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2. Le contexte

2.2 Le mentor selon l’IFFP

L’IFFP est mandaté par la Confédération pour gérer entre autre la formation pédagogique des nouveaux enseignants professionnels, mais également la formation de tous les acteurs du monde de la formation professionnelle. C’est ainsi au sein de cet institut que tous ces acteurs se forment (enseignants, directeurs d’établissement, mentors, experts). C’est donc logiquement que nous nous sommes intéressés à avoir leur point de vue sur le rôle du mentor.

Mais arrêtons-nous tout d’abord sur le profil particulier des enseignants professionnels. Souvent (au contraire des enseignants novices en primaire ou secondaire I) ces enseignants sont des professionnels aguerris et expérimentés qui, après parfois de nombreuses années, effectuent un changement marquant dans le carrière en entrant dans le monde de la formation. Ils jouissent déjà d’une solide expérience du monde professionnel où ils ont assumé des responsabilités importantes. Ainsi, leur moyenne d’âge va d’une vingtaine d’années à parfois plus de cinquante ans. Cette particularité influence grandement la façon dont la formation pédagogique est abordée et vécue en comparaison avec les enseignants étudiant en HEP.

Dans un deuxième temps, il est important de situer les différents rôles présents dans l’accompagnement des enseignants professionnels novices. Durant leur formation à l’IFFP, plusieurs personnes accompagnent les nouveaux enseignants jusqu’à l’obtention de leur diplôme pédagogique (IFFP, 2017) :

 Un accompagnateur IFFP qui organise des AT (ateliers transversaux) et qui rend visite à l’enseignant novice 2 à 3 fois par an.

 Un mentor désigné par l’établissement où travaille l’enseignant novice.

 Un expert qui intervient uniquement lors de la leçon finale (leçon test).

Le rôle d’expert étant dédié à la leçon test, nous ne nous attarderons pas sur cette fonction dans ce document. Les rôles d’accompagnateur IFFP et de mentor seront par contre décrits dans les chapitres ci-dessous.

2.2.1 Le rôle que l’IFFP donne aux mentors retrouvent au centre du dispositif d’accompagnement : l’étudiant, l’accompagnateur et le mentor. Dès le début de sa formation, chaque étudiant-e se voit attribuer un-e mentor-e (désigné-e par la direction de son école) et un accompagnateur-trice (désigné-e- par l’IFFP). » (p. 2).

Nous sommes manifestement là dans un concept de relation triadique (comme défini par Durand, 2000, p.149) avec les rôles d’accompagnateur, de mentor et l’étudiant. Le fait que le mentor soit désigné par la direction de l’école ouvre d’entrée la porte à une interrogation. Lamaruelle (2016, p. 27) insiste sur l’importance que celui-ci soit désigné par le mentoré lui-même. Dans les faits, il est fort probable que cela se fasse de concert avec le mentoré mais il est étonnant que ceci ne figure pas explicitement sur le document explicatif. N’y a-t-il pas là, le risque dans certains cas, de désigner un mentor non-souhaité ou de forcer une relation pas totalement consentie ?

Concernant le rôle du mentor, l’IFFP indique les attentes suivantes (on peut parler ici du prescrit de la fonction de mentor).

Extrait du document « Dispositif d’accompagnement de la pratique » (p. 7) Profil du mentor : actuelle (rôle de modèle) et travailler en harmonie avec l'IFFP.

- Avoir un réel intérêt à se perfectionner et à s'informer, notamment dans le domaine de la pédagogie.

- Témoigner de dispositions en matière de relations humaines : capacité à une acceptation inconditionnelle d’autrui dans sa singularité, représentation positive de l'être humain (aidant et rassurant).

- Avoir une approche réflexive de ses pratiques.

- Connaître le contexte légal de la formation professionnelle et suivre son évolution.

- Avoir suivi ou s’engager à suivre la formation spécifique destinée aux mentor-e-s et dispensée par l’IFFP ou une formation équivalente.

En lisant le profil demandé au mentor IFFP et en le mettant en lien avec les formes d’accompagnements proposées par Maela Paul (voir chapitre 2.1.1), nous constatons qu’il est attendu de lui plus que le simple rôle du mentorat. Le mentor doit être un compagnon (venir du même milieu), un parrain (initiation au contexte légal, à la norme) et faire du counselling (acceptation d’autrui). Finalement, si le terme « mentor » est utilisé ici, on constate qu’il s’agit bien là d’un accompagnement au sens large du terme et que le profil idéal serait celui d’un accompagnant pouvant (en fonction des besoins) passer d’un rôle à l’autre.

