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Même si le SIG-H semble porter en son sein une capacité de dialogue entre les différentes disciplines, pour croiser des informations donnant naissance à de nouvelles connaissances, le cadrage géohistorique élargit les possibilités d’analyses et d’ajout de nouvelles informations. Ainsi, il s’agit maintenant d’étudier comment la base de données FRANcE peut retracer de manière à la fois empirique et théorique la croissance du réseau ferroviaire à partir de premiers traitements à l’intérieur du SIG-H. Pour autant, les perspectives de complexification de l’information pointent les limites de cet outil, si on le considère de manière isolé. Il s’agit de qualifier plus précisément la phase de développement du réseau depuis les premières traverses posées au début du XIXème siècle jusqu’à nos jours. Notre approche quantifiée s’inscrit dans la théorie des réseaux, appliquée au développement du réseau ferré français : « l’idée d’une aptitude intrinsèque du réseau à croître sans soucis de quelconques obstacles » (Dupuy, 1987a) est alors confrontée au(x) contexte(s) dans lequel la croissance du réseau s’inscrit. Nous projetons alors ici d’analyser la phase de naissance du réseau ferroviaire et la phase de croissance du réseau ferroviaire français, à rapprocher de la théorie des cycles de produits adaptée à la théorie des réseaux (cf. 1.1.3).

3.2.1. La mise en connexité du réseau ferroviaire dans la base de données

FRANcE

Les premières lignes sont surtout le fruit d’initiatives ponctuelles et privées. Inaugurée en 1827, la ligne entre Saint-Etienne et Andrézieux est concédée sur une longueur de 18 kilomètres à la « Compagnie du Chemin de Fer de Saint-Etienne à la Loire », principalement pour les besoins d’exploitation de la houille. Considérée comme la première ligne de chemin de fer de l’Europe occidentale, la traction est hippomobile jusqu’en 1844 et se substitue à l’arrivée des premières locomotives (Caron, 1997). Cinq ans plus tard, le prolongement de la ligne jusqu’à Lyon marque les premiers projets d’ouvrages d’art nécessaires pour poser la voie ferrée sur une route préexistante, dédiée à la fois au transport des voyageurs et à celui des marchandises. Pour autant, le retard français par rapport au Royaume-Uni et à l’Allemagne n’est encore pas rattrapé avec l’ouverture de la première ligne de banlieue par les frères Pereire et Eugène Flachat entre Paris-Saint-Lazare et Saint- Germain-en-Laye. Son succès, avec près de 18 000 voyageurs le premier jour, marque selon François Caron le début d’une prise de conscience qui aboutira en 1842 à la « Loi relative à l’établissement des grandes lignes de chemin de fer en France », corrigée en 1844.

Elle édicte la « cession des terrains par les communes, construction par l’Etat et exploitation par des compagnies – fortune générale, fortune locale, fortune privée –, tels sont les trois éléments mis en jeu pour arriver à la réalisation ». Elle prend le nom du directeur général des Ponts et Chaussées de l’époque : l’« Etoile de Legrand » est largement centrée sur Paris (Figure 3. 10). Loin de rattraper son retard rapidement, « en 1850 encore la France offre le spectacle d’un réseau éclaté, en lignes éparpillées, dispersées, sans cohérence » (Studeny, 1995). Il faut attendre la fin de la décennie 1850 pour obtenir un réseau connexe. En 1842, on peut ainsi identifier sur la figure huit sous-réseaux, qui persistent encore en 1850. C’est d’abord à proximité de Paris que le réseau a grandi d’une part, de même que le long de la vallée de la Saône que du Rhône, réduisant le nombre de sous-réseaux à trois. Ce n’est qu’après 1855 que l’ensemble s’est lié, alors que la transversale entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée a été la dernière dessinée dans le projet de 1842. La finalisation de ce projet montre un décalage entre l’établissement de la loi et sa concrétisation presque vingt ans plus tard (Table 3. 4). Ainsi, en 1859, les conventions entérinent l’oligopole à six têtes autour des six grandes compagnies (Figure 3. 11) qui resteront jusqu’à la nationalisation de 1937.

