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Suite à ces différentes approches théoriques, rencontres et recherches, il est maintenant temps de prendre du recul et de tirer les différents liens ou conclusions. Ceci se fera sur plusieurs angles.

4.1 La place de la norme

Dans le chapitre « 2.2.2 La triade enseignant – mentor – accompagnateur », nous avons présenté les différents modèles d’accompagnement proposés par Gremion (2017).

La question de la place de la norme (entre l’enseignant en formation, le mentor et l’accompagnant IFFP) était alors posée. Si le modèle coopératif reste le modèle souhaité (Gremion 2017, p. 108), quelques indices tirés du verbatim de l’autoconfrontation croisée interpellent sur la place de cette norme.

Position 83 du verbatim – Luc parle de conseils qu’il donne à son mentoré :

Luc : […] Je lui propose « raccourcis un peu si tu veux parce que je sais que quand les accompagnateurs de l’IFFP viennent ils sont assez à dire attention aux dépassements de temps ». Surtout quand on sait que lui il a 6 périodes d’affilée. […]

Position 85 du verbatim – Luc revient sur la fin de séquence de son mentoré :

Luc : […] Là il faut qu’il cherche des moyens pédagogiques différents que simplement donner le résultat ou que lui il le donne simplement. Et c’est déjà arrivé quelque fois que lui il mette au beamer le résultat de l’exercice. Et ça je trouve que pédagogiquement ça n’est pas très intéressant.

Clément : Surtout en prévision d’une leçon test…

Luc : Ouai ouai par exemple… et cetera.

Position 99 du verbatim – Je demande à Clément comment aider le mentoré à prendre conscience d’éventuels problèmes :

Olivier : Si on compare les deux vidéos les objectifs sont toujours des objectifs qui viennent des mentorés eux-mêmes. Que se passe-t-il si vous vous dites « il faut que cet objectif sorte » mais que la personne ne le relève pas comme un problème ? Est-ce que vous lui indiquez que c’est un problème et que la prochaine fois il faudra travailler là-dessus ou vous cherchez à user de « stratagèmes » pour qu’il soit conscient du problème ?

Clément : [Sourire] il y a toujours la formule magique, c’est « je comprends que ça ne te parle pas du tout mais si tu ne fais pas ça à la leçon test ça va t’être reproché » [grand rire]

Olivier : Ok, être « IFFP-compatible » ? Clément : Oui… c’est marrant ce terme !

Dans ce dernier extrait, je prends spontanément la décision de reformuler la remarque de Clément (de manière volontairement provocatrice avec une sur-énonciation) en lui demandant s’il s’agit de rendre la leçon « IFFP-compatible » (terme que j’ai entendu de la part de certains mentorés par le passé). Clément réagit sur le terme qu’il trouve marrant mais pas vraiment sur le fond. Y aurait-il donc une représentation différente de ce qui se fait sur le terrain que ce qui est demandé par l’IFFP ? Le tiraillement entre le champ scientifique (représenté ici par l’IFFP) et « la réalité du terrain » est ici palpable.

Pleins d’humour et de bienveillance envers leurs mentorés, ces extraits de Luc et Clément mettent néanmoins en question la position de l’IFFP (représentés par les accompagnateurs) dans cette triade. Les

mentors semblent être « du côté des enseignants novices » en les accompagnant à préparer une leçon acceptée par l’IFFP. Le spectre du test final serait ainsi parfois utilisé afin d’inciter les novices à se lancer dans le changement ou à adapter leur façon de faire. Faut-il y voir une difficulté pour les mentors de passer momentanément au rôle d’évaluateur (passer à « l’acteur critique » pour reprendre les propos de Maubant et Gremion, 2017, p. 4), pour signifier à leur mentoré qu’il fait fausse route ? N’y a-t-il pas là un risque de se préparer à la leçon test ou aux attentes de l’accompagnateur IFFP plutôt qu’à travailler sur le développement et le parcours du mentoré ?

Dans cette optique, pour reprendre les propos de Gremion (2017, p 108) nous serions plus proches d’un modèle supervisé (voire institué) que collaboratif. La norme qui définit ce qui est une « bonne leçon », ce qu’il faut ou non faire étant laissée à l’IFFP (ou à l’accompagnateur) de la part des mentors.

En poussant à l’extrême le modèle supervisé, n’y a-t-il pas un risque comme avancé par Gremion (2017) de « Jouer un théâtre lors de la visite de l’accompagnateur pour répondre à l’attente » (p. 103). D’autres biais ne risquent-ils pas également d’apparaitre, comme tomber dans le célèbre triangle dramatique de Karpman (Chernet, 2009, p. 121) avec le mentor jouant le rôle de sauveur pour l’enseignant en formation victime de ce que lui demande l’accompagnant IFFP persécuteur ?

