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Comme nous l’avons exposé dans l’introduction, l’objet de la thèse est le métier de manager de centre-ville que nous analysons au prisme de sa trajectoire en tant que groupe professionnel et du travail effectué par ses membres. Ainsi, notre travail de terrain a poursuivi deux objectifs de recherche. Le premier objectif était de retracer l’essor et l’évolution du management de centre-ville au travers des dynamiques professionnelles et institutionnelles ayant permis sa structuration et sa diffusion. Le second objectif consistait à analyser le management de centre-ville « en train de se faire », c’est-à-dire au plus près des pratiques d’agencement des managers de centre-ville. Ces deux objectifs ont balisé notre travail de terrain dès son démarrage en 2013, bien qu’ils se soient légerement mus sous l’effet de l’avancement du terrain et des opportunités qui se sont offertes à nous.

Notre questionnement s’est construit de façon inductive : aucune hypothèse n’avait été posée avant de nous rendre sur le terrain et nous n’avions pas opté pour un cadrage théorique préalable à l’enquête. Nous savions que nous nous aventurions sur un objet-frontière, situé au croisement de plusieurs univers sociaux — l’économie, la ville, les marchés, les professions, la politique — que la sociologie étudie de façon segmentée, victime de sa propre division du travail. Il nous semblait (sûrement à tort) que choisir un cadrage théorique prélable allait nous amener à occulter certaines dimensions de notre objet : faire de la sociologie de l’action publique aurait pu nous conduire à délaisser la dimension marchande du management de centre-ville ; à l’inverse, entreprendre une sociologie du marché urbain aurait pu nous conduire à ignorer ses dimensions politiques. L’autre risque contre lequel nous avons voulu nous prémunir est la prédétermination des associations. Il serait aisé d’attribuer des comportements intéressés et opportunistes aux acteurs privés, et aux acteurs politiques, la volonté de poursuivre l’intérêt général. Comme le signale Patrick le Galès, des élus et des techniciens municipaux peuvent tout à fait se comporter comme des spéculateurs et les acteurs privés s’engagent pour des causes collectives (Le Galès, 1995).

Ainsi, nous avons opté pour une approche inductive inspirée de la consigne de Bruno Latour : « suivre les associations » (Latour, 2007). Le management de centre-ville est intrinsèquement une

affaire d’associations puisque sa vocation consiste à tisser des associations entre des élus locaux, des techniciens municipaux, des représentants de chambres consulaires, des commerçants, des managers de centre-ville, des agents immobiliers mais aussi des cartes de fidélité, des trottoirs, des façades, des boutiques, des documents d’urbanisme ou encore des réseaux de transports collectifs. Dans cette optique, nous avons pris le parti de centrer notre analyse sur le manager de centre-ville, considéré comme le pilote des démarches de management de centre-centre-ville, et de déplier les associations autour de lui sans définir à l’avance les acteurs pris en compte dans l’analyse. Cette posture a évidemment des défauts, notamment celui de laisser dans l’ombre des pratiques et des acteurs cruciaux pour la fabrique ordinaire des centres-villes ou encore, de placer la centralité du réseau sur le manager alors que celui-ci n’est peut-être qu’un acteur mineur (voire isolé) dans la gouvernance urbaine. Le management de centre-ville a souvent été étudié au prisme de ses actions ou des jeux d’acteurs au sein du partenariat (cf. les travaux de l’Institut du Place Management), mais nous avons fait le choix de nous centrer sur le professionnel plutôt que sur la dynamique partenariale car nous souhaitions comprendre le rôle des managers dans la construction d’intérêts collectifs et dans l’alignement des intérêts publics et privés.