Passons maintenant à ce qui est demandé au mentor en terme d’activités et de responsabilités.

Extrait du document « Dispositif d’accompagnement de la pratique » Responsabilités du mentor :

- Effectue 5 activités réparties sur la durée de la formation :

- 3 ou 4 visites de classe, dont 2 avec l’accompagnateur-trice IFFP (tripartites),

- 1 ou 2 activités spécifiques et différentes selon les besoins de l’étudiant-e mentoré-e, comme par exemple un entretien, une co-animation, des corrections conjointes de travaux ou

d’examens.

- Conserve et partage des traces d’activités réalisées.

- Reçoit 2 fois l’étudiant-e dans sa classe durant la formation.

- Termine son mandat lors de l’obtention du titre par l’étudiant-e mentoré-e.

Activités possibles

- Elaboration des modalités de collaboration avec le mentoré en ce qui concerne les activités à l’école, - Création d’un espace protégé favorisant un environnement d’apprentissage constructif,

- Conduite d’entretiens réguliers (par exemple didactico-pédagogique, d’explicitation, clinique ou motivationnel) avec l’étudiant-e pour lui permettre, par des feed-back de qualité de développer son autonomie et son regard critique,

- Visites de leçons données par le mentoré et accueil du mentoré dans sa classe afin d’observer, discuter et confronter des pratiques,

- Identification des personnes-ressources propres à l'enseignement spécifique de l'étudiant-e, d'un commun accord avec lui/elle et facilitation de la prise de contact avec ces personnes.

Une liberté quant à la forme des activités est laissée au binôme mentor/mentoré. Ainsi en plus des visites de classes, les activités peuvent aller de la correction conjointe de travaux, à des entretiens ou à des animations en commun.

A nouveau les activités possibles couvrent plusieurs rôles dans l’accompagnement, offrant ainsi au mentor et au mentoré tout le loisir de réaliser les activités qui sont les plus profitables sur le moment.

L’IFFP met également en évidence (IFFP, 2017) les concepts suivants : « Le mentor ne doit pas avoir de lien hiérarchique avec le mentoré » (p. 2). Il est de plus important de relever que le mentor (au contraire de l’accompagnateur IFFP) sort totalement du rôle de l’évaluateur. Ainsi le mentor peut se « consacrer » à cette casquette de compagnon réflexif (Charlier et Donnay, 2008) qui est plus en phase avec le dispositif que celle de l’évaluateur ou du formateur (Gremion et Coen, 2015, p. 13).

Enfin, dernier élément qui a son importance (mais non abordé dans le document de descriptif d’accompagnement de l’IFFP), si les mentors sont désignés par la direction de leur école, ils sont néanmoins rémunérés par l’IFFP.

2.2.2 La triade enseignant – mentor - accompagnateur

Comme expliqué dans le chapitre précédent, une triangulation (ou triade) entre l’enseignant en formation, l’accompagnateur IFFP et le mentor se dessine.

Au contraire de celui du mentor, le rôle de l’accompagnateur IFFP contient une composante évaluative.

En effet, dans les responsabilités de l’accompagnant on note (page 6 de la brochure sur l’accompagnement) : « Exerce la fonction d’évaluation lors des leçons d’épreuve (LE) des étudiant-e-s qu’il/elle accompagne. ». Ainsi l’accompagnateur IFFP joue également le rôle d’évaluateur. On peut y voir une incohérence par rapport au strict rôle de l’accompagnement avec la casquette du compagnon réflexif (ce que relèvent notamment Gremion et Coen, 2015). Cette posture d’accompagnant IFFP n’étant pas au centre de ce travail de recherche, nous n’approfondirons pas davantage cette question et cette ambiguïté pour nous concentrer sur le rôle du mentor.

Cette triangulation entre l’enseignant novice, le mentor (sur le terrain) et l’accompagnant (venant de l’IFFP) est néanmoins caractéristique du monde de la formation professionnelle. Raison pour laquelle, avant de partir à la rencontre des principaux acteurs, il est important de revenir rapidement sur ce que dit la littérature au sujet des formes d’accompagnement en triade. Concernant ces triades, Gremion (2017, p.

