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Vers la définition de cadres d’exploration du lien réseau/territoire

« Il n’y a plus vraiment de géographes, d’économistes ni de spécialistes des transports pour croire aux effets structurants des transports » (Offner, 2014). Ainsi parle Jean-Marc Offner, vingt ans après son article provocateur. Pourtant, en se replaçant à l’échelle de la longue durée, nous posons l’hypothèse que cette affirmation n’est pas aussi définitive (Bretagnolle, 2014 ; Pumain, 2014). Pour cela, nous avons vu que nous nous dotons de nouveaux cadres spatio-temporels par la géohistoire, d’outils permettant de prendre en compte l’information géohistorique par le SIG-H.

Nourrir le débat et participer à la construction de nouvelles connaissances du couple réseau/territoire nous poussent ici à entrer dans les débats épistémologiques du statut des « sciences historiques » (Passeron, 1991) en général, de la production de connaissances du lien réseau/territoire en particulier. Denise Pumain pose l’hypothèse que le processus d’accumulation de connaissances procède de contextes épistémologiques et de conditions techniques (Pumain, 2005), distinction que nous conservons dans l’application de la construction de connaissances du lien réseau/territoire. Cette distinction trouve aussi sa place dans le challenge émergent dans lequel nous nous inscrivons dans les projets de SIG-H, qui suppose la construction des conditions de production de connaissances, sur les plans thématiques et méthodologiques.

2.3.1. Du mythe à la science, du positivisme au constructivisme

Nous proposons ici une entrée successive des grands positionnements épistémologiques quant aux connaissances de notre thématique de recherche, dont l’intérêt réside ici dans le passage du « mythe » à la production scientifique de savoirs. Les débats oscillant entre le déterminisme et le possibilisme ont été nombreux dans la géographie tout au long du XXème siècle. Peu à peu, les réflexions se sont enrichies des contextes culturels, des mécanismes de décisions (Claval, 1985). Alors que le déterminisme faisait de la causalité une primitive de l’explication géographique, le

possibilisme « décourageait toute recherche de lois et toute explication systématique » (Claval, 1985). Il s’agit plus largement ici de l’opposition entre des démarches inductives et déductives, au croisement de la compréhension et de l’explication.

Ici, nous estimons que l’explication de notre démarche épistémologique est encore plus justifiée car nos objets de recherche sont le moteur d’un mythe solide, perpétué depuis deux siècles (Offner, 1993a). En sciences sociales, la dimension du « mythe » a été largement abordée (Lévy et Lussault, 2003) : elle est souvent évolutionniste et largement positiviste. Les prémices du positivisme scientifique sont à chercher dans la philosophie d’Auguste Comte, dont le secrétaire n’est autre que Saint-Simon, à l’origine du mythe des effets structurants. Pour eux, l’étude des faits permettent davantage de décrire le monde que l’expliquer, parce que la recherche des causes d’un phénomène est à rejeter. Le mythe ainsi construit selon des considérations socio-techniques a dérivé vers un mythe scientifique. Dès lors, on parle de réalisme, dans la mesure où le positivisme fait l’hypothèse que les objets observés sont effectivement dans la nature. La compréhension du monde est donc ici inductive, dans laquelle les observations aboutissent à l’énoncé d’une loi. Elle est aussi rationnelle dans la mesure où le positivisme présuppose une méthode stricte, souvent mathématisée. Aujourd’hui, on a plutôt tendance à éviter de rentrer dans des considérations positivistes, parce que, selon leurs détracteurs, elles ne prennent pas en compte la complexité de l’humain et érigent naïvement par-dessus tout le progrès (Lévy et Lussault, 2003), en opposant les sciences de la nature et les sciences de l’homme, à l’instar de Karl Popper.

