. Ainsi BL. nous indique que l’usage du français n’est autorisé au sein de sa classe que dans certaines circonstances : « si c’est pendant le cours je

leur demande de parler chinois je leur dis que s’ils parlent français ce n’est pas la peine de venir en cours » (entretien_BL_159). L’enseignante fait toutefois preuve de souplesse, autorisant les élèves à échanger en français pour la réalisation de certains exercices, et pendant des périodes plus détendues de son cours (entretien_BL_161) : cette attitude nous semble véritablement placer la communication à l’honneur dans sa classe, quels que soient langues, formes ou supports d’expression. Consciente que le français représente la langue de prédilection des élèves pour leurs échanges entre pairs, BL. précise que « la plupart du temps ils parlent français entre eux ils n’arrivent pas à changer cette habitude » (entretien_BL_164).

2.2. L’enseignement du chinois et des arts plastiques en chinois

En tant qu’enseignante de langue et de littérature chinoises, BL. retrouve ses élèves de 6ème SIC à raison de cinq heures par semaine, auxquelles s’ajoute une heure par semaine de cours d’arts en chinois. Les cours de mathématiques en chinois, deux heures par semaine, sont assurés par un professeur chinois non francophone, spécialisé dans cet enseignement.

Dans le cadre de ses cours, BL. accorde une place centrale à l’enseignement de la culture et de la géographie de la Chine, en prenant soin de choisir des méthodes pédagogiques adaptées à son public d’apprenants, un public qui a besoin de se sentir acteur de son apprentissage. BL. considère l’enseignement du chinois indissociable de la compréhension de la culture chinoise. Ainsi, elle précise que « la langue ce n’est pas seulement parler plus tard dans leur travail ou dans leurs échanges avec les autres, ils vont réaliser que le plus important c’est la culture la compréhension de la culture » (entretien_BL_66). La scolarisation en SIC en Chine est considérée par l’enseignante comme une réelle chance pour ses élèves, avec l’opportunité d’acquérir beaucoup plus de connaissances culturelles que des collégiens de SIC en France ; leur expérience de vie en Chine leur permet en effet d’être en contact au quotidien avec la culture de la section. Apprendre en SIC en Chine permet donc selon BL. l’acquisition de « connaissances plus approfondies » (entretien_BL_76)

Outre la langue et la littérature chinoises, BL. enseigne les arts plastiques aux élèves de 6ème SIC. Ce choix d’enseignement disciplinaire en langue cible offre d’après l’enseignante un environnement favorable à la pratique de l’oral ; certains élèves s’y montrent particulièrement déterminés à fournir les efforts nécessaires pour s’exprimer en chinois, en mobilisant « tous les moyens à leur disposition » (entretien_BL_58). BL. insiste

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par ailleurs auprès des élèves pour qu’ils s’expriment essentiellement en chinois pendant le cours, et juge cette approche très utile pour renforcer leurs compétences linguistiques (entretien_BL_60). Nous verrons dans quelle mesure cette approche monolingue est en partie remise en cause en toute sincérité par les apprenants, quand ils évoquent des pratiques proches du translanguaging (Garcia, 2009) en s’appuyant sur les connaissances en langue française de leur professeur.

En ce qui concerne spécifiquement les élèves de 6ème, BL. s’assure de consolider les connaissances de base acquises en primaire. L’année de 6ème est selon elle la « période la plus propice aux apprentissages » (entretien_BL_126), avant l’entrée dans l’adolescence et les nombreuses évolutions qu’elle implique dans les goûts et les intérêts des enfants. De manière à garantir leur réussite en SIC et leur épanouissement personnel, BL. juge donc qu’« en 6ème il est très important de bien les accompagner » (entretien_BL_130). Cet accompagnement a notamment pour objectif d’aider les élèves franco-français dans leur apprentissage de la civilisation chinoise. Les difficultés rencontrées par certains apprenants ne sont toutefois pas uniquement liées à des aspects culturels mais plutôt dans certains cas à un manque de vocabulaire (entretien_BL_104). Ces lacunes s’accompagnent parfois d’un manque de maîtrise de l’écrit, lié d’après BL. au fait que les élèves « écrivent vraiment trop peu en chinois » (entretien_BL_112). Notons par ailleurs que cette remarque peut s’appliquer à toute une génération de jeunes Chinois : suite au développement des nouvelles technologies, l’accès aux caractères est simplifié grâce à une saisie sur smartphones, tablettes ou ordinateurs, à partir du pinyin, le système de transcription de la prononciation des idéogrammes. Si cette approche facilite l’entrée dans l’écriture, elle rend plus fastidieux pour les élèves l’apprentissage manuscrit des idéogrammes.