Figure 3. 10. De l’initiative ponctuelle à la mise en connexité du réseau ferroviaire français entre 1842 et 1860

Figure 3. 11. Différenciation des vitesses en 1860 selon les territoires des grandes compagnies

Pour autant, la nouvelle information sur les vitesses nous permet de complexifier l’analyse de la mise en connexité du réseau ferroviaire jusqu’en 1860 (Figure 3. 10). La mise en connexité du réseau, surtout opéré jusqu’en 1855, est le fait de la construction de voies rapides et intermédiaires, valeurs à nuancer avec le relatif écart entre les deux types de vitesse. Elles enregistrent les taux de croissance annuel moyen les plus fort jusqu’en 1855, d’abord avec les voies rapides, surtout développées au nord et à l’est de Paris (Table 3. 4). Le développement plus tardif à l’ouest est ainsi surtout le fait de voies intermédiaires. Ainsi, entre 1855 et 1860, seuls quelques raccordements viennent terminer la mise en connexité du réseau alors que dans le même temps, la longueur des constructions de voies lentes augmente de 37 % chaque année. Le constat est encore plus saisissant quand on confronte les classes de vitesses et les « territoires » des grandes compagnies ferroviaires (Figure 3. 11). Ainsi, les voies les plus rapides dessinent trois branches de l’Etoile de Legrand, vers Lille, Strasbourg et Marseille, dont les lignes appartiennent à trois compagnies différentes. Les branches vers la Manche, l’Ouest et le Sud-Ouest sont des voies sur lesquelles la vitesse est intermédiaire. Enfin, la transversale Atlantique-Méditerranée se fait pour partie sur voies lentes.

Suivant le processus de mise en connexité du réseau, cette représentation permet de rendre compte d’un processus rapide selon lequel la croissance du réseau participe d’un balancier entre complémentarité et concurrence (Dupuy, 1987a). Evoquée pour faire le parallèle entre la croissance du chemin de fer et l’essor de la télégraphie électrique, la complémentarité montre ici la possibilité de liaisons transversales entre les territoires des grandes compagnies. Les liaisons entre la Compagnie du Nord et celle de l’Ouest sont inexistantes en 1860, alors que cette dernière est bien reliée à l’axe Paris-Bordeaux exploité par la Compagnie Paris-Orléans. La concurrence transparaît quant à elle, dans la présence d’une grande ligne de Legrand dans chaque compagnie, alors même que Mulhouse peut être rejoint via Vesoul (Compagnie de l’Est) ou via Dijon (PLM), dès 1860.

3.2.2. Le cycle de vie du réseau ferroviaire dans la base de données FRANcE

La première phase de connexité étant achevée en 1860, on se propose désormais de qualifier la phase de croissance (cf. 1.1.3, p. 30), en appliquant le modèle du cycle de vie des produits (Figure 1. 3, p. 34). Le recours à la théorie permet de dépasser le simple inventaire patrimonial pour dégager des processus de plus long terme. Le modèle décrit alors trois périodes (Garrison et Levinson, 2014) :

 Une phase de développement : il s’agit des prémices du réseau, dans une période de découverte de l’innovation technique ;

 Une phase de croissance, où l’innovation est rôdée et efficace, à partir d’une année d’inflexion ;

 Une phase de maturité, où l’innovation n’apporte plus que des effets marginaux. La succession de ces trois phases décrit une courbe en S (S-curve) (Figure 1. 4, p. 35), que de nombreux chercheurs ont cherché à estimer à partir de données sur les systèmes de transport (Garrison et Souleyrette, 1996). Il s’agit ici de voir dans quelle mesure l’extension du réseau ferroviaire entre 1840 et 1930 répond au modèle de cycle de vie des produits, décrits par la théorie des réseaux et celle des innovations. Cette modélisation permet de mesurer également la date à laquelle la croissance du réseau s’est considérablement infléchie.