La question de la place donnée à la norme est ainsi manifestement centrale. Le fait que le moment des conseils soit si important (aussi bien en durée de discussion qu’en richesse des échanges) lors de l’autoconfrontation croisée des mentors appuie encore cette importance. Mais ceci soulève également un nombre important de questionnements : quelle est la norme à apprendre aux enseignants novices ? Qu’est-ce qu’une bonne leçon ? Qu’est-Qu’est-ce qu’un « bon enseignant » ? Vers quelle norme est-il demandé aux mentors d’accompagner les novices ? A la vue des documents d’accompagnement proposés par l’IFFP sur les rôles du mentor (Chapitre 2.2.1 Le rôle que l’IFFP donne aux mentors) ces informations ne sont pas clairement explicitées. Le mentor peut alors être tenté de montrer sa propre façon de fonctionner mais celle-ci est-elle vraiment celle attendue et demandée par l’IFFP ? Ces questions expliquent peut-être les décalages constatées et relevées dans ce chapitre.

4.2 Les attentes envers les mentors

Ce travail de recherche a mis en lumière des rôles pas toujours alignés sur ce qui est attendu de la part d’un mentor au sein des établissements de formation professionnelle.

Si les responsables de la formation professionnelle (voir chapitre 2.3) donnent au mentor un rôle important et reconnu dans leurs établissements, les attentes placées en eux ne sont pas toujours clairement identifiées et vont aussi bien d’un simple compagnonnage ou de parrainage à un rôle d’aide au doyen ou à la direction de l’école dans la tâche d’accueil des nouveaux enseignants. La différence entre le compagnonnage et l’accompagnement est néanmoins à relever ici. A ce sujet Paul (2007) indique : « entre compagnon et accompagnement, il y a un « détail » qui a toute son importance : ce petit ac qui fait toute la différence montre que le compagnon est celui qui accompagne le novice, l’apprenti, durant les phases de son apprentissage jusqu’à ce que celui-ci, s’il répond aux épreuves de qualification, aux rites de passage, devienne à son tour un compagnon. » (p. 257). On parle donc bien de quelqu’un d’expérience (comme l’indiquent les responsables de la formation professionnelle rencontrés) mais cela ne semble plus être suffisant lorsque l’on passe de compagnon à accompagnant.

Le fait que les enseignants novices soient généralement accompagnés par des collègues et non pas par des mentors formés avant leur entrée à l’IFFP (pour autant qu’ils soient accompagnés, ce qui n’est que rarement le cas comme les résultats des questionnaires le confirment) attise encore l’hypothèse que les attentes entre un collègue expérimenté et un mentor ne sont pas toujours claires dans les établissements de

formation. Il semble que ce soit finalement l’IFFP qui « impose » le fait d’avoir un mentor reconnu et formé. Cette situation est d’ailleurs parfois décrite comme une charge pour les directions d’écoles. Dès lors, sans une délimitation claire du rôle du mentor pour tous les participants à ce jeu mentoral, il n’est pas surprenant que certains biais apparaissent. Un des principaux biais ne résiderait-il pas dans le profil des mentors ? Pour les enseignants sortant d’un accompagnement mentoral qu’ils ont jugé insatisfaisant (inutile ou faible) dans les retours à notre questionnaire (ce qui représente tout de même prêt d’un sondé sur quatre ! voir chapitre 3.1.7), quelle était la place de leur direction dans cette attribution de mentor ? Ont-ils réellement pu choisir leur mentor et celui-ci assume-t-il cette fonction de son propre choix ? Si oui, avec quels objectifs (financiers ? reconnaissances de la direction de son établissement pour le service rendu ? respect d’un tournus entre les différents enseignants ?).

En se penchant sur les attentes formulées par les enseignants débutant leur formation, nous retrouvons bien les profils divers attendus envers les mentors. Gremion et Maubant (2007, p. 4) mettent néanmoins en évidence la difficulté d’être à la fois un acteur bienveillant, en retrait, critique et en recherche. Une grande difficulté résidera pour le mentor à être critique tout en restant bienveillant. Ce tiraillement se ressent également de manière très marquée lorsque la question de l‘évaluation est posée. Les mentorés souhaitent que le mentor évalue ses progrès (ou les valide ?) sans pour autant qu’il prenne la casquette du superviseur.

Quant aux mentors, au milieu de tout ça, comme on le voit au chapitre 3.2.4, ils prennent beaucoup de précautions à éviter le jugement, à rester dans l’accompagnement. Face à des enseignants novices qui souhaitent principalement du counselling et de la supervision (voir chapitre 2.1.1) un décalage peut se poser. Ceci explique peut-être une partie des déceptions en fin de formation (pour les enseignants qui s’attendaient à plus de « solutionnisme »).

4.3 La professionnalisation des mentors

La question de la professionnalisation des mentors se pose. Lorsque l’on parle de professionnalisation, on parle également indirectement d’une reconnaissance publique et sociale ainsi que matérielle (rémunération) (Périsset, 2015). Dans le cas des mentors qu’en est-il ? Peut-on vraiment parler de professionnalisation alors que cette tâche est jugée importante par les directions d’écoles mais peut dans un même temps être assumée presque indifféremment par n’importe quel autre enseignant ayant de l’expérience ? La différence fondamentale entre un praticien expérimenté et un expert est-elle réellement prise en compte ?