103) parle de 4 différents modèles d’accompagnement :

Figure 2 Les quatre modèles d'accompagnement selon Gremion (2017, p. 103)

Légende :

PF : personne en formation | A : Accompagnateur IFFP | AF : agent de formation (mentor) S : les savoirs théoriques – pratiques | Norme T-P : Norme théorique et pratique

Le modèle coopératif est le modèle rêvé, mais Gremion (2017, p. 108) relève que dans les faits la norme est souvent laissée à l’accompagnateur. Dans le cas de l’accompagnement proposé par l’IFFP, le mentor étant formé et payé par l’IFFP, un lien hiérarchique peut parfois être ressenti vis-à-vis de l’accompagnateur IFFP. Le fait que l’accompagnateur épouse de plus (à l’inverse du mentor) le rôle d’évaluateur en fin de formation du novice peut encore accentuer cette sensation (le mentor risque-t-il d’y voir un manque de confiance en sa connaissance de la norme ? ou plutôt une opportunité de rester dans ce rôle d’accompagnement sans passer par l’évaluation ?).

Nous serions ainsi, avec cette situation, dans un mélange entre le modèle institué et le modèle supervisé (avec la norme théorique du côté de l’accompagnant IFFP). Nous reviendrons sur ces modèles ainsi que la

place de la norme dans les synthèses finales de ce document pour voir si cette hypothèse se confirme ou si au contraire elle ne se vérifie pas en fonction des recherches effectuées.

2.2.3 La formation des mentors

Dans de nombreuses lectures, l’importance de la formation des mentors (ou plus largement des accompagnants) a été mise en évidence. L’IFFP (IFFP, 2017) le relève d’ailleurs en indiquant dans sa brochure que le mentor doit « avoir suivi ou s’engager à suivre la formation spécifique destinée aux mentor-e-s » (p. 7). On peut y voir un souhait, mais pas une obligation pour autant.

Les rôles d’enseignant et d’accompagnant sont différents. Baudrit (2011, p. 119) met en garde sur le fait que la fonction mentorale est parfois mal identifiée par les mentors eux-mêmes parce qu’ils pourraient découvrir un rôle en l’absence d’informations ou d’instructions et sans savoir vraiment de quoi il s’agit.

Le Bouëdec (2001, p. 16) parle de l’accompagnement comme d’un art et non pas d’une science qui s’apprend par la pratique mais revient sur l’importance d’en préciser les contours, de définir les rôles à remplir et les qualités requises. Vial et Caparros-Mencacci (2007, p. 36) reprennent eux les propos de Le Bouëdec en précisant que ceci ne signifie en aucun cas qu’il suffit d’accompagner pour devenir accompagnateur mais qu’au contraire, une formation doit préparer à l’exercice de l’accompagnement et que l’expérience est nécessaire pour se dire accompagnateur. C’est pourquoi il est utile d’y être formé : l’accompagnement professionnel ne s’improvise pas (Vial et Caparros-Menacci, 2007, p. 75), faute de quoi les mentors risqueraient de se retrouver bloqués dans un autre modèle d’accompagnement que celui du mentorat (par exemple uniquement dans le modèle du « compagnon »).

Dès lors, que faut-il apprendre aux mentors ? Comment les former efficacement ? Selon Chaliès et Durand (2000) « La plupart des auteurs qui s’engagent dans cette visée préconisent des formations diversifiées visant la mise en œuvre de modules de tutorat particuliers tels que les entretiens cliniques, les pratiques réflexives, etc. » (p. 165).

Vial et Caparros-Mencacci (2007, p 247) relèvent eux trois types d’entretiens (compréhensif, clinique et d’explicitation) auxquels l’accompagnateur doit être formé. Ces mêmes types d’entretiens sont proposés comme types d’activités envisageables pour le mentor selon l’IFFP (IFFP, 2018, p. 7).

De son côté, Stahl (2001, p. 104) parle lui de trois registres à travailler durant cette formation à l’accompagnement : le registre de l’écoute, le registre de l’analyse et le registre de l’influence.

Nous le constatons à nouveau, l’accompagnement est quelque chose de complexe nécessitant l’acquisition d’un grand nombre de compétences. Pour mieux comprendre ce qui est, dans les faits, enseigné aux mentors, nous allons maintenant nous pencher sur la formation qui leur est proposée par l’IFFP.

