TROISIEME PARTIE : Identification des auditoria
1. Les modalités des identifications des salles et édifices étudiés
1.1. Les refusés
Sur 84 bâtiments ou salles étudiés à partir d’attestations archéologiques, trois identifications proposées doivent être refusées. La salle à gradins d’Ariassos (A60) est éliminée à cause des incertitudes sur la structure, le phasage et la syntaxe architecturale.
À Arykanda (A61), c’est un bouleuterion qui a été pris pour un acroaterion et c’est
plutôt « l’odéon » qui remplirait certaines fonctions d’un auditorium. Quant à l’édifice à
gradins de Simena (A62), en l’absence d’une étude archéologique du monument, on ne peut pas se prononcer. Revenons sur chacun de ces cas.
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1.1.1. Simena (ex-Aperlae) (A62)
Structurellement il s’agit d’un petit édifice à gradins taillés dans le rocher (300
places). J. Durm considérait que c’était un odéon354. L. Crema y voyait un
auditorium355. J.-C. Balty et P. Gros refusent cette identification qui ne reposerait que
sur la petite taille du monument. J.-C. Balty, par une argumentation historique et la comparaison avec d’autres édifices de petites villes de la région, y voit une salle de
réunion pour une assemblée municipale (ecclesiasterion). On peut résumer les
arguments : Simena n’était pas une polis mais au moins depuis la seconde moitié du Ier
siècle de notre ère, elle faisait partie avec trois autres villes, Aperlae, Apollonia et Isinda
d’une sympolitie sous le nom fédéral d’Aperlae356. Le chef-lieu de cité devait être
Aperlae et c’est donc là que devait se trouver le bouleuterion. Mais Simena devait aussi
pouvoir réunir son assemblée locale, éventuellement dans cet édifice. Nous considérons
ce point de vue est une hypothèse parmi d’autres. Simena devait aussi avoir des lieux d’enseignement ou de conférences, ces derniers n’étant peut-être pas distincts des lieux de réunion. En fait, il y a trop d’incertitudes et trop peu d’éléments de connaissance sur la structure du monument et sur l’environnement urbain pour qu’on puisse se prononcer.
1.1.2. Arykanda, la salle à gradins de l’agora supérieure (A61)
J.-C. Balty identifiait l’édifice de l’agora inférieure (B), comme étant le
bouleuterion de la cité, à cause de son emplacement sur l’agora civique et la salle de
l’agora supérieure, C – celle qui nous intéresse- comme un acroaterion. Il interprétait la
terrasse supérieure comme étant le xyste d’un gymnase. Cette dernière identification ne
semble pas pouvoir être retenue. En revanche, la proximité d’un sebasteion357 ainsi que
celle d’une « salle des archives »358 qui, de ce fait, pouvait aussi conserver des livres, ne
s’opposerait pas à l’identification de C comme auditorium /acroaterion. Mais il semble
qu’il faille s’en tenir à l’identification initiale : l’édifice C est un bouleuterion à cause
de sa forme, de sa localisation et de la découverte d’objets que l’on peut interpréter
354 Durm 1910, p. 489.
355 Crema 1959, p. 203.
356 IGRR, III, n° 692 = Le Bas n° 1290 et V, p. 316-17. Voir aussi L. Robert, Villes d’Asie Mineure, Paris 19622, p. 54-56 et suppl. p. 272.
357 N° 6 sur plan p. 132 dans Bayburtluoğlu 2004. On trouve les articulations suivantes : Sebasteion/bibliothèque et odéon/auditorium à l’Asclepieion de Pergame ; sebasteion et auditorium au Gymnase supérieur.
