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L’analyse que nous venons de conduire a montré à quel point il est complexe d’isoler l’effet de l’infrastructure de transport sur le développement économique et territorial. Les principales conclusions auxquelles nous avons été confrontés tendent à affirmer que l’investissement en infrastructures de transport ne participe pas tellement à une création nette de richesse mais plutôt à une redistribution des conditions de la croissance (Boarnet, 1995), faisant des échelles un outil indispensable à son étude. L’évaluation économique doit donc s’enrichir d’autres approches, au sein de la socio-économie des transports.

Pour autant, ces constats n’ont pas freiné l’axiome d’« indispensabilité » (Fogel, 1962). Déjà en 1953, le constat était plutôt provocateur, quand Maurice-François Rouge déplorait que « malgré l’importance extraordinaire qu’ils ont prise dans notre vie, l’attention n’a jamais été attirée jusqu’à présent sur les réseaux, leur croissance, leur multiplication, et sur la nature même de cette structure, qui emprisonne le globe dans des trames de plus en plus serrées et solides : réseaux de chemin de fer, de voies navigables, de routes, d’électricité, de téléphones, de distribution … Si les citadins, considérés à titre individuel, ne peuvent vivre sans les services fournis par les réseaux, on peut se demander ce que serait la vie économique, en général, sans leur existence … » (Rouge, 1953).

Cette section vise à montrer comment les effets structurants des infrastructures de transport, théâtre de « porosités entre univers académique et société civile » (Offner, 2014), fait l’objet de récupération rhétorique, alors que le champ de recherche qui l’entoure tend à se complexifier.

1.3.1. Une mainmise de l’aménagement du territoire

L’effet structurant semble durablement « ancré dans les milieux politiques » (Bavoux et al., 2005). Il convient ici de rappeler quelques éléments, selon nous propice à la profusion de rapports, expertises et contributions académiques (Bazin et al., 2011). Parallèlement, dans un article devenu célèbre, en 1993, Jean-Marc Offner, économiste, dénonce la « mystification politique » (Offner, 1993a) de l’effet structurant, qui s’accompagne d’une rhétorique bien rodée, alors que les effets automatiques avaient déjà été pointés du doigt (Plassard, 1977). Cet état de fait est à relier au rôle important des pouvoirs publics dans l’organisation, la gestion des réseaux, où « l’expertise sur les transports est presque totalement internalisée par l’administration » (Commenges, 2013).

Le discours qui accompagne les investissements en infrastructures de transport a pour objectif de légitimer les décisions politiques, fortes empreintes de l’aménagement du territoire et de justifier la forte dépense publique, en vantant les évidents effets positifs. Le transport est donc une partie prenante des plans d’aménagement du territoire et d’urbanisme, succédant aux volontés géopolitiques et politiques développées dans la première section. A toutes les échelles, les transports sont de toutes les politiques publiques, porteurs d’impacts territoriaux, que les géographes envisagent par la répartition des populations et des activités sur le territoire (Bavoux et al., 2005 ; Merlin, 2007).

L’instrumentalisation des transports dans les politiques publiques est de tous les modes, dans un contexte de diversification des modes de transport après la seconde guerre mondiale, accompagnée d’une large démocratisation de l’automobile (Dupuy, 1999) et une croissance du secteur aérien. Par ailleurs, ils seront tout aussi utiles aux différentes orientations des politiques de transport, quand la crise pétrolière et la rupture du dynamisme de la croissance économique viennent contrarier le système de déplacements en place (Flonneau et Guigueno, 2009). Une lecture politique est donc nécessaire dans l’étude des choix d’aménagement, que les anglo-saxons traduisent par le terme de « foi » (Banister et Berechman, 2004) dans les politiques publiques de transport. La Table 1. 1 montre comment les priorités des politiques de transport ont évolué depuis les années 1950, sur les scènes française et européenne. Ainsi, on voit comment les politiques se sont orientées entre 1950 et 1970 vers l’équité territoriale, dans le but de désenclaver les régions les plus reculées. Les orientations données entre 1970 et 1990 poussent aux renforcements du développement territorial par une meilleure dotation en infrastructures, tandis qu’on lit depuis les années 1990 une priorité donnée à la grande vitesse ferroviaire, afin de renforcer la compétitivité des territoires et la création d’un réseau de transport à l’échelle européenne.

