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2. Le contexte

2.3 Les rencontres avec les principaux acteurs

2.3.2 Rencontre avec un directeur d’établissement

En mars 2018, une rencontre a été organisée avec Monsieur Georges Vial, directeur d’établissement, pour discuter avec lui du mentorat dans la formation professionnelle. Monsieur Vial est directeur de l’Ecole des Métiers de Fribourg, établissement dans lequel j’enseigne actuellement aux apprentis informaticiennes et informaticiens et dans lequel j’occupe la fonction de mentor pour plusieurs enseignants en formation à l’IFFP.

L’objectif de cet entretien est de questionner Monsieur Vial sur le rôle du mentor au sein des centres de formation mais également de comprendre les contraintes et les enjeux que ce rôle engendre pour une direction d’école.

Nous plaçons tout d’abord le décor en discutant de la position de l’Ecole des Métiers de Fribourg par rapport à la fonction de mentor. Monsieur Vial indique dans un premier temps que le sujet est justement en discussion actuellement entre les directeurs d’établissements :

Selon les discussions récentes entre les directeurs d’établissements, l’accompagnement des nouveaux enseignants a été jugé important mais pas prioritaire. Il y a actuellement un besoin à ce sujet tant financier qu’en ressources humaines […]

Force est de constater que lorsque l’on aborde la partie de l’accompagnement et du mentorat entre les directeurs d’établissements ou entre les différentes régions de Suisse, nous n’avons pas une unité de vue. Le point de la rémunération des mentors (par la Confédération ou par les cantons) est également au centre des débats. Il est donc difficile de chercher à instaurer un plan à ce sujet au niveau national.

Le rôle exact attendu par un accompagnement de mentorat n’est donc pas totalement clair au niveau du pays. Le rôle du mentor et les attentes de l’établissement sont également abordés. Monsieur Vial place d’abord l’importance de trouver la posture adéquate dans cette fonction :

Le mentorat tel qu’il est conçu actuellement est surtout un mentorat qui permet de prendre l’habit du professeur, mais pas tellement qui confronte sur les connaissances et compétences professionnelles. C’est plutôt positif. Si le mentorat devient un mentorat critique sur les compétences et connaissances professionnelles, il ne sera pas tellement bien accepté par le nouvel enseignant.

En revenant sur le délicat mélange entre les critiques et l’absence totale de conseils, Monsieur Vial met le doigt sur un élément largement développé dans la littérature à propos des attentes et des tâches attendues d’un mentor. Lhôtellier (2007, p. 99) parle de risque d’anesthésie sociale en guidant de manière trop directive un mentoré, alors que Vial et Caparros-Menacci (2007) mettent en garde contre cette « chasse déclarée à tout risque d’influence du mentor sur le mentoré » (p. 247). La vérité se trouve donc manifestement dans un juste milieu entre ces deux excès. Il doit être possible de donner un avis, un conseil sans pour autant tomber dans un mentorat critique.

La particularité des enseignants professionnels est de jouir d’une très solide expérience du monde professionnel avant de débuter l’enseignement. Ce point relativement singulier par rapport à l’enseignement obligatoire est mis en lumière dans la discussion avec Monsieur Vial :

Le point délicat du mentor est d’accompagner une personne qui arrive dans l’enseignement avec une expérience et un bagage énorme, sans remettre en cause ceci, mais tout en l’ouvrant vers une certaine réflexion sur sa manière de faire devant la classe. Il existe parfois des gens brillants dans leur domaine mais qui peinent à maitriser ces aspects. […]

Le mentor doit faire en sorte que le nouvel enseignant garde l’enthousiasme qui a fait qu’il s’est lancé dans l’enseignement tout en le guidant vers une réflexion plus profonde, l’encourager à une curiosité vers la pédagogie en l’accompagnant.

La mise en route d’un accompagnement est toujours un point crucial. Lamaruelle (2016, p. 28) revient sur l’importance que cette mise en route ne soit pas à la seule initiative de l’accompagné, tant il est difficile de venir dire à quelqu’un que l’on a besoin d’aide, d’un regard ou d’un appui. Il y a fort à parier qu’avec un public relativement plus âgé et ayant déjà une grande expérience (parfois même de manager ou de chef de projet), le fait de franchir ce pas soit encore plus délicat.

L’historique de la formation des enseignants dans la formation professionnelle est là aussi à relever. Pour le canton de Fribourg, c’est uniquement depuis 1985 qu’une formation pour les maîtres d’apprentissage est organisée (Bays, Cottet, Philipona, Steinauer, 2016, p. 111). Le fait de se lancer dans une formation pédagogique pour les enseignants de ce milieu n’est ainsi peut-être pas encore tout à fait « dans les mœurs ».