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comme des jetons de vote359. À l’époque hellénistique tardive, sur la terrasse supérieure
on a un bouleuterion, C ; à l’époque romaine, les activités politiques, culturelles,
descendent sur la terrasse inférieure360 ; l’édifice construit le long du portique nord de
cette terrasse, B, est structurellement un petit theatron couvert ; du point de vue de la
fonction, c’est probablement une salle polyvalente, « Mischgebäude361 » pour activités
culturelles, petits spectacles, divertissement intellectuel et réunions politiques362. Pour
conclure, il y a, à Arykanda, comme bien souvent à l’époque romaine, une salle polyvalente sur ou proche de l’agora ayant la structure d’un petit théâtre couvert dans laquelle, parmi d’autres activités, pouvaient se tenir des conférences, des lectures publiques, des démonstrations rhétoriques etc…C’est en ce sens que nous aurions pu faire entrer la salle B dans notre catalogue. Il nous a paru plus important d’examiner le cas de l’édifice C que J.-C. Balty identifiait, à tort nous semble-t-il, comme un
acroaterion.
1.1.3. Ariassos (A60)
Avec Termessos (A58), Cnide (A48) et Simena/Aperlae (A62), l’édifice
d’Ariassos a été identifié comme un acroaterion. J.-C. Balty maintient cette
identification363. P. Gros364 s’y oppose parce que l’édifice n’est pas connecté à une
bibliothèque. S. Mitchell en fait un bouleuterion, qui appartiendrait au centre civique
pré-romain de la cité, composé d’un prytanée, d’une stoa et d’un temple prostyle. Il reconnaît cependant que l’identification du prytanée est très douteuse, que les édifices avec lesquels il est censé être en relation à l’ouest sont soit plus tardifs (le temple) soit très remaniés au cours des siècles. En fait, il ne nous semble pas possible d’identifier la
salle à gradins d’Ariassos à un acroaterion d’époque hellénistique qui aurait perduré à
l’époque romaine car il demeure trop d’interrogations sur la structure, son phasage et
359 Knoblauch, Witschell 1993, p. 253 ; Bayburtluoğlu 2004, p. 135.
360 Les boutiques de l’agora supérieure sont encore en fonction dans l’antiquité tardive (Knoblauch, Witschell 1993, p. 254).
361 Knoblauch, Witschell 1993, p. 259.
362 C. Bayburtluoğlu semble venir à ce point de vue : en 1979 il ne donnait à l’odéon que des fonctions de divertissement (Bayburtluoğlu 1982 p. 419) ; en 2004, il écrit de « l’odéon » : « that doubled up as the city's bouleuterion (Id. 2004, p. 141).
363 Balty 1991, n. 266 p. 479.
364 « D’autres exemples [d’auditoria] pourraient être évoqués, mais l’absence de corrélation avec des bibliothèques rend difficile leur définition : le danger est de désigner comme des auditoriums (sic) au sens technique du terme des odéons ou des bouleutéria (sic) un peu plus petits que la moyenne ; les monuments souvent recensés comme tels en Asie Mineure, à Cretopolis, à Termessos, à Cnide, à Aperlae restent de ce point de vue assez équivoques » (Gros 2011, p. 374).
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son environnement topographique. Il ne semble connecté ni à une bibliothèque, ni à un gymnase. En revanche, il est certain qu’à l’époque romaine il y avait, plus bas sur la pente, à l’extérieur de la muraille de la ville, un complexe avec nymphée, bain, gymnase à exèdres et un théâtre à proximité. Lors de la première campagne de prospection, 25 inscriptions ont été retrouvées dans cette partie de la ville. Plus du tiers sont relatives au gymnase : un Diotime, fils de Samos a exercé la gymnasiarchie entre 236 et 242 ; plusieurs personnages sont honorés pour avoir remporté des victoires dans des concours lors de jeux tenus entre 260 et 268 et des compétitions au gymnase. Il y avait donc une grande vitalité culturelle de la petite cité de Pisidie et il devait y avoir des lieux pour l’enseignement, l’entraînement aux compétitions oratoires et pour le déroulement de ces compétitions. Mais les preuves archéologiques sont beaucoup trop imprécises pour que l’on puisse situer ces lieux. On ne peut donc pas retenir la salle à gradins d’Ariassos
comme un cas attesté d’auditorium/acroaterion. L’analogie structurelle avec l’odéon de
Termessos (A58), déjà relevée par K. Lanckoroński365 ne suffit pas ; la topographie
urbaine à Termessos concourt à l’identification de l’édifice comme un acroaterion en
liaison avec un gymnase, ce qui n’est pas le cas à Ariassos.