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Partie 2 Etude de cas : enseignement/apprentissage du chinois en SIC à Shanghai vu par les acteurs 47

3.   Des adolescents aux pratiques langagières plurilingues 68

Le contexte de vie de nos enquêtés nous laisse supposer qu’ils développent des répertoires langagiers emprunts de plurilinguisme. En effet, ils sont amenés à utiliser leurs langues dans diverses situations du quotidien : en famille, à l’école, ou dans le cadre d’activités extrascolaires. Observons à présent dans quelle mesure les pratiques plurilingues de ces jeunes correspondent à la définition proposée par Grosjean, selon laquelle « le bilinguisme est l’utilisation régulière de deux ou plusieurs langues ou dialectes dans la vie de tous les jours » (2015 : 16).

3.1. Le plurilinguisme au sein de la famille

Intéressons-nous tout d’abord aux enquêtés bi ou pluriculturels. Si le thème des pratiques plurilingues n’a pas fait l’objet d’une réflexion à part entière pendant les entretiens, les questionnaires quantitatifs préalablement remplis nous apportent quelques indications à ce sujet.

Ainsi, en précisant que sa scolarité en SIC est liée à l’apprentissage de la langue de son père, J. nous donne une indication quant au profil plurilingue de ses échanges familiaux, ses pratiques familiales étant l’occasion pour elle de réinvestir ses apprentissages. S. nous présente un profil langagier et un répertoire plurilingue particulièrement diversifiés, à l’image des pratiques plurilingues de ses parents. En famille, elle parle français avec son père, russe ou français avec sa mère ; il aurait été intéressant d’en apprendre davantage sur sa ou ses langues d’échanges avec grands-parents, oncles et tantes ou cousins et cousines. Du côté des garçons, chez Lu. et T., chacun des parents semble avoir pour habitude de parler sa langue avec les enfants, français pour le père, chinois pour la mère. T. est le seul à évoquer sa famille chinoise, en nous expliquant pendant l’entretien qu’il a également l’occasion de parler chinois avec ses grands-parents. La particularité pour T. consiste ensuite à utiliser ses deux langues avec son frère et sa sœur : il nous explique que sa sœur n’a intégré le LFS que cette année, après un début de scolarité dans une école dispensant un enseignement en chinois et en anglais. Plus à l’aise en chinois, il lui arrive parfois d’utiliser plus spontanément le chinois que le français avec T. (focus garçons_T_259). C’est également à travers sa relation avec sa petite sœur que le plurilinguisme s’installe dans la famille d’A. En effet, sa sœur est née à Shanghai, et

d’après lui « elle parle plus chinois que français » (focus garçons_A_257), ce qui conduit A. à préciser qu’il est « obligé d’lui parler en chinois sinon elle comprend pas » (focus garçons_A_254). Sinon, « à la maison c’est français » (focus garçons_A_269). Chez O. la langue dominante est le français, même s’il utilise un peu le danois avec son père. Enfin, les parents de Lo. sont eux aussi plurilingues, mais le néerlandais est la langue privilégiée pour les échanges en famille, y compris entre Lo. et sa sœur ; il est d’ailleurs intéressant de constater que finalement Lo. ne parle en famille aucune des langues de son parcours scolaire.

Les récits des adolescents mettent en évidence le panel des contacts de langues qui rythment leur vie personnelle, et qui contribuent selon nous à les rendre particulièrement à l’aise en passant d’une langue à l’autre dans le contexte scolaire. Passer d’une langue à une autre, quel que soit le contexte, représente pour eux une pratique langagière très naturelle et habituelle : ils correspondent ainsi tout particulièrement à la définition du bilinguisme de Grosjean (2015 : 16).

L’objectif de nos entretiens n’était pas d’interroger plus précisément les enquêtés sur leurs pratiques langagières, mais certains points méritent néanmoins toute notre attention. La petite sœur ou le petit frère utilisant plus spontanément le chinois que le français, même dans la famille franco-française d’A., nous semble constituer un aspect très révélateur de l’ouverture de la famille sur ce pays au sein duquel grandissent les enfants ; c’est également un indice significatif du degré de maîtrise par les enfants de la langue de leur environnement. Plus qu’une expérience d’expatriation, ce sont donc des liens très forts qui se tissent entre une famille et un pays dans lequel la famille s’agrandit parfois et s’épanouit souvent. Les enfants construisent leur identité au contact de différentes cultures qui partagent, selon nous, un certain nombre de caractéristiques communes : l’amour des enfants, l’attention portée aux plus jeunes, des valeurs familiales qui n’ont pas de frontières.

3.2. Le plurilinguisme à l’école, des infrastructures scolaires à la classe

Nous avons indiqué en présentant le LFS à quel point le quotidien de cet établissement d’enseignement français à l’étranger est rythmé par les échanges plurilingues. Des échanges en chinois tout d’abord, avec le personnel de l’école, à la cantine, dans le bus scolaire, dans les couloirs. Des contacts avec la langue allemande : les élèves français apprenant cette langue - une minorité, l’espagnol remporte un plus large succès - ont la possibilité d’entendre ou de parler l’allemand avec élèves ou professeurs de

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la DSS, au sein de l’école ou des infrastructures sportives. D’après nos observations, c’est toutefois le plus souvent l’anglais qui servira de langue commune pour les échanges entre les deux écoles. L’anglais est également pratiqué par les élèves pendant leurs cours d’anglais, le plus souvent animés par un locuteur natif.