Face à cette démarcation, on pose la question du statut des « sciences historiques » (Passeron, 1991) en général, de la production de connaissances du lien réseau/territoire en particulier, dont les régimes de vérité seraient différents de ceux des sciences de la nature. Dans ce sens, notre discipline doit prendre en compte la diversité des réalités géographiques. En s’inscrivant dans une « exigence épistémologique de contextualisation de l’explication » (Pumain, 2014), cette approche vient ainsi en contre-point de la critique systématique des démarches empiristes et inductives décriées par Karl Popper au XXème siècle. Ainsi, Passeron affirme dans le titre de son livre que le raisonnement sociologique opère dans un espace « non-poppérien » (Passeron, 1991). La construction de nouvelles connaissances, dans ce cadre, n’est pas nécessairement nomologique. On pose alors la question de l’accumulation des connaissances à l’intérieur des sciences historiques. Questionner les effets structurants des infrastructures de transport sur le territoire nous confronte nécessairement à des réalités locales et des variations temporelles. Alors, le recours à un raisonnement naturel « n’implique pas que les sciences humaines et sociales soient condamnées à l’exceptionnalisme, à l’affirmation réitérée de chaque cas » (Pumain, 2014). Ainsi, on peut identifier un « autre processus, plus continuiste, qui permettrait la réinterprétation d’une théorie ancienne dans une nouvelle, plus englobante, ou une évolution contrôlée du contenu des concepts » (Pumain, 2005). Plutôt qu’une opposition entre induction positiviste et déduction poppérienne, entre réalisme et nomologie, nous plaçons notre travail dans une posture intermédiaire, dans laquelle le constructivisme trouve un écho sensible dans notre question de recherche.

La définition d’un champ constructiviste se trouve dans ce que certains appellent la « guerre des sciences » (Hacking, 2001). Les grands principes sont évoqués dans l’ouvrage de Peter Berger et Thomas Luckmann intitulé « La construction sociale de la réalité » à partir des rapports sociaux (Berger et Luckmann, 1966). Dès lors, on pourrait attester d’un rapprochement entre réalisme et nomologie quand on considère qu’il existe effectivement des objets dans le monde réel, lesquels font l’objet de catégorisations et donnent naissance à des concepts ou de grandes idées. Il faut signaler que « les catégories utilisées par les scientifiques sont toujours relatives à un état global de leurs connaissances et construites socialement, dans une interaction complexe entre l’état du monde et son interprétation par la science » (Pumain, 2014). Mais dans une perspective longue, la multitude de contextes dans l’espace et dans le temps rendrait d’après Passeron les comparaisons et la cumulativité des connaissances impossibles (Passeron, 1991). Pour autant, Denise Pumain souligne que « puisque l’histoire du monde social est finie, le savoir acquis sur cette énumération de cas doit en principe être cumulable, même s’il s’agit d’interprétations partielles, voire erronées, toujours révisables » (Pumain, 2005). Questionner les effets structurants des infrastructures de transport sur la longue durée est alors possible quand « toute connaissance énoncée devrait nécessairement se référer au cas ou à la série d’exemples cautionnant l’interprétation proposée » (Pumain, 2014). Une démarche constructiviste et géohistorique permet de définir un contexte « non pas tant par le lieu ou la date exacte de l’observation, mais par le choix d’un certain niveau de résolution du découpage spatial et de la séquence de durée pour lesquelles les conclusions de l’observation sont énoncées » (Pumain, 2014).

Dans ce cadre, nous défendons une position abductive, telle qu’elle a été introduite dans la pensée constructiviste par le pragmatique Charles Peirce, comme seul mode de raisonnement permettant d’aboutir à de nouvelles connaissances. C’est ainsi qu’un certain nombre d’auteurs parlent de « théories d’arrière-plan » (Quine, 1977) qui constituent un référentiel dans lequel on place les connaissances géohistoriques. L’abduction est alors à replacer dans des perspectives empiriques : elle n’est pas purement inductive parce que le point de départ n’est pas une simple série d’observations. Elle n’est pas plus purement déductive dans la mesure où l’expérience participe à la construction d’une conjecture. L’abduction relève de deux étapes : « de l’hypothèse, on tire par déduction des conséquences que l’on soumet à l’épreuve ». Par la suite, « dans une phase inductive, qui n’est pas ici un processus de construction d’hypothèses par généralisation, mais une évaluation empirique », on participe à la construction de nouvelles connaissances.