L’IFFP propose depuis une dizaine d’années un « CAS – Bases de l’accompagnement dans la formation des responsables de la formation professionnelle » (http://www.iffp.swiss/cas-bases-de-laccompagnement). Cette formation dure une année, à raison de 15 jours de formation.

Dans le document de description de cette formation, l’IFFP met en évidence trois enjeux majeurs apparaissant dans le mentorat.

Extrait du document cas_bac_description.pdf (p. 1)

Permettre l’accompagnement sur le terrain des personnes en formation, en facilitant notamment le transfert de leurs apprentissages dans la pratique tout en les aidant à développer un regard réflexif sur leur pratique professionnelle ;

Associer dans les terrains, les praticiens et les praticiennes novices avec des collègues plus expérimentés (mentors et mentores), afin de favoriser, dans le cadre du mentorat, un partage fructueux d’expériences et un développement intégré de leurs compétences ;

Permettre, grâce à l’action des mentors et des mentores, d’humaniser les relations de travail et d’apporter, dans le cadre d’échanges ou d’intervisions, un regard nourrissant sur les difficultés, pour redonner un pouvoir d’agir en créant des communautés d’apprentissage.

On retrouve bien ici la position du mentor comme étant celui qui « aide à donner du sens à une action » (développement d’un regard réflexif).

Les objectifs de la formation sont explicités de la manière suivante : Extrait du document cas_bac_description.pdf (p. 1)

- Accompagner en instaurant un climat de confiance ; en établissant une relation; en maîtrisant les techniques de communication ; en orientant ou confrontant au besoin le mentoré ou la mentorée; en gérant les conflits; en menant des entretiens d’accompagnement; en sécurisant; en saisissant les enjeux relationnels de l’accompagnement et en approfondissant sa capacité à communiquer.

- Guider en observant l’autre; en s’inscrivant dans un cadre; en élaborant une démarche didactique.

- Conseiller en suggérant en mobilisant des ressources ; en apportant un conseil ; en assurant un suivi et une traçabilité (ou en rédigeant un rapport structuré).

- Organiser en collaborant et en planifiant des rencontres.

- Mener une démarche réflexive en portant un regard constructif sur sa pratique et en aidant l’autre à prendre conscience de son mode d’agir.

Une importance est mise ici sur le rapport avec le mentoré. La formation doit permettre d’entrer en relation avec le mentoré, de le guider par l’observation et de le conseiller. Ces objectifs rejoignent bien les rôles et attentes se cachant derrière la fonction de mentor et abordés dans les chapitres précédents.

En ce qui concerne le contenu de la formation, cette dernière est composée de deux modules différents.

Module ATP (Accompagnement sur le terrain des personnes en formation)

Dans la brochure, ce module est présenté de la manière suivante : « Ce module, par l’analyse d’écriture des pratiques et par des techniques d’entretien (explicitation, clinique ou didactique) entend partir des situations réelles pour aider le mentor et la mentore à conscientiser ses pratiques pouvant aller jusqu’à l’élaboration plus abstraite de ces dernières. »

Module DET (Développement des transferts d’expériences)

Ce module est présenté de la manière suivante par l’IFFP : « Ce module vise aussi à développer la capacité de réflexion des personnes en formation afin de leur offrir également les moyens de mettre en œuvre des interventions d’aide à l’acquisition de savoirs et d’habiletés (pôle didactique). »

L’analyse des documents fournis par l’IFFP soit pour le dispositif d’accompagnement, soit pour la formation proposée aux mentors permet de mieux comprendre les attentes placées derrière cette fonction de la part de l’IFFP. Comme indiqué précédemment, il est attendu du mentor qu’il accompagne le

mentoré en passant par différentes postures. Il doit ainsi être à même de maitriser une palette d’outils l’aidant dans sa tâche.

Perrenoud (1994) revient sur l’importance des établissements de formation devant « définir l’étape du processus de professionnalisation du métier, en se servant ouvertement des nouveaux enseignants comme agents de changement » (p. 189). En organisant les liens de mentorat dans les différents établissements de formation, l’IFFP cherche manifestement à instaurer un terreau fertile pour créer un groupe de professionnels au sein même des établissements. L’écart entre le champ professionnel et le champ scientifique (Hofstetter & Lussi Borer, 2010), historiquement fort dans le monde de la formation professionnelle, tend ainsi à se réduire.

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