A partir des données sur l’évolution du linéaire du réseau entre 1840 et 1930, estimer la courbe logistique de la diffusion d’un réseau est donné par l’équation suivante :

𝑁𝑡 𝑁𝑚𝑎𝑥− 𝑁𝑡

= 𝑒

𝑎𝑡+𝑏 (1) ou 𝑙𝑛𝑁 𝑁𝑡 𝑚𝑎𝑥− 𝑁𝑡

= 𝑎𝑡 + 𝑏

(2) où :

 Nt est la taille du réseau à un temps t

 Nmax est la taille maximale du réseau, 1930 dans notre cas

 t est l’année d’observation

La méthode d’estimation de ce modèle consiste à définir a et b à l’aide d’une régression linéaire, où la variable explicative est le temps. Son application passe par la définition du point d’inflexion de la courbe (ti), donnée par :

𝑡𝑖 =

𝑏

−𝑎 (3)

Enfin, la courbe est obtenue par l’équation suivante :

𝑁̂𝑡 = 𝑁𝑚𝑎𝑥

1 + 𝑒(−𝑎(𝑡−𝑡𝑖)) (4)

Figure 3. 12. Estimation de la courbe tendancielle du réseau ferroviaire entre 1840 et 1930

Ainsi, la Figure 3. 12 montre la croissance globale du réseau entre 1840 et 1930, accompagnée de la courbe en S qui modélise les différentes phases de croissance, ainsi que l’identification d’une date d’inflexion du réseau. L’estimation globale donne une date d’inflexion du réseau en 1878, date à laquelle le plan Freycinet a été voté, il s’agit de la barre verticale dans le graphique. Le R² mesure quant à lui la corrélation entre les points issus de la base de données FRANcE et les points de la courbe tendancielle dessinée par le modèle. Ainsi, le processus de croissance du réseau, issu de la théorie des réseaux, identifie à lui seul l’ambitieux programme de travaux publics initié par le ministre des travaux publics Charles de Freycinet. En organisant le rachat de petites compagnies non rentables, l’objectif est désormais de donner un accès au chemin de fer à tous les Français, afin de favoriser le développement économique et désenclaver les régions les moins favorisées (Caron, 1997). Non seulement les sous-préfectures doivent avoir un accès au réseau, mais aussi un maximum de chefs-lieux de canton. Pour rendre compte de l’expansion du réseau sur le territoire français et des contrastes d’équipement (Verdier et Bretagnolle, 2007), nous étudions l’évolution de la densité ferroviaire entre 1860 et 1930, exprimée par département en mètres par kilomètres carrés (Figure 3. 13).

Figure 3. 13. Evolution de la densité ferroviaire entre 1860 et 1930

Lors de la mise en connexité du réseau en 1860, l’accès au réseau est largement lié eu dessin de l’étoile de Legrand. Les densités les plus fortes suivent ainsi les axes vers le Nord et vers l’Est d’une part, ainsi que les points clairement énoncés dans la loi d’autre part. Par ailleurs, la Bretagne, à l’extrémité ouest du pays n’est encore pas desservie par le train, de même que les zones les plus élevées – les Alpes, les Pyrénées et le Massif Central. En 1900, tous les départements sont desservis par le réseau et la densité exprime la même logique de celle d’il y a quarante ans, en dépit de l’augmentation globale des densités. Le retard pris par certains départements en 1860 n’est donc que partiellement comblé en 1900.

De plus, la disparité Est/Ouest est accentuée par une couverture du réseau dans les bassins industriels traditionnels du XIXème siècle. A l’Ouest, la densité est forte autour du Mans, et tend à

diminuer à mesure que l’on se dirige vers le Sud. A l’Est, on souligne une discontinuité entre la région parisienne, le Nord et l’Est d’une part, le Centre-Est largement doté et le Sud d’autre part, malgré le doublement de l’axe Lyon-Marseille de part et d’autre du Rhône.

En 1930, date à laquelle le réseau est le plus dense, la répartition des densités peut être rapprochée des logiques réticulaires des grands axes pourtant dessinés presque un siècle plus tôt. Elle laisse entrevoir un couloir de passage à proximité du Mans, vers Rennes, Nantes et Bordeaux. Les développements les plus forts touchent le Grand Ouest, autour de l’axe Paris-Bordeaux. Le même constat peut être fait autour d’un axe Paris-Clermont. Etonnamment, on constate un vide entre Paris et Dijon et entre Lyon et Marseille, malgré l’importance croissante de la ligne Paris- Lyon-Marseille. Ainsi, malgré un niveau d’équipement supérieur à 100 mètres par km² dans une grande majorité des départements, des inégalités subsistent encore, surtout dans le Centre de la France et les principales montagnes.

