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DEUXIÈME PARTIE : Analyse

6. La capacité des auditori a (tableau 11)

8.2. La religion chrétienne

En certains endroits, la christianisation se manifeste par la destruction des lieux de l’enseignement traditionnel et leur remplacement par une église (à Philippes, la

Palestre est arasée pour construire l’atrium de la Basilique B ; dans le Bain-gymnase de

l’Est d’Éphèse, une église est construite dans l’auditorium). En revanche, on ne peut

savoir si l’activité des auditoria continue après la construction d’une église tétraconque

dans la cour de la Bibliothèque d’Hadrien. Parfois il est mis fin violemment à l’activité de l’enseignement traditionnel indépendamment d’une implantation religieuse (Maison des philosophes d’Aphrodisias, A56-57).

Tous les lieux d’enseignement ne disparaissent pas pour autant : à Alexandrie, toutes les salles sont construites sous des empereurs chrétiens y compris très

tardivement dans le VIe siècle. Des salles de cours et de conférences sont implantées

dans l’ancien Capitolium de Constantinople au Ve siècle.

296 Barbara Burrell a contesté qu’il s’agisse de salles du culte impérial, dans les gymnases d’Éphèse (Gymnase de Vedius, du Port, de l’Est, du Théâtre), dans le Bain gymnase de Sardes, et dans l’édifice M de Side (Burrell 2006).

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Enfin, certains édifices sont christianisés : des signes chrétiens apparaissent dans l’Édifice théâtral II d’Alexandrie (croix dans une couronne de victoire sur des chapiteaux et des impostes ; inscriptions chrétiennes ; dessins d’ancres et de poissons).

On peut se demander si les bassins trouvés dans certains auditoria de Kôm el-Dikka

(A4, A11, A13 à 15) avaient une fonction rituelle.

Nous avons vu que l’antiquité tardive est la période de l’implantation du plus

grand nombre d’auditoria. H. I. Marrou297 a déjà remarqué que les chrétiens, à l’époque

romaine, n’ont pas créé une école d’inspiration religieuse, « distincte et rivale de l’école païenne de type classique », au contraire de ce qu’ont fait les juifs ; « ils se sont contentés de juxtaposer leur formation spécifiquement religieuse (assurée par l’Église et la famille) à l’instruction classique qu’ils recevaient, au même titre que les païens, dans

les écoles traditionnelles »298. H. I. Marrou a analysé la question d’une manière fine :

certes, il y a dans le christianisme des interdits concernant la culture païenne, ainsi

l’évêque doit s’abstenir totalement de lire les livres païens selon les Statuts de l’Eglise

ancienne. Mais cet interdit ne concerne que le mode de vie intellectuel de l’adulte et non

l’éducation, la formation de l’enfant. Le christianisme est une religion savante, intellectuelle, qui a besoin d’une jeunesse formée à la culture classique. Pour Tertullien, les chrétiens n’ont pas le droit d’enseigner dans l’école païenne, idolâtre et immorale, mais les enfants chrétiens doivent bien y apprendre à lire. Et même quand l’Empire est devenu chrétien la situation ne change pas : l’enfant va se former à l’école païenne avec les auteurs païens et on compte sur l’éducation chrétienne pour aiguiser son esprit critique contre les contenus païens. À quoi on peut ajouter que l’interdiction faite par certains empereurs de détruire les statues des divinités grecques et romaines peut se lire dans ce cadre. Il ne s’agirait pas de préserver un patrimoine qui serait une chose du passé ou de maintenir des éléments d’ornements, mais de rendre présents à la vue les personnages des fables païennes qui sont la base de la formation intellectuelle des jeunes futurs chrétiens. Et contre Tertullien, beaucoup de chrétiens ont enseigné dans les écoles traditionnelles : Origène, en 202-203 ou Anatolios futur évêque de Laodicée, qui occupe la chaire de philosophie aristotélicienne à Alexandrie ; à Antioche, en 268, Malchion, un prêtre, dirige une école de rhétorique. Prohéresius, probablement chrétien, dirige une école d’éloquence à Athènes d’où il aurait été chassé par Julien en 362,

comme Marius Victorinus en dirige une autre à Rome (Eunapes, VS, Prohairesius 493).

297 Marrou 1981 (1948), p. 130-47.

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Des élèves païens suivent les cours classiques de maîtres chrétiens et inversement : Eunape, païen convaincu, s’honore d’avoir été l’élève de Prohéresius ; Jean Chrysostome, chrétiennement élevé par sa mère, suit les cours du païen Libanios.

À la différence de la religion traditionnelle et sur le modèle de la religion juive, le christianisme va produire des disciplines religieuses, exégèse, théologie qui alimentent les débats et conflits entre les différents courants du christianisme, d’où une grande floraison oratoire et littéraire. Mais celle-ci n’est pas préparée par un enseignement supérieur chrétien. Même les plus grands penseurs chrétiens n’ont pas

créé une école chrétienne aux IVe-Ve siècles : Basile à Césarée, Augustin à Hippone,

Ambroise à Milan. Initialement l’école monastique et l’école épiscopale ne remplacent pas l’école traditionnelle, puisque ce sont des écoles techniques, de formation des moines et des clercs.

Le christianisme, religion savante, a besoin de la culture traditionnelle. Un seul exemple, Boèce (470-525) ; il s’est attelé à la tâche immense de traduire en latin toute l’œuvre d’Aristote et les commentaires, ainsi que l’œuvre de Platon. Il a mis ensuite en

pratique son étude de la logique dans quatre opuscules sur la Trinité et la Nature du

Christ, et Contre Nestorius et Eutychès, prenant ainsi partie pour l’orthodoxie

justinienne, contre l’arianisme de la cour de Ravenne. Mais c’est Philosophie qui le console et non Jésus. Avec Boèce, on est encore dans une configuration antique : formé à la culture classique, il est simultanément homme de spéculation et homme d’action

comme magister militum de Théodoric à Ravenne. Cassiodore, lui, connaît dans sa vie

deux périodes : il est homme d’action à la cour de Ravenne avant sa « conversion » puis ensuite il fonde le monastère de Vivarium et s’y retire. À côté des traductions et copies des Écritures, il y recueille les ouvrages de la grande tradition classique. Ses

Institutiones, composées à l'intention des moines de Vivarium comprennent deux livres,

le premier est centré sur les Écritures, Institutiones divinarum litterarum et le deuxième

Institutiones saecularium litterarum, sur les arts libéraux : arithmétique, astronomie,

géométrie, musique.

Les transitions sont donc subtiles. Mais il est certain que lorsque les élites ne

construisent plus des auditoria, des thermes ou des écoles, par évergétisme, mais des

abbayes, par charité, on a changé de civilisation. Constance Chlore et Eumène financent

la reconstruction des écoles méniennes à la fin du IIIe siècle299. Syagrius, qui devient

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évêque d’Autun à la fin du VIe siècle, obtient de la reine franque Brunehilde, la

construction d’un hospice et de trois abbayes dans sa ville : un autre monde a commencé.

8.3. Le judaïsme

Il n’est représenté, dans notre catalogue, que par une attestation, qui n’a pas de

rapport intrinsèque avec l’auditorium : à un certain moment de son histoire la salle

méridionale du Bain Gymnase de Sardes est cédée à la communauté hébraïque, pour des raisons financières, pense-t-on (A52-53).