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Cette thèse examine le rôle tenu par les managers de centre-ville dans la fabrique de la ville et dans la qualification de son offre commerciale. Elle interroge à la fois le processus par lequel les managers de centre-ville ont pu légitimer leur existence et leurs savoir-faire auprès des collectivités locales ; et la manière dont ces professionnels articulent des considérations urbaines, marchandes et politiques dans leur activité quotidienne. Comme mentionné plus haut, le commerce apparaît à première vue comme un secteur d’activité faiblement règlementé par la puissance publique et hermétique aux logiques et préoccupations extérieures. Pourtant, les managers de centre-ville ont pour mission de « revitaliser le commerce » des territoires, de lui redonner de l’attractivité, ce qui les conduit à intervenir sur le fonctionnement du marché. De ce constat est née l’envie d’enquêter sur les modalités d’action et d’existence de ces managers : comment ces derniers ont pu négocier leur existence et leurs interventions sur les marchés ? Notre hypothèse centrale est que le manager de centre-ville profite (voire encourage) des phénomènes de concernement du marché pour se dégager une capacité d’intervention sur le commerce et poursuivre des objectifs qui débordent de la prise en charge des problèmes initialement dénoncés. Aussi, nous supposons que les actions du manager reposent sur des instruments peu contraignants, qui n’entravent pas ou peu la liberté du commerce. Afin de répondre à ces questions et éprouver ces hypothèses, nous avons conçu un plan, en quatre parties.

La première partie de la thèse aborde de façon assez générale, les relations entre la ville et le commerce. Le déclin des centres-villes a souvent été associé à l’érosion de son tissu commercial. Encore aujourd’hui, la dévitalisation des centres-villes français se mesure grâce au taux de vacance commerciale. Ainsi, le management de centre-ville a pris parti de redynamiser les centres urbains grâce au commerce : d’un côté, l’amélioration de l’environnement urbain doit favoriser la réussite du commerce ; de l’autre côté, la redynamisation du commerce a vocation à redonner vie et attractivité aux centres urbains. Les acteurs font ainsi le pari que la double prise en compte du commerce et de l’urbain serait susceptible de produire des effets vertueux pour le territoire. C’est ainsi que le métier de manager de centre-ville s’est développé à mi-chemin entre métier urbain et

professionnel du commerce. Pour comprendre l’essor du management de centre-ville, il convient avant tout de revenir sur l’histoire de la ville et de son commerce pour appréhender les évolutions qui ont conduit les acteurs politiques à se saisir de la question du commerce et à en faire un objet d’intervention publique. Alors que les chapitres 1 et 2 reviennent sur des moments précis de l’histoire où se sont reconfigurées les relations entre le commerce et la ville, les chapitres 3 et 4 retracent l’évolution des politiques publiques déployées dans le but de cadrer les modalités d’implantation du commerce dans la ville.

Le premier chapitre prend place au XIXème siècle. Ce détour historique nous permet de montrer l’existence de formes d’interventions publiques sur le commerce dès la fin du XVIIIème siècle. Jusqu’au XVIIIème siècle, l’activité commerciale se déployait surtout dans les rues et sur des espaces extérieurs. Le succès du mouvement hygiéniste et la volonté croissante de rationaliser la ville ont conduit les pouvoirs locaux à gouverner plus fermement les pratiques commerciales dans la ville. Le commerce ambulant s’est trouvé ainsi plus contraint dans l’optique de favoriser le repli des activités marchandes dans des espaces privés intérieurs. En parallèle, de nouveaux formats de commerce ont émergé et ont reconfiguré l’appropriation de la ville par les classes ouvrières et bourgeoises.

 Le deuxième chapitre retrace l’évolution vers la société de consommation de masse, au prisme de ses impacts sur la ville. L’essor de l’hypermarché est lié à l’organisation du tissu urbain : c’est en raison du prix élevé du foncier dans les centres urbains que le commerce s’est petit à petit déplacé en périphérie des villes. La progressive segmentation du marché a entraîné la polarisation de la ville. Celle-ci est alors divisée entre des zones commerciales périphériques tournées vers le discount, et des centres urbains contraints de se restructurer autour de segments de marché spécifiques.

 Le troisième chapitre porte sur les prémices de l’urbanisme commercial. Mis en place par l’État planificateur pour pallier le manque d’équipement commercial dans les nouveaux quartiers, le développement massif des commerces en périphérie des villes a rapidement rendu caduques les mesures étatiques destinées à cadrer les implantations commerciales. Néanmoins, l’urbanisme commercial fut petit à petit mobilisé comme outil de régulation de la concurrence entre petits et gros commerces, délaissant les préoccupations urbaines qui avaient pourtant motivé la mise en place des premières mesures étatiques.

 Le quatrième chapitre prolonge le troisième chapitre. Y sont dépeints les efforts pour réinscrire les préoccupations urbanistiques dans l’urbanisme commercial. Néanmoins,

cette réintégration de « l’urbain » dans les instruments de régulation du commerce peine à se faire complètement. En effet, la régulation du commerce urbain se réalise selon deux voies parallèles : d’un côté, il s’agit d’intégrer le commerce dans l’urbanisme, par exemple en incluant des mesures sur le commerce dans les documents d’urbanisme ; d’autre part, c’est l’urbain qui doit réinvestir l’urbanisme commercial, en ajoutant l’aménagement du territoire à la liste des arguments susceptibles d’être pris en compte lors de l’examen des projets d’implantations commerciales par les autorités locales. Bien que certains acteurs militent en faveur d’une régulation unique fondée sur le droit de l’urbanisme, la dualité de la régulation se maintient en raison de résistances à délaisser la fonction de régulation économique de l’urbanisme commercial.