Nos entretiens ont également révélé quelques pratiques plurilingues dans les cours de SIC, qui, malgré une orientation à priori majoritairement monolingue, laissent apparaître la mise en place d’approches didactiques plurilingues. Ainsi, les langues sont enseignées de manière distincte, mais on observe des incursions de l’une ou l’autre langue des élèves, comme nous l’ont confirmé GX. et HX. pendant notre entretien exploratoire. Il arrive que l’enseignant de chinois ait recours au français pour s’assurer de la bonne compréhension d’un mot, alors que l’enseignante en français s’appuiera parfois sur ses connaissances du chinois pour aider certains élèves dans l’acquisition de la numération ou du genre de noms en français ; leur approche didactique présente donc bien des caractéristiques plurilingues. De la même manière, BL. nous indique quant à elle insister pour que le chinois soit la langue exclusive du cours, mais il lui arrive de recourir à des pratiques plurilingues pour s’assurer de la bonne compréhension par les élèves de certaines notions. O. nous précise ainsi : « des fois aussi pour euh nous expliquer elle nous fait des polycopiés en français » (focus garçons_O_107). BL. autorise également les élèves à parler français pendant la préparation de certains exercices en groupes, ou pendant des périodes plus détendues de son cours ; si dans certains cas le recours au français peut faciliter l’entraide entre les élèves, il semblerait qu’il soit le plus souvent utilisé à des fins récréatives. Pour les enquêtés, le français demeure indéniablement la langue des échanges entre copains, ce qui relève d’après eux essentiellement de l’habitude. Ainsi Lu. précise que : « pour s’communiquer entre nous on utilise français » (focus garçons_Lu_212), « on a TOUJOURS utilisé.. on a l’habitude » (focus garçons_Lu_218). Ils reconnaissent que le recours spontané au français, pendant les cours de chinois notamment, « des fois c’est pour expliquer quelque fois c’est plus pour papoter » (focus garçons_A_238).

Qu’elles soient récréatives ou destinées à faciliter l’accès à la compréhension de leurs camarades de classe, les incursions du français pendant les enseignements de SIC illustrent les démarches plurilingues des élèves, et nous semblent donner tout son sens à un mode éducatif axé sur le plurilinguisme et l’interculturalité.

3.3. Le plurilinguisme dans le cadre des activités extra-scolaires

Nous pensons que la pratique des langues de son répertoire dans divers cadres d’activités, favorise et développe les compétences plurilingues et interculturelles de l’enfant. Tout contexte d’apprentissage présente un intérêt particulier, celui d’être confronté à une grande variété de contextes linguistiques et culturels. Il convient donc d’après nous d’encourager la multiplication des contacts de l’enfant avec chacune des langues de son répertoire.

Ainsi, s’inscrire en SIC en contexte chinois ne garantit pas nécessairement d’acquérir un niveau avancé de compétences en langue chinoise. Un possible cloisonnement au sein d’une communauté francophone très élargie à Shanghai peut constituer un frein à l’exposition au chinois, y compris dans le cadre de la pratique d’activités extra-scolaires. Au LFS, tout un service administratif est chargé de proposer une gamme très large d’activités aux élèves par niveaux, dans le domaine sportif ou culturel. La plupart des activités sont assurées par des animateurs francophones, certaines, une minorité, par des animateurs anglophones ou sinophones. Malgré leur coût, ces activités remportent un vif succès auprès de nombreuses familles.

Une manière efficace, selon nous, de réinvestir les connaissances acquises pendant les cours de SIC, consiste pour les apprenants à participer à des activités extra-scolaires en chinois, en-dehors du LFS. Cette question, abordée avec nos enquêtées mais omise avec les garçons, nous a permis de savoir que S. prend des cours de natation avec un entraîneur chinois et a suivi des cours de piano en chinois. J. pratique la musique et l’équitation en chinois, alors que Lo. suit ses activités extra-scolaires en anglais et en français. Ces activités musicales ou sportives constituent donc des occasions plus informelles d’apprendre ou de pratiquer les langues de leur répertoire plurilingue.

Ces enfants qui grandissent à Shanghai ont la possibilité de multiplier les opportunités de pratiquer le chinois en-dehors de l’école. Au cours de notre entretien exploratoire, GX. et HX. ont partagé avec nous leurs observations, et précisé que les élèves parlant souvent chinois en-dehors des cours avaient un bon niveau en SIC (entretien exploratoire_3_HX_53). Pour éviter qu’un décalage ne s’opère entre la compréhension et l’expression orales des apprenants, (entretien exploratoire_3_HX_55), et pour donner tout son sens à leur parcours, il nous semble primordial d’encourager les enfants à développer leurs contacts avec la langue et la culture de leur pays hôte.

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Chapitre 6. Adolescence et scolarité en SIC à Shanghai

Suite à notre présentation du profil personnel et familial des enquêtés, intéressons- nous plus précisément à leur expérience d’élèves de 6ème en SIC. Nous verrons dans un premier temps quels liens peuvent apparaître entre parcours scolaire et construction identitaire, à cette période délicate du début de l’adolescence, puis nous analyserons plus précisément les propos des enquêtés relatifs à leur cursus scolaire, en développant leur point de vue sur les cours de DNL proposés en SIC au LFS. Enfin, nous essaierons d’analyser l’éventuelle influence de leur parcours scolaire sur leurs projets d’avenir.