Pourtant, en dépit des gains d’équipement sur l’ensemble du territoire, il faut souligner que « les vitesses élevées ne valent que pour les grandes liaisons, dès que l’on quitte les lignes principales, un net ralentissement s’opère » (Studeny, 1995). Ainsi, parmi les 181 lignes inscrites dans le projet, de nombreuses sont en réalité empruntées par des « tortillards » sur des voies métriques, alors que le réseau classique double tend à stagner durant cette phase (Figure 3. 5, p. 110). Ainsi, la courbe tendancielle de la croissance du réseau peut être également évaluée individuellement pour chaque classe de vitesses, afin d’étudier les rythmes de construction du réseau pendant sa phase de croissance (Figure 3. 14).

Les traits pleins représentent la croissance réelle du réseau alors que les courbes en pointillés sont une estimation de la courbe tendancielle. La corrélation entre les deux représentations est traduite par le coefficient de corrélation, tandis que les dates d’inflexion sont représentées par les barres verticales. Si les prémices du réseau voient les mêmes tendances pour les trois types de réseaux, la mise en connexité marque le début de la différenciation des tendances. L’estimation de la courbe tendancielle du réseau rapide s’infléchit en 1881, même si son développement reste modeste par rapport aux réseaux intermédiaires et lents. Les voies les plus rapides ont déjà été mises en service à l’occasion de la mise en application de l’Etoile de Legrand. En revanche, c’est le réseau intermédiaire qui va croître le plus entre 1840 et 1920, puisque les premières fermetures interviendront en 1926. L’inflexion du réseau intermédiaire se situe en 1878, comme la concrétisation des lois de 1865, qui voient la naissance des chemin de fer d’intérêt local (Caron, 1997). La croissance de nombreuses compagnies aux mains de notables locaux ne fut que temporaire et les rachats par les grandes compagnies s’opèrent à la fin des années 1870. Pour autant, la courbe tendancielle montre que la « fièvre » du réseau intermédiaire ne connaît qu’un point d’arrêt pour mieux redémarrer ensuite. En effet, le plan Freycinet instituant le développement des lignes locales se concrétise par l’extension du réseau secondaire, en partie, mais surtout par l’inflexion du réseau lent en 1883. Alors que la littérature identifie la date de 1914 comme celle de l’achèvement du développement Freycinet, la courbe tendancielle du réseau traduit la phase de maturité du réseau lent entre 1910 et 1920. Celle des réseaux rapides et intermédiaire se situe à la charnière des XIXème et XXème siècle.

Alors que la décroissance des réseaux commence après 1930, les courbes tendancielles montrent comment la phase de maturité a été très éphémère. La courbe globale l’identifie entre 1910 et 1930 mais elle est également décalée quand on discrétise le réseau par les classes de vitesse. Le réseau rapide est celui qui connaît la plus longue phase de maturité à partir de 1900. Celle du réseau intermédiaire est concomitante à celle du réseau rapide, à la différence qu’il est le premier touché par les fermetures. Enfin, la phase de maturité du réseau lent est celle qui arrive le plus tard après 1910.

Figure 3. 14. Estimation des courbes tendancielles du réseau ferroviaire entre 1840 et 1930 selon la classe de vitesses

Quand on confronte les courbes globales et différenciées d’une part, et les dates d’inflexion d’autre part, on voit comment la phase de naissance du réseau est à rapprocher de l’expansion du réseau rapide sur les axes de Legrand à l’Est de la France. Par la suite, l’inflexion du réseau, tendanciellement identifiée en 1878 pour le réseau global est le fait du développement des réseaux intermédiaires. Enfin, sa phase de maturité, identifiée tardivement entre 1910 et 1930, est le résultat d’une arrivée à maturité du réseau lent à la veille de la Première Guerre Mondiale. Il s’agira dans la suite de notre travail d’identifier les effets de ces ruptures dans les dynamiques de peuplement. Que ce soit dans les phases de naissance et de croissance, mais aussi celle de la maturité, l’étude des différenciations spatiales est envisagée pour dégager des contrastes entre les phases et à l’intérieur de ces phases, en dépit d’une stabilité observée d’un simple œil dans la phase de maturité. Ainsi, cette première approche de la base de données FRANcE montre la richesse de l’information quand on la confronte aux propriétés de la théorie des réseaux. Cet outil de recherche, le SIG-H, semble répondre aux enjeux de la démarche épistémologique que nous avons envisagée dans le chapitre précédent. Pourtant, sa complexification semble indispensable pour répondre aux enjeux de nos questionnements.