Cette première partie permet de comprendre comment le commerce est devenu progressivement un objet d’intervention publique. Néanmoins, elle met également en évidence que la légitimité et la forme de l’intervention publique sont fréquemment remises en question, en fonction des préoccupations politiques et sociales du moment.

La deuxième partie de la thèse porte sur l’émergence du management de centre-ville et sur les processus d’institutionnalisation et de professionnalisation ayant soutenu son développement. À l’inverse de la première partie, cette partie traite directement de notre objet de recherche à savoir l’émergence d’un corps professionnel spécialisé dans le développement du commerce urbain : les managers de centre-ville. Ici, l’analyse est menée à l’échelle nationale, sur l’ensemble du territoire français.

 Le cinquième chapitre retrace l’essor du management de centre-ville en France depuis la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui. Des premières expériences collectives de gestion de centre-ville aux efforts déployés pour professionnaliser ces pratiques, le chapitre révèle les luttes et les associations qui se sont formées entre les différents promoteurs de la démarche. Il éclaire les modalités de développement d’un concept sous lequel se sont rassemblées des initiatives hétéroclites, que les promoteurs ont tenté d’homogénéiser par la suite. Le chapitre souligne par ailleurs l’ambiguité du management de centre-ville, à mi-chemin entre nouvelle forme de lobbying des commerçants et instrument politique de contrôle d’un groupe social.

 Le sixième chapitre s’intéresse aux profils et aux trajectoires des managers de centre-ville. Mobilisant les résultats du questionnaire et les entretiens réalisés avec les managers, il met

en lumière la diversité des profils et des formes de management de centre-ville existantes. Le chapitre explore également quelques aspects du travail des managers, opérant ainsi la transition avec la troisième partie de la thèse.

La troisième partie quitte l’échelle nationale et opte pour une focale locale afin d’analyser la mise en œuvre d’une politique de management de centre-ville à l’échelle de la ville de Toulouse. Elle est scindée en deux chapitres, assez distincts dans leur contenu.

 Le septième chapitre évoque la mise en place de cette politique au sein de la municipalité de Toulouse, mais aussi les conditions dans lesquelles cette politique a pu se maintenir à la suite des élections municipales. En effet, l’alternance politique a remis en question les orientations politiques qui avaient permis l’émergence d’une démarche de management de centre-ville et d’une politique commerciale. Pour garantir la continuité de leur travail, les agents administratifs du service commerce se mobilisent pour stabiliser de nouveaux cadrages politiques favorables à leur existence et à leur autonomie professionnelle. Ainsi, ce chapitre retrace l’institutionnalisation de la compétence commerce au sein de la Ville de Toulouse, puis le travail de traduction et de négociation opéré par l’administration en vue de stabiliser leur activité professionnelle.

 Le huitième chapitre examine de près le travail quotidien du manager de centre-ville. Sur la base d’extraits du shadowing effectué, le chapitre évoque certaines tensions rencontrées par le manager dans son activité quotidienne entre logiques politiques et administratives, entre efficacité marchande et volonté politique, etc. L’étude des aspects particuliers du travail du manager permet de mettre en évidence les rhétoriques mobilisées par le professionnel en situation d’arbitrage et les représentations de la ville défendues dans les choix opérés. Le chapitre tente de cerner les moyens d’action et le degré d’autonomie que ce manager possède dans son activité.

La quatrième partie se focalise sur l’opération Commerce Avenir, menée par la municipalité de Toulouse. Cette opération consiste pour la Ville à acheter des locaux commerciaux par le biais de son établissement public foncier local, puis à les relouer à des commerçants de son choix. Elle porte sur trois quartiers toulousains.

 Le neuvième chapitre porte sur le choix des quartiers visés par l’opération, afin de cerner comment ces quartiers ont été sélectionnés et quelles sont les caractéristiques communes de ces espaces. Ces quartiers se caractérisent par une fréquentation populaires des espaces

publics et privés, voire par des consommations jugées problématiques (communautaires, dangereuses, discriminantes, etc.) sur lesquelles la municipalité espère agir en requalifiant l’offre commerciale de ces quartiers. Le chapitre revient ainsi sur les ambitions politiques ayant conduit à mettre en œuvre l’opération Commerce Avenir et examine comment ces objectifs se déclinent singulièrement sur chaque quartier concerné.

 Le dixième chapitre entre dans la boîte noire des arbitrages effectués, en se focalisant sur le processus de sélection des boutiques à acquérir dans le cadre de Commerce Avenir. À une échelle plus fine, ce chapitre a plutôt vocation à identifier les préoccupations prises en compte dans le choix des locaux commerciaux. Il nous conduit à dépeindre le double travail de qualification et de valorisation opéré par la collectivité locale et ses partenaires et permet d’éclairer les aspects spécifiques du travail politico-marchand de la collectivité.

 Le onzième chapitre clôture la quatrième partie par l’examen du profil des commerçants implantés dans le quartier par le biais de l’opération Commerce Avenir. Il s’agit de saisir comment le profil de ces commerçants participe aux efforts de requalification déployés par la collectivité locale. Les motivations, la trajectoire et les représentations du quartier de ces commerçants y sont exposés de façon à cerner le rôle de l’opération Commerce Avenir dans la requalification commerciale des quartiers

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