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Partie 2 Etude de cas : enseignement/apprentissage du chinois en SIC à Shanghai vu par les acteurs 47

1.   Aux origines de la création de la SIC au LFS 48

Dans le cadre d’une étape de recherche exploratoire, nous avons planifié cet entretien semi-directif avec un couple phare du LFS, un couple biculturel, couple dans la vie, mais aussi professionnellement dans l’établissement durant huit années scolaires. Précisons que l’équipe ayant participé à l’ouverture de la SIC au collège a quitté Shanghai, signe du turnover qui rythme les rentrées scolaires du LFS.

Un retour sur nos échanges, transcrits à l’Annexe 2 (p.91), va nous permettre de mieux comprendre le contexte de la création de la SIC au LFS en primaire, et attirer notre attention sur les éventuelles difficultés rencontrées par l’équipe pédagogique.

1.1. Un couple d’enseignants plurilingues et biculturels passionnés

Débutons par quelques éléments de présentation. GX., française, et HX., d’origine chinoise, se sont connus en France, ont fondé leur famille en Bretagne, puis ils ont choisi de s’installer à Shanghai dès 2004. Cette année-là, GX. obtient un poste au LFS en tant qu’enseignante à l’école primaire, HX. enseigne quant à lui en université. Tous deux plurilingues (GX. parle non seulement le chinois mais aussi le breton, l’allemand, l’anglais, l’espagnol ou encore l’arabe), il leur tient à cœur de proposer à un large public les principes d’une éducation plurilingue et interculturelle sur lesquels a reposé l’éducation de leurs propres enfants. Leur passion pour les voyages, l’histoire et la culture des pays qu’ils ont la chance de découvrir pendant leurs vacances, témoigne du principe d’ouverture à l’autre guidant leur action pédagogique. Lorsque HX. intègre le LFS en 2008 en tant que professeur de chinois en primaire, c’est l’occasion pour eux d’unir leurs compétences au service des élèves, et d’œuvrer à la création d’une section susceptible de représenter un bon compromis entre leurs deux cultures.

L’expérience de l’enseignement bilingue de ces deux enseignants n’a toutefois pas débuté avec l’ouverture de la SIC au LFS : en effet, au cours de sa carrière en France, GX. a enseigné en Bretagne en section bilingue breton. Forte de ces expériences variées, elle a notamment eu l’occasion d’observer que l’apprentissage des élèves en sections bilingues se

construit davantage dans le temps, et que « toute sections confondues (…) les compétences attendues en fin de cycle sont toujours décalées parce que comme ils en font plusieurs et bah en fait on a du mal à s’attendre à avoir.. que ce soit bien su par tout l’monde » (entretien exploratoire_2_GX_4825).

Ses connaissances de la langue chinoise permettent par ailleurs à GX. de préciser que « pour les enfants qui sont ici ils ont quatre langues pas trois parce que en fait le chinois y a la langue orale et la langue écrite ça en fait ça en vaut deux » (entretien exploratoire_3_GX_131), confirmant ainsi le caractère spécifique de l’enseignement du chinois.

1.2. Des rôles-clefs dans le développement de la SIC au primaire

La coopération pédagogique de GX. et HX. va rapidement s’intensifier dans le cadre du projet de création de la SIC. La richesse de leurs répertoires plurilingues constitue un réel atout : GX. nous explique que son niveau de maîtrise en langue chinoise correspond à l’époque au niveau recherché pour des élèves de SIC en CE2, elle a donc eu l’occasion de « tester » la difficulté linguistique des approches proposées ainsi que la compréhension des consignes des exercices de mathématiques en chinois (entretien exploratoire_1_GX_26). En 2008, l’ouverture de la SIC au LFS débute en primaire par les classes de CE2 et CM1, et parallèlement les classes de 6ème et de seconde. L’ouverture de la section à chaque niveau se fait progressivement au fil des années, pour aboutir aujourd’hui à une section proposée de la moyenne section de maternelle à la terminale. Après avoir œuvré à l’ouverture de la SIC en CE2 et CM1, GX. a pu retrouver le niveau de CM2 avec lequel elle souhaitait poursuivre sa carrière. HX. a quant à lui occupé le poste de coordinateur de chinois en primaire jusqu’à la rentrée 2016-2017, qui l’a vu intégrer le collège.

Afin de garantir aux élèves en SIC une exposition régulière à la langue chinoise, GX. et HX. ont, à l’époque de la création de la section, insisté auprès de la Direction de l’établissement pour que les élèves bénéficient d’une heure d’enseignement de SIC par jour : « à l’époque c’est trois heures de langues deux heures de maths » par semaine (entretien exploratoire_1_HX_138). Au cours des années, et au gré des changements de Direction, les modalités de fonctionnement de la SIC ont sensiblement évolué, et HX. regrette qu’actuellement, en primaire, les cinq heures hebdomadaires soient réduites à

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quatre, réparties en deux heures de langue, une heure d’arts et une heure de mathématiques.

Ensuite, le choix des mathématiques comme DNL, plutôt que l’histoire-géographie, se justifie d’après GX. par la « surcharge cognitive » que cet enseignement représenterait en langue chinoise, notamment à l’écrit (entretien exploratoire_1_GX_28). Elle cite l’exemple d’un cours d’histoire sur la seconde guerre mondiale, qui nécessiterait l’apprentissage de noms propres et d’idéogrammes spécifiquement liés à ce contexte, et peu fréquemment utilisés dans d’autres circonstances.

