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La remise en cause européenne du rôle de régulation de la concurrence

Intégrer le commerce dans l’urbanisme, un processus inachevé

4.2. Vers une sortie de l’urbanisme commercial régulateur ?

4.2.1. LA LOI LME (2008) : UNE NOUVELLE REFORME DE LA LOI ROYER

4.2.1.1. La remise en cause européenne du rôle de régulation de la concurrence

L’urbanisme régulateur de la loi Royer a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment à propos de son incapacité à enrayer ou à encadrer les dynamiques marchandes114. À partir des années 2000, il subit une autre vague de contestation émanant cette fois des autorités européennes. Ces dernières remettent en cause la légitimité des commissons d’équipement commercial à statuer selon des critères économiques. Plusieurs cas de contentieux opposant l’État français aux distributeurs ont suscité cette remise en cause mais surtout, les échanges entre le gouvernement français et la Direction Générale Marché Intérieure ont poussé la Commission Européenne à intervenir et à demander à l’État français de réviser son régime d’urbanisme commercial115. L’abaissement du seuil de surface de vente à partir duquel une autorisation spécifique est nécessaire, le nombre de représentants du secteur économique dans les commissions départementales d’équipement commercial et l’exigence pour les demandeurs d’autorisation de fournir une étude d’impact économique sont les mesures remises en cause par la Commission Européenne. La directive « Services » qui sera adoptée en 2006 par l’Union Européenne conforte cette position116.

L’État français, contraint de remettre en conformité son régime d’urbanisme commercial avec le traité européen, lance une consultation sur la réforme à mener. La Commission de modernisation de l’équipement commercial117 présidée par le ministre Renaud Dutreil est chargée de formuler des propositions, consignées dans un rapport rendu en 2007. Les membres de la commission semblent s’accorder sur la nécessité de réviser et de simplifier la procédure existante pour pallier ses défauts et éviter les nombreux contentieux qu’elle suscite118. Aussi la majorité des membres souhaite-t-elle une

114 « Alors que le dispositif législatif devait assurer une meilleure régulation, le nombre de mètres carrés demandés chaque année aux CDEC est passé de 1,7 million en 1996 à plus de 3,7 millions en 2005. Le nombre de mètre carrés autorisés chaque année a pour sa part été́ multiplié par trois en dix ans, passant de 1 million en 1996 à 3,5 millions en 2005 ». (Fiche 7 : les enjeux de la réforme.)

115 Dans une lettre du 5 juillet 2005, la Commission Européenne déclare le droit français incompatible avec l’article 43 du Traité sur l’Union Européenne relatif à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services.

116 L’article 14-5 du projet de directive interdit l’application au cas par cas d’un test économique lors de l’octroi d’autorisation et l’article 14-6 réprouve l’intervention d’opérateurs concurrents dans l’octroi d’autorisations individuelles.

117 Cette commission est composée de parlementaires, de représentants de fédérations professionnelles, de responsables consulaires, d’architectes, d’urbanistes et d’universitaires : le conseil national des entrées de ville, la FNAU, l’EPARECA, l’ACFCI, l’APCM, la DGCCRF, la FCD, la CGAD, la CdCF, l’UCCV, le CNCC, les Vitrines de France, des architectes, la FSIF, la FNSCMF, la Fédération française du paysage, la FNH, des universitaires, l’ADCF.

118 En effet, le nombre de recours devant le conseil d’État a augmenté au cours des années 2000, contre les décisions de la CNEC. Ces recours sont portés par des associations de défense du petit commerce pour la plupart. Les recours n’ont

meilleure prise en compte des impératifs de développement durable et d’aménagement du territoire dans l’urbanisme commercial. Au lieu de supprimer le régime préalable d’autorisation, les membres de la commission proposent de remplacer les critères économiques des commissions par des critères d’un autre ordre tels que l’intégration paysagère, la qualité architecturale, la cohérence urbaine du projet ou encore la mise en place de dispositifs de coopération entre centres-villes et périphéries. Les membres de la commission veulent également que le rôle des schémas de développement commercial (SDC) soit renforcé et que les documents de planification urbaine puissent inclure des mesures liées au commerce et orienter les décisions des commissions d’équipement commercial.

Malgré l’ambition commune de vouloir relier urbanisme et urbanisme commercial, les conditions de ce rapprochement font débat au sein de la commission. L’opportunité de supprimer totalement les commissions d’équipement commercial au profit des schémas de développement commercial et de rendre ces SDC opposables aux tiers forment une source de désaccord majeur entre les membres de la commission. Alors que les acteurs du commerce (la FDC et le CNCC) soutiennent le maintien d’une réglementation spécifique à l’urbanisme commercial alors que les autres membres souhaitent son intégration complète au sein des outils de l’urbanisme. Par ailleurs, la question du périmètre pertinent pour gouverner persiste sans que les différents membres n’arrivent à se mettre d’accord sur l’échelle souhaitable de régulation (bassin de vie, département, commune, intercommunalité). Dans cette configuration, comment articuler les avis de la commission départementale, les possibilités de recours devant une commission nationale, les directives (plus ou moins précises) des SDC et les mesures commerce des documents d’urbanisme existants (PLU, SCOT) dans le nouveau dispositif législatif ? La commission doit repenser l’articulation entre les outils déployés. Mais le seuil de passage en commission départementale et la présence des chambres consulaires au sein des CDAC forment les deux principaux éléments de réflexion dans la mesure où ils sont réprouvés par la Commission Européenne.