3.2.3. Se déplacer en train : quelle approche pour le déplacement dans la base de

données FRANcE

L’approche par l’accessibilité que nous défendons dans ce travail requiert la complexification de l’information. L’intensité des possibilités d’interactions qu’elle permet de traduire est l’approche privilégiée. Dans son ouvrage sur la production des mobilités, Tim Cresswell souligne que pendant longtemps, les approches de la mobilité « ne sont généralement pas définis spatialement et de ce fait, peuvent suggérer des mouvements sans contrainte spatiale et sans limites – puisque toute la question est la résistance à soi-même, aux observateurs, aux sujets. Mais suggérer que la liberté et l’égalité en matière de mobilité en découlent est en soi une illusion puisque nous n’avons pas tous le même accès à la route » (Cresswell, 2001). Dès lors, notre approche vise à comprendre quelles sont les inégalités en matière d’accès aux ressources, alors même que le réseau tend à se diffuser sur l’ensemble du territoire, de manière toutefois hiérarchisée. Ainsi, parmi les principes géohistoriques les plus forts (Grataloup, 2015), les dynamiques de changement sont d’autant plus intenses qu’agissent des forces de proximité, traduites par la formule suivante par Christian Grataloup :

Densité + Connexité = Historité

Traduire les évolutions et l’intensité des densités revient dans notre cas à analyser le système de peuplement et ses dynamiques, par son évolution sur le temps long et sa distribution dans l’espace. L’historité est alors définie comme un « processus propre à une société. […] Lorsqu’il s’agit surtout de logique spatiale, l’historité est mutante, dynamique et relève surtout de la transformation » (Grataloup, 2015). D’autre part, objectiver l’évolution et l’intensité de la connexité relève dans notre travail de la mobilisation de la théorie des graphes. Elle permet non seulement de rendre compte de la proximité mais aussi de la mobilité (Chapelon, 1997). Sans entrer dans les détails méthodologiques développés dans la seconde partie, nous montrons ici comment le seul outil SIG ne permet pas de rendre compte des évolutions que nous souhaitons voir dégager. La modélisation des réseaux consiste dans la réalisation d’algorithmes qui définissent des chemins optimaux en fonction d’un critère de coût (Mathis, 2003). Cette mesure a pour objectif de prendre en compte la complexité des contraintes de déplacements : ils sont traditionnellement la traduction d’une distance, d’une valeur monétaire, d’un effort physique. Quand on replace cette exigence dans le cadre géohistorique, ces contraintes de déplacements sont de plusieurs ordres et leur maîtrise devient un « vecteur des inégalités sociales », qui vient remettre en cause « l’évidence trompeuse d’une vitesse généralisée » (Flonneau et Guigueno, 2009).

Alors que notre étude vise les 36 000 communes françaises, les quelques 11 000 gares françaises à l’apogée du réseau ne couvrent pas l’ensemble du territoire. On souligne le caractère nécessairement discontinu de l’accès au réseau ferroviaire, par opposition au réseau routier ou piéton dans lequel on peut entrer à n’importe quel point du réseau (Stathopoulos, 1997). Ainsi, « les liaisons rurales se heurtent longtemps encore à l’obstacle des lieux et des distances » (Studeny, 1995). Notre approche passe alors par la prise en compte d’un nouveau segment dans la chaîne de déplacement dans laquelle l’individu doit d’abord rejoindre une gare avant de pouvoir profiter des

bénéfices de la vitesse. Alors que de nombreux discours de l’époque, techniques ou politiques, portent sur les records de vitesses (Studeny, 1995), notre approche privilégie les « moyennes usuelles » qui résultent le plus souvent de « réseaux multiples » (Flonneau et Guigueno, 2009).