Table 1. 1. Les priorités de la politique publique de transport

D’après BANISTER D., BERECHMAN J., 2004. Transport investment and economic development, Routledge, 383 p.

La permanence des discours politiques liés aux effets structurants s’est aussi trouvée renforcée par deux autres états de fait. Le premier est à imputer aux lois de décentralisation de 1982, renforcées par le Code général des collectivités territoriales (1996), qui étend les compétences des collectivités territoriales (Merlin, 2007). Le volet « Transport » est tout particulièrement concerné, puisque la région est chargée de l’organisation des services ferroviaires régionaux de transport, le département du transport interurbain et du transport scolaire, les communautés d’agglomération des transports urbains. Le second renforcement de la place des effets structurants des transports dans les politiques d’aménagement est la croissance des problématiques environnementales. Considéré comme un secteur contribuant de manière significative aux dérèglements, les réglementations et orientations des politiques publiques ont été nombreuses depuis la première crise pétrolière (Bavoux et al., 2005).

Ces deux aspects participent au squelette de la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI), du 30 décembre 1982. Dans un contexte de crise économique structurelle et de conclusions nuancées quant aux effets structurants des infrastructures de transport (Plassard, 1977), l’article 14 prévoit que « les grandes opérations d’infrastructures réalisées avec le concours de financements publics, doivent faire l’objet d’un bilan des résultats économiques et sociaux rendu public »8

. De notre point de vue, les dispositions législatives sont un levier important dans l’explication de la

permanence de l’abondante littérature traitant des effets structurants, parce qu’elles supposent des expertises, académiques ou non, avant et après l’investissement, mobilisant les théories exposées plus haut dans notre propos.

Mais, dépassant la seule sphère du politique, Jean-Marc Offner réitère ses critiques quand il dénonce les « mythologies politico-journalistiques » (Offner, 2014). Dès lors, « avoir une infrastructure de transport » semble une modalité indispensable, si ce n’est au développement économique, mais plutôt à l’image d’un territoire. Ainsi, l’infrastructure participerait à la « revitalisation » d’un territoire (Banister et Berechman, 2004). Les territoires qui en profitent n’hésitent pas à leur faire savoir, à grands coups d’articles et dossiers de presse. En août 2014, l’hebdomadaire Challenges titre « Comment Bordeaux profite à plein de l’effet TGV »9

et affirme que l’effet TGV n’a jamais été démenti, en montrant la hausse des prix de l’immobilier. Ainsi, dérivé sans doute du mythe de l’association universelle, le concept de mobilité qu’on y associe est devenu un « attribut de la modernité » (Bavoux et al., 2005). Faisant un état de l’art des effets de la grande vitesse ferroviaire, des auteurs montrent comment la littérature aime à traiter l’amélioration du bien-être social, les changements d’image, l’amélioration de la qualité de vie et les effets psychologiques (Bazin et al., 2011). « Vous voulez visiter Le Mans le temps d’un week- end ? […] Appelez-nous, on s’occupe de tout »10 : voici le slogan de l’office du tourisme du Mans, profitant de l’infrastructure à grande vitesse pour asseoir son succès touristique.

On voit comment la puissance publique s’est largement emparée, de manière permanente, du concept des effets structurants, en en faisant un moyen de légitimer son action, un moyen de faire la promotion de son territoire. Aussi, ces dernières lignes montrent comment la grande vitesse ferroviaire a largement contribué depuis trente ans à la pérennité de cette rhétorique, alors même qu’elle a contribué aussi sur la scène française à la complexification de la notion de territoire dans l’appréhension des effets des infrastructures.