L’enquête de terrain sur laquelle s’appuie notre thèse s’est déroulée de septembre 2013 à mars 2019. Elle mêle des données qualitatives et quantitatives, mais s’appuie surtout sur des matériaux qualitatifs : entretiens, archives et observations. Le cadre de notre étude est la France, mais il est possible que nous évoquions des expériences étrangères pour discuter notre propos car la gestion de centre-ville existe aussi outre nos frontières. Nous avons divisé notre enquête de terrain en quatre chantiers de recherche : 1) l’analyse de l’évolution du management de centre-ville en France, et des controverses liées à la professionnalisation du métier de manager de centre-ville ; 2) l’identification des profils sociaux, des trajectoires et des missions des managers de centre-ville français ; 3) la réalisation d’une étude de cas portant sur la politique de management commercial mise en œuvre à Toulouse ; 4) l’analyse d’une opération spécifique de cette politique sur trois quartiers toulousains. Chacun de ces chantiers de recherche mobilise des données particulières que nous allons présenter dans les paragraphes suivants, mais qui sont dès lors synthétisés dans le schéma ci-dessous (cf. figure 2).

Figure 2. Articulation des terrains de la thèse

Cette méthodologie combine plusieurs échelles d’analyse : d’un côté, c’est à l’échelle nationale que l’on peut étudier la diffusion du concept de management de centre-ville en France, analyser les interactions entre la communauté professionnelle, les promoteurs de la gestion de centre-ville, l’État et les autres partenaires, suivre les décisions prises quant à l’avenir du métier et appréhender la diversité des appropriations locales du concept ; de l’autre côté, c’est à l’échelle locale qu’il est possible d’analyser en finesse le travail du manager de centre-ville dans un contexte sociopolitique et économique particulier et de suivre les associations « en train de se faire ». Cette double échelle d’analyse possède des avantages. Premièrement, elle permet de resituer notre étude de cas dans un panel de pratiques et de configurations plus larges, que l’étude globale permet de répertorier. Nous avons pu relativiser la portée de nos résultats en connaissance de cause : nous avons ainsi pu constater que le management de centre-ville pratiqué à Toulouse possède des spécificités que l’on ne retrouve pas ailleurs et constitue de fait, plutôt une exception au regard des pratiques répertoriées.

Deuxièmement, l’étude de cas permet d’aller plus loin dans l’analyse du travail des managers que les entretiens réalisés à l’échelle nationale. En effet, beaucoup de managers peinent à décrire finement leurs activités et laissent de côté les aspects de leur travail qu’ils ne jugent pas importants tels que le tri des mails, la gestion du téléphone, leurs échanges avec les élus et les commerçants,

National

Partie 2

• Entretiens avec promoteurs, managers et partenaires

• Archives liées à la professionnalisation du management de centre-ville • Observations d'évènements liés au management de centre-ville • Questionnaire sur les profils, statuts et missions des managers

Ville

Partie 3

•Shadowing auprès du manager de centre-ville

•Entretiens avec les élus et les agents administratifs du service commerce •Archives du service commerce de la Ville de Toulouse

Quartier

Partie 4

•Entretiens avec les nouveaux commerçants des quartiers •Observations dans les quartiers

•Entretiens avec le manager

etc. Pourtant, ces activités sont essentielles pour saisir le travail du manager et mesurer sa marge d’action. Les enquêtés avaient tendance à produire un discours préétabli sur leur profession, voire à reprendre les grandes lignes de leur fiche de poste pour nous expliquer leur métier. Cette façon de se présenter est directement liée à la situation du métier, récent et peu connu, obligeant les managers à faire preuve de pédagogie pour se présenter et à exposer leur fonction à des personnes extérieures. L’observation permettait de pallier ces lacunes et surtout d’étudier la façon dont ces professionnels fabriquent des compromis (ou non) dans leur activité quotidienne. C’est grâce à l’observation que nous avons pu analyser comment se forment les micro-ajustements entre logiques politiques et marchandes, se légitiment les décisions d’intervenir — et celles de ne pas intervenir —, se construisent les rhétoriques, etc.

Ainsi, la thèse se structure autour de ces quatre chantiers de recherche, qui correspondent peu ou prou aux différentes parties de la thèse. Nous allons maintenant décrire les matériaux récoltés pour chacun de ces chantiers de recherche.

Retracer le processus de professionnalisation du management de

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