Selon Paul (2007) : « on ne devient pas compagnon parce qu’on a l’âge de maturité et que l’on est un bon menuisier mais parce qu’on a soi-même franchi toutes les étapes. Ainsi, accompagner suppose-t-il une assise dans une expérience propre. » (p. 257). La notion « d’étapes franchies » tient ici certainement une importance majeure dans cette « mutation » de rôle allant du compagnon à l’accompagnant. Mais est-ce néanmoins la seule condition ? Suffit-il d’être un professionnel aguerri pour être à même d’accompagner ? Les coûts de formation pour les mentors sont également rapidement soulignés lorsque les acteurs principaux sont interrogés (voir chapitre 2.3). Ce flou et ce manque de reconnaissance de la fonction de mentor nuisent manifestement à sa professionnalisation.

Lhôtellier (2001) met en garde en ce sens où « l’accompagnement ne peut pas être une petite chose au rabais » et qu’il s’agit là « sans doute de l’émergence d’une nouvelle culture » (p. 199). Il y a donc fort à parier que ces dispositifs évolueront dans le futur.

4.4 Vers un changement de dispositif ?

La question initiale de ce document portait sur la pertinence ou non de ne pas débuter l’accompagnement des enseignants professionnels novices par du mentorat dès leur arrivée dans le monde de l’enseignement, mais uniquement lors de leur entrée à l’IFFP.

Les recherches et pistes explorées dans ce document mettent en lumière les enjeux importants de l’accompagnement, reconnus par tous (aussi bien les établissements de formation professionnelle que les enseignants novices et qu’évidemment l’IFFP) mais également des obstacles sur l’idéal qui consisterait à imaginer un mentorat organisé dès l’arrivée dans le monde de l’enseignement pour les nouveaux enseignants. Ces obstacles sont d’ordre organisationnels (qui paye ? que se passe-t-il si l’enseignant encore en temps d’essai quitte finalement son emploi ?) mais également idéologiques (qui est à même d’accueillir les nouveaux enseignants ? un enseignant expérimenté est-il de facto une personne pouvant assumer cette tâche ?).

De même, si de manière générale, selon notre sondage (voir chapitre 3.1.7), le fait qu’un accompagnement plus rapide serait souhaité par la majorité des enseignants aussi bien en début (86%) qu’en fin de formation (77%), qu’en est-il des quelques 25% des enseignants fraichement formés qui n’ont pas jugé le mentorat utile durant leur parcours à l’IFFP. En aurait-il été différent si celui-ci avait débuté plus rapidement dans leur parcours ? Ou au contraire ceci aurait-il eu un effet encore plus déstabilisateur ? Si ce travail de recherche ne permet pas de comprendre plus en détail les raisons qui ont fait qu’un quart des enseignants terminant leur formation n’ont pas bien vécu le suivi mentoral, il est néanmoins possible que le profil des mentors concernés soit à mettre en cause. Quelques indices dans les commentaires laissés dans les réponses aux questionnaires pour les enseignants insatisfaits vont en effet dans ce sens :

Remarques faites par les enseignants insatisfaits de leur accompagnement de mentorat sur les retours de questionnaires :

J'aurais apprécié de ne pas le relancer régulièrement, il est déjà surchargé. Je souhaiterais un parrainage par les collègues pour les questions usuelles des pratiques courantes ou pour les tâches journalières propres à l'établissement, dès le début de l'enseignement, puis un mentor disponible pour la formation proprement pédagogique.

Mon mentor n'avait pas suivi la formation IFFP pour mentor ce qui explique sa pratique inutile. Une aide professionnelle aurait été bienvenue.

Pas toujours évidant de trouver de la disponibilité pour se rencontrer.

Ce n'est pas toujours quelqu'un qui m'a aidé.

Dangereux un mentor.

Titre, façade.

Ainsi, l’importance d’avoir un mentor disponible et ayant suivi une formation est relevée. L’IFFP qui propose ce dispositif d’accompagnement et qui organise cette formation des mentors va ainsi manifestement dans une bonne direction.

Le fait de professionnaliser cette fonction semble dès lors inévitable. Les mentors doivent être formés, reconnus (aussi bien publiquement que socialement) et leur fonction doit également être comprise par tous les acteurs du jeu de la formation professionnelle. Il ne s’agit pas là de collègues expérimentés d’accord de donner un « service » aux novices en prenant du temps bénévolement, à tour de rôle avec ses collègues ou sur le temps dédié à la vie de l’école, mais bien d’une fonction importante dans le développement des nouveaux enseignants. Faute de quoi, le fait de débuter plus tôt ou plus tard cet accompagnement ne changera pas le problème.

Une fois ce premier « chantier » qu’est la professionnalisation du mentorat reconnu, il y a fort à parier que le fait de débuter cet accompagnement des novices dès leur arrivée dans le monde de la formation

s’imposera comme une évidence et sera un réel plus pour les enseignants en formation. En effet, l’importance de débuter rapidement un accompagnement pour les novices semble être reconnu de manière unanime aussi bien par la littérature (chapitre 2.1.3) que par les enseignants novices eux-mêmes (ce qui ressort du retour des questionnaires, chapitre 3.1.7).

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