1.3.2. Acteurs et échelles dans la complexification du territoire

Le contexte institutionnel de la décentralisation et de la loi LOTI, d’une part, et la remise en cause des effets structurants automatiques dans les années 1970 issue de recherches de plusieurs disciplines (Fogel, 1962 ; Plassard, 1977) sont selon nous deux éléments qui ont contribué à la complexification de l’approche du territoire. De plus, alors que jusqu’à maintenant, l’étude de l’effet structurant s’est surtout consacrée à l’offre de transport, la demande locale de transport semble prendre une place croissante dans les relations entre réseau et territoire (Banister et Berechman, 2004), faisant entrer d’autres disciplines dans la socio-économie des transports. Se

9 Challenges, publié en ligne le 28 août 2014

dessine alors un nouveau cadre « de plus en plus fondé sur la négociation territoriale associant les différents groupes d’acteurs intéressés par l’infrastructure et riche de questionnements » (Bérion, Joignaux et Langumier, 2007).

Parallèlement à la valeur sociale accordée à la mobilité, des travaux se sont attachés à démontrer les effets pervers du développement des réseaux, concluant parfois jusqu’à l’ « enfer des réseaux » (Dupuy, 2011). Loin du bien-être social, les termes de fracture et de dépendance décrivent de nouvelles inégalités, nées de l’extension des réseaux, et de la hiérarchisation déjà évoquée aux échelles urbaines et interurbaines. D’un point de vue individuel, le réseau fait apparaître des « premium spaces », desservis par des réseaux performants et onéreux, mais participant à la fragmentation urbaine, qui interpellent les politiques publiques actuelles, contraintes par les objectifs de dérégulation. L’action publique est alors appelée à participer à la correction de ces inégalités, d’où une demande croissante de sa part d’analyse d’impact dans laquelle elle tient son propre rôle.

Les réflexions scientifiques se sont alors penchées sur des approches territorialisées, profitant des nombreux projets d’ouverture de nouvelles autoroutes depuis les années 1970 et de nouvelles lignes à grande vitesse ferroviaire en France depuis les années 1980. Elles se conjuguent a une « inflexion actorielle » (Lévy et Lussault, 2003), où les géographes tendent à davantage prendre en compte l’action individuelle et collective dans les processus de décision. Ils dotent alors le territoire d’une logique interne, qui fait système, introduisant de nouvelles terminologies, telles le potentiel, l’interaction (Frémont, 2014).

L’existence de telles études est également à rapprocher d’une demande sociale, qui s’est concrétisée parfois par la création d’observatoires des effets territoriaux11

(Bérion, Joignaux et Langumier, 2007). Ces observatoires adoptent alors une échelle réduite, celle de l’infrastructure et une temporalité tout aussi réduite, traditionnellement ex-ante et ex-post. Les premières conclusions de tels observatoires sont que « l’impact est fortement conditionné par les potentialités locales préexistantes, le dynamisme des acteurs locaux et les initiatives prises par les collectivités territoriales en tenant compte de la spécificité du contexte et des atouts à valoriser » (Cornilly, Danzanvilliers et Furgaut, 1988).

De nouveaux vocables ressortent de ces approches, qui montrent une causalité directe très faible, comme nous l’avons déjà vu, et qui montrent l’importance « d’un contexte territorial spécifique et des jeux d’acteurs particuliers » (Bazin et al., 2011). Les termes de potentialité et d’appropriation montrent comment les acteurs locaux ont souvent un rôle déterminant, mais aussi comment les usages peuvent provoquer des transformations économiques ou géographiques. Ce n’est pas l’infrastructure en elle-même, mais son appropriation par les acteurs locaux qui peut provoquer un effet de développement. Ainsi, dès les premières lignes à grande vitesse, les gares TGV ont été perçues comme des potentiels de développement économique et des stratégies

11 Les observatoires territoriaux ne se bornent pas aux seules études des effets d’infrastructures de transport. La

DATAR en a recensé alors plus de 500 en France, sous des formes juridiques diverses et des champs d’activités nombreux.

d’anticipation ont souvent eu pour but la valorisation des espaces autour de la nouvelle gare (Facchinetti-Mannone et Bavoux, 2010) : ces stratégies prennent la forme de revitalisation de quartiers de gare dans les grandes villes et de la création de zones d’activités à proximité immédiate des gares périphériques.