Malgré la volonté de certains membres de supprimer le régime d’autorisation préalable, le rapport final de la Commission penche en faveur du maintien du régime spécifique d’urbanisme commercial. Les critères d’octroi d’autorisation seraient rénovés et prendraient en compte, de manière équitable :

1) la concurrence : le dispositif doit éviter les positions dominantes sur le marché ;

plus pour objectif de « défendre les intérêts des requérants » mais servent « d’arme contre la concurrence, en vue d’empêcher ou de ralentir la réalisation d’un projet ».

2) l’aménagement du territoire : il s’agit de promouvoir « un aménagement équilibré du territoire » au niveau commercial, de « favoriser l’animation des centres-villes » et le « rééquilibrage des agglomérations », et « l’économie des équipements publics » ;

3) l’esthétique, la qualité de l’urbanisme et de développement durable : l’objectif est de « protéger l’environnement » et de « favoriser la qualité de l’urbanisme » ;

4) les besoins des consommateurs : satisfaire les consommateurs par le biais d’une « offre diversifiée », la « modernisation des équipements commerciaux », le « développement des nouvelles formes de services » et le « maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ».

Le rapport propose aussi d’insérer l’urbanisme commercial au sein du régime général de l’urbanisme : le seuil de passage en commission d’aménagement commercial serait fixé localement par le biais du SDC, les autorisations délivrées par ces commissions feraient office d’accord préalable à la délivrance du permis de construire et enfin, les commissions devraient laisser une plus grande place aux acteurs urbains119. Enfin, le rapport précise le contenu des SDC, renforce leur poids juridique et veille à leur cohérence avec les documents de planification120.

L’ensemble de ces propositions est soumis à l’avis du Conseil de la Concurrence121 mais celui-ci regrette une réforme en demi-teinte. Il préconise l’abandon total du régime d’urbanisme commercial. Il conseille la suppression de la procédure d’autorisation au profit du permis de construire, qui ferait office d’autorisation d’implantation. Cela permettrait selon le Conseil de simplifier les procédures administratives jugées trop lourdes par les acteurs économiques, mais aussi de confier le pouvoir aux maires. En parallèle, le Conseil propose d’intégrer au sein des SCoT, plusieurs mesures dédiées aux équipements commerciaux qui s’imposeraient lors de la délivrance des permis de construire. Peu de temps après, la Commission pour la Libération de la Croissance Française présidée par Jacques Attali, publie en octobre 2007 un rapport afin de présenter ses réflexions sur le pouvoir d’achat. Le

119 Celles-ci seraient composées de quatre élus locaux et de quatre personnalités qualifiées respectivement dans le domaine du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’architecture/de l’urbanisme

Ces quatre personnalités seraient désignées par le préfet, sur proposition des deux chambres consulaires en ce qui concerne le commerce et l’artisanat, permettant leur maintien officieux au sein des commissions.

120 Au vu de l’hétérogénéité des pratiques dans l’élaboration des SDC, la commission souhaite définir plus précisément leur contenu et les conditions de leur élaboration. Ces documents devraient contenir des éléments obligatoires tels qu’un diagnostic de l’urbanisme commercial existant, un document d’orientation résumant la stratégie retenue en matière de développement commercial et un programme d’action détaillé à l’échelle de l’EPCI. Concernant la force juridique du SDC, la commission propose de rendre le PLU (qui est opposable aux tiers) compatible avec le SDC et de veiller à la cohérence entre le SDC et le SCoT. Par ailleurs, le schéma de développement commercial serait élaboré à l’échelle intercommunale (EPCI) et validé par le Conseil Général.

rapport préconise l’abrogation des lois Royer et Raffarin qui contribuent trop selon les rapporteurs à la concentration des activités de distribution et au maintien des situations oligopolistiques. De plus, il encourage la création de dispositifs de contrôle locaux basés sur le droit de l’urbanisme qui serait révisé en profondeur. En complément de ces deux rapports, le rapport de Robert Rochefort délivré en février 2008 au Ministre du Logement et de la Ville (« Un commerce pour la Ville ») semble pencher aussi en faveur d’une autorisation unique pour les implantations commerciales — le permis de construire — et de l’intégration de mesures relatives au commerce dans la planification urbaine. Il ne nie pas la nécessité d’une commission des équipements commerciaux, mais préconise que celle-ci soit seulement consultative et veille surtout à l’existence des SDC :

« Il faut trouver une voie médiane entre le maintien des CDEC/CNEC et la suppression totale de toute instance qui ferait exclusivement reposer les procédures sur le SCOT et les PLU » (Rochefort, 2008 : 25).

Ces trois rapports illustrent les postures et les intérêts défendus dans cette période de réforme de l’instrumentation des politiques publiques. Bien qu’ils aillent tous à l’encontre des préconisations de la Commission de Modernisation de l’urbanisme commercial, ces rapports témoignent par leurs diverses positions, des hésitations quant à la manière de faire évoluer le dispositif juridique, et avec lui, la manière de hiérarchiser les préoccupations qui habitent alors le débat public. Certains agissent en faveur du pouvoir d’achat des consommateurs, d’autres pour le maintien d’une saine concurrence, d’autres pour l’urbanisme.

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