Si Jean-Claude Passeron compare le raisonnement sociologique à un « va et vient », alors nous l’appliquons ici au raisonnement géohistorique, qui « se distingue du récit historique par des moments de raisonnement expérimental, mais ces moments de pureté méthodologique alternent nécessairement dans son travail interprétatif avec d’autres moments du raisonnement naturel. […] Le raisonnement statistique est bien un raisonnement expérimental mais il ne le reste qu’autant qu’il n’énonce rien sur le monde historique : dès qu’on met du sens dans l’énoncé de ces corrélations formelles, les phrases se chargent de contexte » (Passeron, 1991). Ainsi, l’auteur propose trois phases d’énonciation de la connaissance (Figure 2. 7), que nous adaptons à notre travail de recherche, au croisement de la géohistoire et des Spatial Humanities :

 « Enonciation informative » : il s’agit ici de la collecte de données empiriques, identifiée comme le challenge traditionnelle des SIG-H ;

 « Effets de connaissances » : ils sont le challenge émergent des SIG-H, parce qu’il se trouve au cœur du système socio-spatial, entre le lieu, son environnement et la trajectoire individuelle ;

 « Effets d’intelligibilité » : il s’agit de la dernière phase d’un projet SIG-H, qui permet la formulation de généralités théoriques, portant sur un monde empirique. Le contrôle empirique est rendu possible par un retour aux données géohistoriques, et laisse la possibilité de reformuler des hypothèses.

Alors, là où notre interprétation d’un projet de SIG-H montrait une succession des différentes étapes du projet (Figure 2. 6), le débat épistémologique traitant des sciences historiques comment le processus de constructions de connaissances n’est pas linéaire et comment le mouvement de « va et vient » est une partie intégrante d’un projet de SIG-H.

Aussi, à travers ces trois niveaux de formulation de la connaissance géohistorique, une démarche constructiviste suppose la garantie de deux critères complémentaires, ce qu’Alain Desrosières appellent les critères de précision et les critères de pertinence. Dans une perspective de « division sociale du travail » (Desrosières, 2010), cette combinaison peut alors passer par l’interdisciplinarité. Mais au cœur de notre question de recherche, la géohistoire intègre en elle- même cette division. Les deux sections suivantes ont pour objet de définir les critères de précision et de pertinence à établir.

2.3.2. Quantifier le lien entre réseau et territoire : des critères de précision entre

convention et mesure

Alors que nous avons discuté des considérations épistémologiques nécessaires à la production de connaissances géohistoriques, il faut voir ici comment elles s’imbriquent dans des conditions techniques (Pumain, 2005). La démarche constructiviste participe de cette articulation : comme mode d’observation du réel, la catégorisation permet d’adopter une méthode réflexive. Il s’agit ici d’objectiver le réel, quand « une partie de l’activité scientifique se résout dans la production d’informations, archivables et donc cumulables : résultats d’enquêtes, dénombrements, inventaire, typologies, jurisprudences, archives » (Pumain, 2005). Il faut voir aussi dans le développement des moyens techniques et informatiques une accumulation des informations qui influe sur les évolutions épistémologiques de la connaissance.

Nous plaçons ce travail dans la géographie théorique et quantitative, pour la construction de connaissances géohistoriques du lien entre réseau et territoire. Le sociologue Alain Desrosières a largement étudié l’histoire de la statistique. Nous reprendrons sa définition de la quantification : « quantifier, c’est convenir puis mesurer » (Desrosières, 2008). Les définitions classiques, telles celle du dictionnaire Larousse retiennent la deuxième acception : « traduire quelque chose en une quantité mesurable ». La première acception relève quant à elle de la définition des objets conceptuels qu’il s’agira seulement ensuite de mesurer, sous forme numérique le plus souvent. Notre travail de recherche se trouve ainsi pleinement au cœur de ces deux acceptions : la définition des objets conceptuels est fondamentale, dans un contexte géohistorique et une démarche constructiviste, pour ensuite envisager une mesure du lien entre réseau/territoire. Dès lors la quantification passe par la définition des objets pour mieux ensuite analyser leurs interactions : on rejoint aussi ici la démarche abductive, parce que notre questionnement n’est pas uniquement guidé par l’information géohistorique, mais doit s’inscrire aussi dans des théories d’arrière-plan.