L’analyse conduite par les observatoires territoriaux apporte un paradoxe entre des conclusions bien établies venant fortement nuancer l’effet direct des infrastructures, et « l’âpreté du jeu politique, la persistance d’une croyance ou du moins d’une référence aux effets structurants » (Bérion, Joignaux et Langumier, 2007). Pour autant, plusieurs critiques à l’égard des observatoires territoriaux ont été formalisées :

 Les approches empiriques et territorialisées doivent être complétées dans des approches formalisées capables d’introduire les ressources socio-économiques locales dans une modélisation économétrique (Boiteux, 2001) ;

 Les approches ne prennent pas assez en compte l’évolution des usages, et les bouleversements des mobilités induites par la nouvelle infrastructure de transport ;  Les approches conditionnelles sont directement liées aux contextes spatiaux et temporels de chaque étude, rendant impossible toutes les tentatives de généralisation (Delaplace, 2014).

Plusieurs types de réponses viennent enrichir ces aspects. La première est sans aucun doute abordée par les travaux économiques et économétriques évoqués plus haut. La seconde trouve écho dans les enquêtes de déplacement qui suivent la mise en place des infrastructures et par la modélisation des trafics. Il s’agit d’ailleurs d’un champ que la géographie explore largement grâce aux avancées de la modélisation à l’échelle urbaine des interactions entre infrastructure et occupation des sols.

En revanche, la troisième ouvre des perspectives qui trouvent un écho particulier dans notre travail. Elle vient aussi corroborer notre propos sur les nombreuses monographies du début du XXème siècle. Nous nous contenterons ici d’évoquer les principales conclusions, qui viennent enrichir les discours des effets des infrastructures de transport sur le territoire.

Ces géographes quantitativistes explorent une « vision plus abstraite de l’espace » (Dupuy et Offner, 2005) par l’appréhension des réseaux. L’étude des transports s’ouvre à la plus large étude des réseaux, entourés des concepts qui les accompagnent. A partir d’une approche beaucoup plus formalisée et à une échelle plus large, Denise Pumain conclut en 1982 que « la présence ou l’absence de desserte par le réseau de chemin de fer n’a pas été un facteur déterminant de l’évolution démographique » (Pumain, 1982) au XIXème siècle, alors qu’en revanche, le chemin de fer se dessinerait « en fonction d’une hiérarchie de tailles et de dynamismes urbains qui préexistait à son installation ». Ainsi on peut voir apparaître le concept d’interaction spatiale, dont on a pointé le manque dans le modèle théorique de l’organisation de l’espace, quand elle conclut que « la nouvelle infrastructure a favorisé une augmentation de la taille et de l’espacement des centres correspondant à un niveau donné de fonction ». Les effets structurants sont alors ici à penser non pas de manière causale et linéaire mais dans les deux sens de la causalité, se rapprochant ici plutôt des arguments avancés par l’économie historique des années 1960.

Plus récemment encore, Anne Bretagnolle reprend ce concept de système hiérarchisé. Elle s’est intéressée à la mise en espacement progressive des villes, réifiant ici directement le réseau avec ses concepts de structure, dynamique et logique, évoqués dans la première section (Bretagnolle, 2003, 2009). Elle rapproche ainsi le niveau de centralité des villes des gains ou des pertes d’accessibilité dans le réseau de chemin de fer entre 1830 et 1954, en édictant le mécanisme de la coévolution. La différenciation des territoires s’accompagne ici d’une hiérarchisation : si l’infrastructure de transport s’améliore significativement entre deux agglomérations, alors elle peut impacter de manière négative d’autres agglomérations, en les laissant de côté. L’impact des réseaux de transport est illustré par l’espacement progressif des villes. Alors, on pourrait conclure « qu’une augmentation de l’accessibilité interurbaine […] augmenterait les inégalités à l’intérieur des régions » (Quinet et Prager, 2013), à partir d’un phénomène de « sélection géographique » (Janelle, 1969 ; Mackinder, 1902). Les économistes parlent alors de la construction d’une « économie d’archipel » (Veltz, 1996).

Les travaux évoqués ci-dessus impliquent l’introduction de concepts largement familiers du géographe. Ainsi, ils visent à montrer l’impact des infrastructures de transport dans le processus de centralité, qui ne s’inscrivent pas dans des dynamiques de court terme. Ici, le caractère cumulatif peut être qualifié de « mode d’acquisition progressif de la complexité » (Pumain et Saint-Julien, 2001), qui fait référence selon nous à la « structure émergente » évoqué dans la théorie des réseaux, et qui traduit la complexité par laquelle « plus les relations internes d’un corps sont nombreuses, subtiles et complexes, mieux ce corps est organisé et plus il agit sur son environnement » (Musso, 1987). Sans qualifier la manière dont ils agissent, on peut ici affirmer l’existence des effets structurants des infrastructures de transport.