Quant à la question de savoir à quel moment ce mentorat devrait débuter et les raisons pour lesquelles il ne débute pas dès l’arrivée dans l’établissement la première année, la position de Monsieur Vial est la suivante :

La raison pour laquelle l’IFFP et ainsi le lien de mentorat ne débutent pas immédiatement est avant tout administrative. L’Etat ne va pas investir avant la fin du temps d’essai […]

Débuter le mentorat dès l’arrivée à l’école, aurait vraiment un intérêt, c’est évident. Mais il faut prendre en compte certaines limites. Cela ne doit pas être senti comme une charge supplémentaire pour le nouvel enseignant. La posture du mentor est ainsi importante, il ne faut pas être trop critique sur le novice pour l’accompagner mais ne pas le

démotiver. Cela nécessite un certain tact, de la confiance, de la confidentialité. Sinon le risque serait de désécuriser le nouvel enseignant qui pourrait être tenté de cacher certains problèmes ce qui rendrait le processus contre-productif.

Nous nous retrouvons ainsi à nouveau dans un dilemme entre le fait de rendre un accompagnement comme une aide et de charger l’agenda des enseignants novices déjà sous pression. Lamaruelle (2016) indique pourtant en citant R.V. Bullough : « Le soutien offert à l’enseignant durant ses premières années d’exercice de la profession joue un rôle crucial dans sa capacité à construire son efficacité professionnelle. » (p. 26). Il tient donc aux mentors de faire en sorte que cet accompagnement soit un réel soutien et non pas une désécurisation ou une charge supplémentaire pour le nouvel enseignant.

Lorsque le profil attendu pour être un mentor dans l’établissement est avancé, Monsieur Vial met en évidence les particularités suivantes :

Le mentorat est parfois un peu pris par les nouveaux enseignants comme une tâche obligatoire à réaliser. En fin de première année, il faut mettre un nom sur son inscription à l’IFFP. Cela n’est pas toujours très profitable, parfois on trouve un mentor avec qui ça se passe bien, parfois moins. Le fait de professionnaliser ce rôle de mentor avec quelqu’un qui aime ça et qui le fait bien est une bonne chose. […]

Il est indispensable que le mentor soit quelqu’un ayant un certain tact, de la confiance, respectant la confidentialité, avec qui on peut aborder toutes les questions, mêmes les plus embarrassantes. Il faut que le mentor soit volontaire (en aucun cas un mentor forcé) qui soit également un modèle pour le mentoré et qui ait un « pas d’avance » par rapport aux autres enseignants. […]

Ça sous-entend également que le lien est presque obligatoirement de pair-à-pair et sans contrainte hiérarchique.

Nous y retrouvons ainsi de nombreux points déjà mis en avant tant dans la littérature que dans les brochures et documents fournis par l’IFFP sur l’importance de la relation entre pairs.

Synthèse :

Dans la discussion, nous retrouvons souvent les mêmes considérations que lors de la rencontre avec Monsieur Nydegger. A nouveau l’importance de l’accompagnement dans le cadre de la formation des nouveaux enseignants est mise en lumière. En plaçant le profil du mentor en lien avec les catégories d’accompagnement proposées par Maela Paul (voir chapitre 2.1.1), on constate être à nouveau principalement dans le rôle du compagnonnage comme rôle attendu. Comme pour les éléments abordés avec Monsieur Nydegger, nous y reviendrons plus en détails dans la synthèse finale de ce mémoire en les confrontant aux résultats des questionnaires et de l’autoconfrontation croisée réalisée avec les mentors.

La triangulation IFFP – école – mentor est également présente dans ce discours. On constate que nombre de questionnements au centre de cette recherche trouvent des réponses dans une réalité politique et financière. C’est par exemple la raison principale pour laquelle un accompagnement ne débute pas plus tôt même si ceci pourrait être intéressant. Les enjeux politiques et économiques (Hofstetter & Lussi Borer, 2010), prendraient ainsi ici le dessus sur les autres champs (professionnel et scientifique).

Ceci dit, Monsieur Vial met également en lumière une réalité sur la façon dont sont perçus la formation pédagogique et ces liens de mentorat (« cela ne doit pas être une charge supplémentaire », « c’est parfois vu comme une tâche obligatoire à réaliser »). Si ces aspects de la motivation des enseignants novices face à ce processus d’accompagnement n’ont pas encore été discutés dans ce travail de mémoire jusqu’ici, il sera intéressant (par le biais des formulaires qui leur seront envoyés) d’en juger l’influence.

Comme nous pouvions l’imaginer, le rôle des mentors n’est pas toujours totalement clair. La question de la professionnalisation (rétribuée, avec une reconnaissance sociale), du profil et des attentes sont sujettes à

diverses interprétations. L’école étant en évolution constante, les rôles d’accompagnements devront être redéfinis, clarifiés. Charlier et Donnay (2008) indiquent dans ce sens : « Pour exister comme professionnels, les accompagnateurs, conseillers pédagogiques, superviseurs de stages, formateur de terrain doivent définir leur spécificité et par là, leur identité. Sous l’effet des réformes successives de l’enseignement et des changements qui affectent actuellement l’école, d’autres professions sont aussi amenées à se redéfinir comme celle de directeur. » (p. 27).

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