La conclusion de notre premier chapitre a permis de constater une permanente controverse des effets structurants des grandes infrastructures de transport. Il s’agit ici d’établir des conventions, et de se doter de théories d’arrière-plan permettant d’investiguer cette question à la lumière des éclairages épistémologiques que nous avons identifiés. La quantification est donc ici issue de notre construction sociale de la réalité, même si souvent, les mesures qui en découlent « tendent à devenir la réalité par un effet de cliquet irréversible » (Desrosières, 2008).

D’un côté, le réseau est le premier concept de notre travail de recherche. Il est défini comme un « système de transport ». Dans notre perspective géohistorique et constructiviste, nous choisissons de nous concentrer sur le réseau ferroviaire français, depuis ses prémices. Par sa logique, sa structure et sa dynamique (cf. Chapitre 1), nous faisons l’hypothèse que l’évolution du réseau est un marqueur des « traces du temps » (Durand-Dastès, 1990). En revanche, la géohistoire fait davantage référence aux temporalités qu’au temps. En bornant notre étude à la charnière des

XIXème et XXème siècles, la temporalité adoptée n’est en rien imposée par les historiens, mais par l’innovation ferroviaire et la mise progressive en réseau. Une seconde temporalité est à imbriquer à la première, et a trait à l’histoire des mobilités (Flonneau et Guigueno, 2009).

De manière conventionnelle, nous posons l’hypothèse que l’extension du réseau et le développement de ses performances sont caractéristiques des effets d’un système de transport. A ce moment, on peut envisager la mesure de ces deux éléments :

 l’extension du réseau peut être appréhendée par la mesure linéaire des chemins de fer en France ;

 les performances du réseau peuvent être traduites par les vitesses moyennes sur les traverses qui sillonnent la France.

Alors, cette quantification du réseau permet de « réfléchir non pas sur le court terme et sur l’impact d’un tronçon, comme ont tendance à le faire la plupart des acteurs politiques, mais avec la prudence et le recul de l’histoire » (Bretagnolle, 2014). La première information permet d’appréhender la couverture spatiale du réseau (Figure 2. 8). La seconde information permet de questionner le concept de « grande vitesse » (Figure 2. 9). Jusqu’au début du XIXème siècle, les déplacements sont caractérisés par l’« immense piétinement des Hommes » (Bavoux et al., 2005), qui ne dépassent pas 5 km/h. Les premiers systèmes de transport organisés sont les diligences, qui permettent de relier des relais postaux, et de multiplier la vitesse par deux par la même occasion avec la traction hippomobile (Bretagnolle, 2003). L’irruption ferroviaire marque une réelle rupture, et permet la « révolution de la vitesse » (Studeny, 1995). Ainsi, la grande vitesse est relative au contexte dans lequel s’inscrit le développement du réseau ferroviaire. La vision sur la longue durée que nous avons ici du réseau n’est pas statique mais bien dynamique et est l’expression d’une « convergence spatio-temporelle » (Janelle, 1969).

Figure 2. 9. Evolution de la vitesse moyenne de déplacement entre 1815 et 2000

D’un autre côté, notre second objet de recherche est le développement des territoires, nous confrontant aussi ici aux contraintes techniques de l’accumulation de connaissances. Il s’agit là aussi d’établir des conventions et des mesures. Les géographes ont montré comment l’étude des villes et de leurs évolutions individuelles ont largement été traitées de manière statique (Pumain, 1997). Initiés au début des années 1990 en France, des modèles dynamiques tentent d’expliquer « la forte différenciation des villes par leur taille et leurs fonctions […] à partir des relations entre les villes et entre les villes et leur environnement » (Pumain, 1997). Telle est donc la posture conventionnelle que nous adoptons ici. Elle entre ici en résonance avec le système socio-spatial que nous avons défini dans la première section, comme intersection entre un lieu, son environnement et sa trajectoire individuelle.