2.3. L’ouverture culturelle comme principe pédagogique

Précisons que BL. présente elle-même un profil personnel biculturel : mariée à un Français, son enfant est actuellement scolarisé en classe de CM1 SIC au LFS. Nos échanges se sont déroulés en chinois, mais les connaissances de BL. en français nous offraient également la possibilité d’échanger en français.

Comme nous l’avons mentionné, BL. accorde une importance essentielle à l’enseignement de la culture chinoise, sans laquelle la maîtrise de la langue aurait un aspect très « sec » (entretien_BL_70), et finalement vide de sens. Connaître la culture de l’autre pour faciliter les échanges et favoriser la compréhension, ce principe guide l’action pédagogique de cette enseignante plurilingue.

Un autre domaine culturel fait par ailleurs l’objet de toute son attention : la nécessité de s’adapter à la culture éducative des élèves. Ainsi, BL. a observé que « les enfants européens ont besoin de porter de l’intérêt à ce qu’ils apprennent et ils aiment apprendre de manière intuitive » (entretien_BL_26). Il semble donc indispensable pour l’enseignante de veiller à varier les méthodes d’enseignement pour « les aider à mieux apprendre » (entretien_BL_30), notamment la géographie de la Chine. BL. veille ainsi à adapter ses pratiques pédagogiques à ce besoin ressenti par les élèves du LFS d’être actifs au sein de la classe, elle ne considère pas que ce soit un défaut et apprécie le fait que les élèves mobilisent toutes leurs connaissances en classe, et développent de nombreux centres d’intérêts. L’attitude des élèves est jugée positive, puisqu’ils donnent l’impression d’être véritablement acteurs de leur apprentissage ; cette attitude contraste en partie avec un aspect du système éducatif chinois, qui place davantage l’élève en situation de réception des savoirs dispensés par l’enseignant. L’attitude active des élèves du LFS « donne une atmosphère très vivante au cours » (entretien_BL_54), un point que l’enseignante juge positif pour leur avenir. De même, BL. apprécie de voir les élèves réfléchir et se poser beaucoup de questions ; elle estime que ce comportement contribue à leur apprentissage, même si cela implique parfois de dévier de l’objectif initial du cours.

Ayant auparavant enseigné l’art dans une école chinoise, BL. nous semble particulièrement sensible à la problématique de la culture éducative. Elle nous présente l’enseignement traditionnel chinois comme une transmission des savoirs au cours de laquelle « l’action principale de l’élève c’est de recevoir les connaissances », ainsi « l’enseignant apporte les connaissances et l’élève les reçoit » (entretien_BL_40). Cette posture de l’élève chinois contraste avec le profil d’un élève européen, qui souvent ressent le besoin de se sentir physiquement acteur de son apprentissage. Enfin, dans la réalisation d’un exercice, BL. observe que l’attention d’un enfant européen est parfois plus difficile à canaliser : quand on lui confie une tâche, « il va peut-être penser à dix choses en même temps » (entretien_BL_44) et le professeur se doit de canaliser les élèves pour les ramener à l’objectif d’apprentissage. D’une manière générale, un enfant chinois restera davantage concentré sur la tâche confiée.

Compte tenu de ces diverses observations, nous réalisons à quel point le rôle du professeur chinois de SIC en Chine prend une dimension particulière ; la mobilisation de ses connaissances tant didactiques que culturelles contribuent à faire de lui le véritable pilier de cet enseignement bilingue.

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