Dès lors, la localisation géographique prend ici une place centrale, sur un espace pourvu de discontinuités et de frictions, dont on peut en imputer certaines au réseau lui-même. Aussi l’éclairage historique semble montrer la participation du réseau de transport à la différenciation des territoires sur le long terme. De plus, on voit que l’apport du géographe permet ici de réinsérer l’objet « réseau » à proprement parler, par l’étude de son évolution, posant là une pierre importante pour la suite de notre travail.

L’approche complexifiée que nous venons d’aborder vient démontrer comment la causalité entre infrastructure de transport et développement territorial n’est plus envisagée de manière unidirectionnelle et nécessaire. Les publications des quarante dernières années témoignent d’un élargissement des questionnements, alors même que l’« effet structurant » reste un solide argument des discours et décisions politiques. Cette persistance alimente le débat scientifique de manière permanente, dans lequel l’ensemble des protagonistes impriment sa marque, par ses méthodes et par son vocabulaire.

1.3.3. Une controverse de permanente actualité scientifique

En France, dans la littérature traitant des interactions entre réseau et territoire, un article est resté célèbre, puisqu’il est presque toujours cité depuis. En 1993, dans L’Espace géographique, Jean-Marc Offner publie « Les effets structurants du transport : mythe politique, mystification

scientifique » (Offner, 1993a). Structuré autour de deux grandes parties, cet article revient d’abord sur la difficulté de la définition des effets avant même leur démonstration, souvent qualifiée de douteuse, déterministe et simpliste. Il remet alors en question la causalité linéaire, toutefois déjà largement abordée dans la littérature (Boarnet, 1995 ; Nijkamp, 1986 ; Plassard, 1977). Plus incisif, il dénonce aussi le manque de rigueur méthodologique, dénonçant les procédés orthodoxes de l’économie. D’après lui, la question des relations entre transport et territoire doit être celle d’un renouveau conceptuel. Il propose alors d’emprunter au langage mathématique la notion de « congruence » : elle permet d’étudier deux structures qui évoluent de manière parallèle et qui s’adaptent de manière réciproque. L’objectif est alors l’identification clarifiée de ces congruences, où la piste temporelle semble la meilleure à explorer. L’analogie vers les systèmes est possible, quand ils se définissent par le « primat de la relation sur l’objet » (Lévy et Lussault, 2003), où il pourrait être vain de chercher des relations de cause à effet à l’intérieur de ce système.

Mais, vingt ans après la publication de cet « article qui a fait date » (Plassard, 2003), L’Espace géographique a proposé un dossier en 2014, qui témoigne des débats souvent passionnés que suscite cette question. Ce dossier, nommé « Les controverses de l’Espace géographique », permet la contribution du même auteur qui réitère ses affirmations ainsi que celle d’autres chercheurs, géographes et aménageurs, venant répondre aux invectives parfois provocatrices du géographe et urbaniste. Et la façon de nommer ce dossier, de la part de la revue, n’est pas anodine. La définition donnée par le dictionnaire du Petit Robert parle d’une « discussion argumentée et suivie d’une question ». Quand elle est scientifique, la controverse est un concept central dans notre appréhension de l’effet structurant : elle « se caractérise par la division persistante et publique de plusieurs membres d’une communauté scientifique, […], qui soutiennent des arguments contradictoires dans l’interprétation d’un phénomène donné » (Raynaud, 2003). Etant donné la dimension du mythe qui s’est construit, on peut aussi légitimement se rapprocher de la définition de l’« éristique », art du débat, quand on s’intéresse tout aussi au discours sur la réalité que sur la réalité elle-même (Schopenhauer, 1998). Dans cette section, nous évoquerons donc la controverse du point de vue de l’histoire des sciences, alors que notre positionnement dans le chapitre suivant s’en inspirera d’un point de vue épistémologique. Le philosophe Jean-Claude Baudet montre