L’action et l’implication de GX. et HX. ont été déterminantes dans la mise en place de l’enseignement des mathématiques en chinois au LFS, et se sont concrétisées par l’élaboration de manuels complets, pour chacun des niveaux du primaire. HX nous explique avoir consulté de nombreux manuels scolaires français, de manière à concevoir des programmes en chinois conformes aux enseignements prévus par l’Education nationale française. L’objectif de ces manuels était d’assurer une certaine harmonisation de l’approche de cet enseignement, d’assurer une continuité malgré un turnover significatif au sein de l’équipe pédagogique, et principalement parmi les enseignants locuteurs natifs de chinois. Nous reviendrons sur les difficultés rencontrées par GX. et HX. pour convaincre leurs collègues d’adopter leurs méthodes, difficultés en grande partie liées à la confrontation de cultures éducatives différentes, et de méconnaissance de la culture éducative de l’autre.

Du point de vue des cours de chinois en primaire, l’enseignant de chinois en SIC au LFS assure un éventail d’enseignements assez large : langue et civilisation, mathématiques, arts et depuis peu musique. Au collège, où HX. enseigne depuis la rentrée scolaire 2016-2017, il est en charge en SIC du cours de langue et littérature chinoises. Le cours d’arts et les cours de mathématiques en chinois sont assurés par d’autres professeurs, locuteurs natifs et spécialisés dans ces enseignements. Les professeurs de mathématiques en chinois que nous avons eu l’occasion de rencontrer en tant que parent d’élève ne sont pas francophones, un avantage certain selon nous pour les apprenants, et favorable à leur apprentissage de la langue.

Enfin, nous observons que les propos de GX. et HX. traduisent une réelle passion pour leur métier d’enseignants ; cette passion guide leur action avec pour seul objectif la réussite de chacun de leurs élèves. Pour atteindre cet objectif, l’expérience leur a permis de

réaliser à quel point la mise en place de projets interculturels permettait la valorisation de la culture de chacun, et participait à l’épanouissement personnel des élèves.

1.3. La mise en place de projets interculturels

GX. et HX. reviennent, non sans une certaine nostalgie, sur les premières années de la création de la SIC au LFS, pendant lesquelles les élèves de la section étaient regroupés au sein d’une même classe, parfois complétée par des élèves de section générale. Une telle répartition des sections facilitait la mise en place de projets interculturels, et la présence d’élèves en section générale permettait aussi de s’appuyer sur les connaissances des élèves du groupe le plus fort en CLE26. A titre d’exemple de projet interculturel initié par GX., citons la réalisation d’un film en 2012 sur le thème de l’année du dragon, avec sa classe de CM2 associée à une classe SIC de CE2. Ce projet a donné lieu à l’organisation d’une classe verte entraînant les élèves à la découverte de véritables studios de cinéma chinois, en passant par la visite d’une ville d’eau traditionnelle aux alentours de Shanghai. Ce projet, plurilingue, mettait en scène les histoires écrites par les élèves, mêlant faits historiques et astrologie chinoise.

Si la mixité des filières, mise en place à la rentrée 2015, a d’abord semblé susceptible de freiner l’organisation de tels projets interculturels, GX. n’a pas manqué d’inspiration, et lancé au cours de l’année le projet formidable d’un spectacle théâtral, réunissant les trois classes de CM2 ; un projet trilingue mettant en valeur la culture de chacune des sections linguistiques, les cultures française, chinoise et anglo-saxonne. Ce projet, élaboré grâce à l’action commune d’une équipe éducative de choc, enseignants français, chinois et anglophones, avait pour thème une adaptation du célèbre « Voyage vers l’ouest27 » du roi singe ; ce fut une parfaite illustration de la mixité culturelle et du vaste répertoire langagier des élèves.

A travers leurs témoignages, GX. et HX. nous font également part de leur objectif de mettre la culture chinoise à l’honneur dans leurs cours. Ils veillent notamment à prendre en compte les problématiques identitaires de certains enfants d’origine chinoise, qui peinent parfois à trouver leur place au sein du LFS : entre l’impression d’avoir été inscrits dans cet établissement à cause d’un niveau insuffisant en école chinoise, et le sentiment d’une culture chinoise dévalorisée au vu de réflexions parfois péjoratives de la part

26 Chinois Langue Etrangère 27 西游记

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d’enfants européens (entretien exploratoire_1_GX_49). Ainsi, GX. et HX. adaptent l’organisation de leurs cours, avec le souci d’intégrer l’apprentissage de la culture et de la civilisation chinoises dans le parcours des enfants. Dans le respect des programmes français, les cours de civilisation chinoise ou d’arts sont par ailleurs l’occasion d’organiser des sorties scolaires, dans des musées ou des quartiers traditionnels de Shanghai. GX. et HX. s’appuient sur la richesse du parcours personnel des élèves, et ont « décidé de tabler sur le vécu pour faire toujours un va-et-vient entre la culture française et chinoise » (entretien exploratoire_2_GX_89).

GX. attire enfin notre attention sur l’importance des enseignements liés à la francophonie, tant pour des enfants d’origine chinoise que des enfants franco-français nés à l’étranger et n’ayant jamais vécu en France (entretien exploratoire_4_GX_61).