Pour leur mesure, nous retenons également une description simplifiée des villes : « la variable de la taille démographique est un excellent et le meilleur résumé de très nombreuses propriétés fonctionnelles. […] En outre, sur de très longues durées, la taille a le mérite de pouvoir être évaluée assez simplement, de façon comparable » (Pumain, 1997). Pour autant, de manière également conventionnelle dans l’étude des dynamiques démographiques, la tendance est de séparer ce qui relève de l’accroissement naturel de ce qui relève des migrations. On pose alors l’hypothèse que « l’aléa des décisions individuelles : faire naître un enfant, migrer là plutôt qu’ailleurs, installer une entreprise peut aboutir à une évolution globale relativement stable et déterminée de la ville » (Guérin-Pace, 1993). Il a été également démontré comment la taille des villes est souvent corrélée à « beaucoup de descripteurs quantitatifs, comme le nombre d’emplois, d’établissements

ou de logements mais aussi qualitatifs, comme la diversité ou la rareté des activités et la variété des populations présentes » (Pumain, 1997).

La mesure de la taille des villes repose alors sur le recensement de la population. A partir de 1801, le recensement devient systématique dans l’espace et dans le temps. L’unité spatiale de référence est la commune, avec des critères de domiciliation qui ont évolué dans le temps mais dont la stabilité remonte à 1841. Ici encore, la granularité spatiale n’est pas imposée par l’historien mais par l’objet de notre recherche, permettant d’avoir une finesse à l’échelle des quelques 36 000 communes françaises. Ainsi, alors que des travaux de géographes ont traité de la croissance urbaine en lien avec le chemin de fer (Bretagnolle, 2009 ; Pumain, 1982), notre travail prend en compte l’ensemble de la population française, qu’elle soit urbaine ou rurale. Le raisonnement peut donc être conduit à l’échelle d’un système de peuplement national, où chaque sous-système représente alors une commune.

Enfin, dans une démarche quantifiée, le compromis entre convention et mesure nous permet d’« accepter des étapes qui simplifient la description tout en gardant l’essentiel de la dynamique. La variable population répond bien à ces deux critères » (Guérin-Pace, 1993). Parmi les principales difficultés, la définition du seuil urbain est déterminante : « l’INSEE a adopté la définition des communes urbaines un seuil de 2 000 habitants agglomérés, mais de nombreux historiens en récusent la validité » (Guérin-Pace et Pumain, 1990). D’autres parlent d’un seuil à 3 000 habitants. Ainsi, le choix d’un seuil à 2 500 habitants paraît intermédiaire et a été retenu par de nombreux géographes (Pumain, 1982, 1997), et fait l’objet d’une catégorisation issue de notre propre construction sociale de la réalité. Nous insistons ici sur la prise en compte, non pas seulement des villes, mais de l’ensemble des communes. C’est là que l’on identifie la nécessaire combinaison de critères de précision et de critères de pertinence.

2.3.3. Des cadres de validité dans des critères de pertinence

Les critères de pertinence évoqués par Alain Desrosières relèvent d’après nous de deux ordres de considérations différents. Le premier réside dans les « lunettes » que l’on porte pour construire des connaissances géohistoriques du lien entre réseau et territoire, discutant d’une démarche introduisant la complexité. Le second réside dans l’appropriation de théories d’arrière- plan appliquées à notre question de recherche.

On peut d’abord se poser la question d’un nécessaire recours à la « systémique » quand on parle d’un « système de transport ». Or, il apparaît plutôt « sectaire » de confondre « systémisme avec l’esprit de système » (Pumain, 2003). Défini comme un « ensemble d’éléments qui sont reliés et coexistant [le système] constitue une totalité organisée distincte de son environnement » (Lévy et Lussault, 2003). L’étude systémique relève d’une démarche constructiviste et cherche à identifier la multitude des composants d’un système par leurs définitions et leurs relations. Le système socio- spatial dont il a été question dans la première section de ce chapitre en est l’illustration. Cette démarche semble alors tout à fait adaptée pour étudier les effets structurants des grandes

infrastructures de transport sur le développement territorial, d’autant qu’ils permettent de dépasser des causalités simples. Pour autant, se limiter à une démarche systémique comporte selon nous plusieurs écueils, qu’il convient de signaler, lorsqu’il est confronté à une démarche géohistorique :  Le recours à la longue durée ne permet pas d’obtenir de « données suffisamment